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SENSIBILITÉ, psychologie et philosophie

En raison du devenir et du changement qui le caractérisent, le sensible est traditionnellement opposé à la fixité et à la permanence de l'intelligible. Dans ces conditions, la sensibilité, comme propriété d'un sujet d'être modifié ou informé par le milieu sensible, peut être opposée à la raison et à ses procédures pour accéder à la vérité. Abordé philosophiquement, le concept de sensibilité permet d'évaluer la pertinence du recours aux sens dans la connaissance. Mais, si cette pertinence est le plus souvent limitée, cela ne doit pas occulter le fait, attesté dans le langage, que la sensibilité est l'élément du sens et que, de ce point de vue, il apparaît problématique de penser une signification indépendamment de tout ancrage sensible (on retrouve la même correspondance dans le terme anglais sense et, dans la langue allemande entre sinnlich et Sinn).

Platon (env. 428-347 av. J.-C.) fixe le sens général de la condamnation métaphysique de la sensibilité lorsque, dans le Phédon(385-370 av. J.-C.), il parle du corps comme du « tombeau de l'âme ». Par là, il veut désigner l'opposition de nature entre la destination authentique de l'âme, qui est de se consacrer aux formes intelligibles et de se mettre ainsi en accord avec sa propre immortalité, et son assujettissement au corps sensible dans la recherche de satisfactions immédiates et évanescentes. Mais il ne suffit pas pour autant d'opposer abstraitement le sensible et l'intelligible. Encore faut-il montrer que le sensible est fondamentalement déficient, et qu'une dimension lui fait défaut que seule la philosophie pourra lui apporter. Ainsi, la simple perception sensible se caractérise par le manque : une égalité entre deux choses réelles n'est jamais parfaite, la beauté d'un corps est nécessairement éphémère. Ce sont donc les idées d'égalité et de beauté qui viennent conférer au sensible une consistance dont il manque dès lors qu'il est considéré isolément. L'intelligible n'est pas l'autre du sensible, mais son fondement, plus précisément encore, sa cause.

C'est contre la mise à l'écart de la sensibilité comme faculté de connaître, plus encore que contre la dévaluation ontologique du sensible, que réagit Aristote (385 env.-322 av. J.-C.). Dans son traité De l'âme, la sensation est définie comme « l'acte commun du sentant et du senti » : elle n'est pas simplement accueil de la matière, mais réception de cette matière dans une forme. À chaque sens correspond un ensemble de sensibles propres (par exemple, les couleurs pour la vue) qui entrent de plein droit dans le processus de la connaissance. Aristote est le premier à parler de la sensibilité comme d'une « faculté » qui appartient en propre à l'âme, même si elle ne suffit pas à caractériser son essence. Il existe donc une authentique connaissance sensible (du sensible et par la sensibilité) qui peut servir de point de départ au savoir. Une thèse que l'on trouvera à l'œuvre dans certaines preuves scolastiques de l'existence de Dieu qui s'élèvent du monde sensible pour accéder à la transcendance.

Mais n'y a-t-il pas dans l'idée d'une faculté sensible de l'âme une équivoque ? En dénonçant le caractère « trompeur » des sens, Descartes (1596-1650) s'attache à définir l'essence de l'âme détachée de toute considération sensible, comme « esprit » et pure faculté de connaître. Dès lors, à la différence de Pascal et de son affirmation d'un Dieu « sensible au cœur », par exemple, la métaphysique classique propose une critique épistémologique de la sensibilité fondée sur l'impossibilité d'accéder au suprasensible (et singulièrement à la connaissance de Dieu) autrement que par des voies purement intellectuelles. Certes, la sensibilité est d'un secours précieux lorsqu'il s'agit d'accéder au contentement[...]

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Michaël FOESSEL. SENSIBILITÉ, psychologie et philosophie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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