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SUBLIME

« Sublime » transcrit le latin sublime, neutre substantivé de sublimis, qui lui-même traduit le grec to hupsos. La formation du mot latin s'explique mal, mais le sens est tout à fait clair : sublimis (de sublimare, élever) signifie : haut dans les airs, et par suite, au sens physique comme au sens moral, haut, élevé, grand. Ce qui traduit parfaitement le grec hupsos, si l'on songe par exemple que ho hupsos, dès la première diaspora en terre hellénique, désigne le Dieu de la Bible : le Très-Haut.

Comme catégorie rhétorique ou critique, le sens de « sublime » paraît s'être fixé au cours du ier siècle après J.-C. Le mot et ses dérivés (sublimitas) sont présents chez Pline et Quintilien. Mais le plus ancien document concernant le sublime – et, pour nous, le texte fondateur de la tradition du sublime – est le traité Perihupsous d'un critique grec du ier siècle, longtemps attribué à tort à Longin, philosophe et rhéteur du iiie siècle, ministre de Zénobie reine de Palmyre, exécuté par les Romains en 273.

Ce texte, redécouvert à la Renaissance, puis traduit et introduit par Boileau en 1674, joue un rôle singulier dans le mouvement de pensée qui, à partir de la querelle des Anciens et des Modernes (les Réflexions sur Longin de Boileau sont de 1693), et en passant par la philosophie anglaise (Shaftesbury, Hutcheson), devait aboutir à la fondation de l' esthétique, en 1750, par Baumgarten. Dès lors, comme l'atteste entre mille exemples l'opuscule rédigé par Kant en 1764, Observationssur les sentiments du beau et du sublime, le concept de sublime, qui entre en concurrence avec celui du beau, tend à devenir en matière de théorie du goût et de philosophie de l'art le concept dominant, jusqu'à ce que Hegel, dans ses leçons de Berlin sur l'esthétique ou sur la religion, lui conteste ce privilège. Mais, par là, il faut bien le reconnaître, Hegel ne sanctionne pas seulement d'un diktat « arbitraire » un motif philosophique majeur, qui ne resurgira plus désormais que de façon sporadique (chez Nietzsche par exemple) ou déguisée (chez Heidegger) ; il entérine, dans l'époque des restaurations esthétiques et politiques consécutives à l'effondrement de l'Empire, la fin d'un engouement ou d'une mode : « sublime » est peut-être le mot sous lequel s'est placée, par excellence, en Europe la seconde moitié du xviiie siècle, Révolution française et romantisme compris : « sublime » aura désigné la vertu et les élans du sentiment ou du cœur, les émotions de la pensée (Diderot, Rousseau), une nouvelle sensibilité contradictoire (le delightfullhorror de Burke), la fin visée par l'architecture monumentale utopique (la « sublime image » de Boullée), la rêverie mélancolique sur les ruines d'un grand passé (Hubert Robert), le courage civique et la mort héroïque imitée de l'antique (les condamnés de la Terreur), le jeu théâtral selon Talma. Le Marat assassiné de David est sublime, mais aussi le Nouveau Monde que découvre Chateaubriand, ou les projets de fête en l'honneur de l'Être suprême. Ce siècle qu'on dit futile, ou frivole, est tenaillé par la grandeur. C'est peut-être la raison pour laquelle c'est Flaubert, dans les années 1880, qui dira l'immense déception du sublime. On trouve dans Bouvard et Pécuchet ce passage impitoyable :

<it>Abattage dans le parc de Versailles autour du bassin d'Apollon</it>, H. Robert - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Abattage dans le parc de Versailles autour du bassin d'Apollon, H. Robert

<it>Marat assassiné</it>, J.-L. David - crédits : Sergio Anelli/ Electa / Mondadori Portfolio/ Getty Images

Marat assassiné, J.-L. David

« Ils abordèrent la question du sublime.

Certains objets sont d'eux-mêmes sublimes, le fracas d'un torrent, des ténèbres profondes, un arbre battu par la tempête. Un caractère est beau quand il triomphe, et sublime quand il lutte.

– Je comprends, dit Bouvard, le Beau est le Beau, et le Sublime est le très beau.

Comment les distinguer ?

– Au moyen du tact, répondit Pécuchet.

– Et le tact, d'où vient-il ?

– Du goût !

– Qu'est-ce que[...]

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Pour citer cet article

Philippe LACOUE-LABARTHE. SUBLIME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Abattage dans le parc de Versailles autour du bassin d'Apollon</it>, H. Robert - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Abattage dans le parc de Versailles autour du bassin d'Apollon, H. Robert

<it>Marat assassiné</it>, J.-L. David - crédits : Sergio Anelli/ Electa / Mondadori Portfolio/ Getty Images

Marat assassiné, J.-L. David

Laocoon - crédits :  Bridgeman Images

Laocoon

Autres références

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