HOMÈRE
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« L'Iliade »
« L'Iliade » et l'esprit héroïque
C'est L'Iliade qui a trouvé chez les Anciens la plus grande faveur ; c'est d'elle que nous possédons le plus grand nombre de papyrus comme de manuscrits. C'est elle qui, de L'Énéide à La Henriade, a fourni le modèle de la haute poésie. Certes sa composition se saisit d'un coup d'œil, si nette que l'on se demande comment on a pu la contester. Une seule action, concentrée en quelques grandes journées : l'injure initiale subie par Achille, son retrait des combats, la défaite qui menace les Achéens, l'intervention et la mort de Patrocle ; pour la venger, le combat singulier d'Achille et d'Hector, couronnement longuement attendu ; enfin, grâce aux jeux funéraires et à la clémence d'Achille, l'apaisement des passions recherché des Grecs. Mais l'auditeur qui se laissait simplement aller à la narration, ce qui l'a captivé, n'est-ce pas la fréquentation des héros et des dieux ?
Que l'on ne se méprenne pas à ce mot de héros. L'Iliade ne représente pas des hommes parfaits. Pas davantage des monstres parfaits. Les plus grands ont leurs défauts et leurs faiblesses. Le plus violent, Achille, a ses moments de douceur, de mélancolie ou de chagrin profond. Pas d'obéissance passive ; en pleine guerre on discute de tout, et avec une éloquence naturelle qui fait présager la naissance de la tragédie. L'Iliade est certes remplie de batailles, de morts violentes rapportées avec un sens presque chirurgical des blessures infligées ; mais elle n'est ni belliciste ni sanguinaire. Elle a le goût de la prouesse individuelle ; mais elle l'applaudit tout autant sur le terrain de jeux que sur le champ de bataille. L'ardeur au combat saisit les troupes aux débuts de journée, surtout quand des divinités l'attisent ; mais, chaque fois que l'aède parle de la guerre ou de la mêlée, il dispose pour la qualifier d'un luxe d'épithètes qui insistent sur son horreur. L'épopée ne s'achève pas sur la victoire d'Achille (présage, au demeurant, de sa mort prochaine), mais sur le respect témoigné à sa victime par les dieux qui en préservent le corps, et surtout sur le renoncement du héros à sa vengeance. C'est avec délicatesse et courtoisie qu'il restitue au vieux Priam la dépouille d'Hector. Première manifestation de cette vertu que les Grecs appelaient philanthropia : amour de l'humanité, et à laquelle ils ont toujours tenu. Les horreurs dont l'épopée est pleine sont rapportées sans joie ni gémissements. Elles font partie des souffrances humaines, dont le poète et ses auditeurs ont une connaissance profonde et qu'ils endurent sans illusions. Elles tiennent souvent, et ils le savent, à nos propres folies. Mais l'égarement, quand il dépasse les limites ordinaires, est l'effet d'interventions divines.
L'Iliade comme l'Odyssée ont donné lieu à de multiples variations et réinterprétations dans tous les domaines de l'art. De provenance inconnue, ce sarcophage inspiré du chant XXIV de l'Iliade montre l'ambassade de Priam auprès d'Achille ; la restitution du corps d'Hector (photo) ;...
Crédits : Erich Lessing/ AKG-Images
Les dieux parmi les hommes
Les dieux prennent une part active à la guerre de Troie. Ils descendent à l'occasion dans la bataille. Parfois même, puisqu'ils ont des préférences contraires, ils s'affrontent. Quand Athéna monte sur le char de Diomède, ce n'est pas, comme Krishna dans la Bhagavad-Gītā, pour lui donner un enseignement spirituel, mais bien pour tenir avec lui la lance dont il blesse Arès – et quelle meilleure preuve donner des sentiments de l'aède que la façon dont il ridiculise le dieu de la guerre ? On aurait tort de prendre ces théophanies pour les purs artifices littéraires qu'elles deviendront plus tard. Le poète de L'Iliade, dont tout donne à penser qu'il avait fait la guerre, n'avait peut-être jamais vu un dieu combattre près de lui, mais il ne tenait pas le fait pour impossible, ni encore après lui les Grecs de Salamine. Quand les dieux ne combattent pas, ils comptent les coups ; Zeus surtout, qui intervient pour retarder ou accélérer l'action, et qui pèse le sort des héros affrontés quand l'un des deux doit mourir. Ne fait-il alors que constater le jeu d'une force qui le contraindrait lui aussi, cette Destinée nulle part définie dont on fait trop facilement une Nécessité abstraite ? L'âge n'est pas encore à la métaphysique. Ce qui est sûr, c'est que Zeus pourrait sauver son fils Sarpédon de la mort, mais Héra lui déclare : « Fais ; mais nous, les autres dieux, ne t'approuverons pas tous. » Il cède : il y a [...]
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Écrit par :
- Pierre CARLIER : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur d'histoire grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
- Gabriel GERMAIN : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Rennes
- Michel WORONOFF : professeur à la faculté des lettres, président honoraire de l'université de Franche-Comté
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Pour citer l’article
Pierre CARLIER, Gabriel GERMAIN, Michel WORONOFF, « HOMÈRE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 juin 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/homere/