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ARTS POÉTIQUES

Précisons d'emblée en quoi le terme d'art poétique (ars poetica) se distingue de la poétique : où celle-ci se veut un discours sur la littérature, voire une science de la littérature, et montre donc une vocation descriptive, l'expression d'art poétique désigne d'abord des traités pratiques, des manuels en prose ou en vers. La notion d'art s'y définit comme un savoir technique, un ensemble de préceptes susceptibles d'enseignement. L'analyse de ce terme permet alors, peut-être, de dissiper une certaine ambiguïté qui s'est introduite au xxe siècle dans la réflexion des modernes lorsqu'ils parlaient de théorie de la poésie ou de la littérature.

L'art, en effet, est-il théorie ou pratique ? En fait, il combine l'une et l'autre, et la réflexion d' Aristote est ici fondamentale : il distinguait la théorie, la pratique, mais aussi la «  poïétique », qui porte sur la production, la création de l'œuvre, et à quoi se rattache surtout la poésie.

La généralisation selon laquelle la poétique aurait pour fin l'étude de toute production littéraire ne s'est vraiment accomplie qu'à notre époque. Mais, pour analyser les arts poétiques et leur évolution, il importait de se demander, comme l'ont fait les Anciens, s'il existe une spécificité de la poésie par rapport à d'autres formes de création littéraire – et notamment la rhétorique, comme le pensait Aristote. Une spécificité qui, bien sûr, ne s'est jamais limitée à la seule versification. La perspective choisie ici, qui ne néglige pas les recherches récentes mais les situe dans une problématique plus vaste, a pour conséquence une approche historique, seule capable de montrer dans tous leurs contrastes les différentes interprétations qui ont été données d'une parole : la poésie, dont elles n'épuisent pourtant pas le sens.

L'Antiquité

Mythe et représentation

Si Platon chasse les poètes de sa république parce qu'ils sont des imitateurs et qu'ils pratiquent la mimésis au lieu du récit, Aristote, dans sa Poétique, décrit les lois du récit épique ou dramatique et justifie la mimésis, capacité d' imitation dévolue au langage, en disant qu'elle est vraisemblable et qu'elle peut, en la représentant, nous apprendre quelque chose sur l'action humaine. Platon condamne les fictions (sauf les mythes, dont il fait usage lorsque la dialectique est impuissante) ; Aristote demande qu'on représente la nature. Platon dénonce l'immoralité des passions, que les poètes rendent séduisantes. Aristote répond par sa théorie de la catharsis : la pitié et la crainte, aidées par la musique des poètes, purifient et apaisent les autres passions.

On voit que la doctrine ainsi exposée par le philosophe de Stagire est à la fois littéraire et philosophique. À la différence de Platon, qui se défiait de toute sophistique, il a voulu réconcilier les deux types de discipline ; pour lui, la poétique est très proche de la rhétorique, notamment par l'emploi des tropes, métaphore et métonymie, et par l'usage des vertus du langage : clarté classique ou merveilleux qu'apprécieront plus tard les « baroques ». Mais Aristote ne se limite pas au texte et à sa forme, comme on l'a cru parfois. Cela est particulièrement sensible dans sa conception du théâtre, imitation d'une action, c'est-à-dire d'une mise en acte donnant forme et unité à une matière (notons qu'Aristote conçoit l'unité d'une manière générale ; les « trois unités » n'apparaîtront qu'avec les commentateurs de la Renaissance). La poétique (de poiein, faire, créer) dépend alors de l'ontologie. Cela était déjà vrai chez Platon (Ion, Hippias majeur) qui pensait qu'elle était inaccessible à la raison parce qu'elle[...]

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Écrit par

  • : professeur de langue et littérature latines à l'université de Paris-IV-Sorbonne, administrateur de la Société des études latines

Classification

Pour citer cet article

Alain MICHEL. ARTS POÉTIQUES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Zeuxis choisissant ses modèles, N. Monsiaux - crédits : Gift of the Volunteer Committee Fund 1988,  Bridgeman Images

Zeuxis choisissant ses modèles, N. Monsiaux

Charles Baudelaire , Nadar - crédits : Nadar/ Hulton Archive/ Getty Images

Charles Baudelaire , Nadar

Paul Valéry - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Paul Valéry

Autres références

  • ARTS POÉTIQUES, notion de

    • Écrit par Filippo D' ANGELO
    • 1 332 mots

    On désigne par l'expression « art poétique » les textes qui élaborent une doctrine à la fois descriptive et prescriptive de la création littéraire. L'adjectif « poétique » ne renvoie donc pas ici au genre de la poésie lyrique, comme sa signification courante pourrait le...

  • ANCIENS ET MODERNES

    • Écrit par Milovan STANIC, François TRÉMOLIÈRES
    • 5 024 mots
    • 4 médias
    ...merveilleux chrétien » de la littérature : « de la foi d'un chrétien les mystères terribles/d'ornements égayés ne sont point susceptibles... » Énoncé dans l'Art poétique(1674), ce partage entre le profane et le sacré (aboutissant à la condamnation de l'épopée chrétienne – donc moderne...
  • ARABE (MONDE) - Littérature

    • Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH, Hachem FODA, André MIQUEL, Charles PELLAT, Hammadi SAMMOUD, Élisabeth VAUTHIER
    • 29 245 mots
    • 2 médias
    La poésie arabe se présente sous forme de poèmes à rime et à mètre uniques. Le mètre est constitué par un nombre déterminé de pieds dont la nature, le nombre et les altérations sont strictement réglementés. Chaque pied est constitué par une succession de brèves et de longues rythmée par des accents fixes...
  • DU SUBLIME, Pseudo-Longin - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 738 mots
    ...Du sublime est redécouvert à la Renaissance, et traduit du grec en latin. Il atteint un large public à partir de sa version française par Boileau, à la suite de son Art poétique (1674), rapidement relayée en Angleterre. La postérité a parfois jugé paradoxale cette transmission, tant il semblait...
  • GOTTSCHED JOHANN CHRISTOPH (1700-1766)

    • Écrit par Lore de CHAMBURE
    • 904 mots

    Tenu jusqu'en 1740 pour le pape de la littérature, Gottsched est peu après attaqué de toutes parts : ses disciples l'abandonnent, la troupe de comédiens avec laquelle il travaillait le tourne sur scène en dérision (1741) et, en 1759, Lessing le prend violemment à partie dans une de ses lettres sur...

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Voir aussi