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HOMÈRE

« L'Odyssée »

Un poème fantastique et romanesque

N'était que L'Odyssée se rattache au cycle troyen, on aurait pris l'habitude de dire : c'est en son milieu le premier roman d'aventures fantastiques, et, en même temps, dans beaucoup de passages, le premier poème de la vie rurale. Sans le massacre final des prétendants et quelques rappels de la guerre de Troie, on ne se croirait plus obligé aujourd'hui de classer L'Odyssée dans le genre épique. Comme bien des romans modernes, elle n'apporte pas grande rigueur dans la chronologie du récit ou l'ajustement des détails. Sa composition, moins linéaire que celle de L'Iliade, a prêté plus facilement au dépeçage des « analystes ». Les quatre premiers chants font assister au départ de Télémaque à la recherche de son père. Les quatre suivants conduisent Ulysse de chez Calypso jusqu'au pays des Phéaciens, au prix d'un naufrage. C'est à leur roi Alkinoos qu'il raconte lui-même, durant quatre autres chants, ses neuf années d'épreuves après la prise de Troie ; le poète crée ainsi la longue narration à la première personne, dont la fortune n'a pas cessé. Les douze derniers chants rapportent le retour d'Ulysse à Ithaque, la préparation et l'exécution de sa vengeance avec le concours de Télémaque opportunément rentré. C'est ici que s'annonce souvent la poésie bucolique.

L'imagination odysséenne

Au sortir de L'Iliade où l'inspiration héroïque domine tout, L'Odyssée frappe par l'extrême variété des thèmes. On passe du Cyclope mangeur d'hommes, des tempêtes et des naufrages, du rivage même des Morts à une cour raffinée ou à la cabane d'un berger tout aussi courtois. Les servantes du château se livrent devant nous aux travaux domestiques, tandis que les dames dirigent la lessive et soignent les bons serviteurs. Avant tout, ce qui témoigne, par rapport à L'Iliade, d'un esprit tout différent, c'est l'abondance des thèmes fantastiques : monstres humains et animaux, fruits enchantés, breuvage et baguette magiques, métamorphoses, évocation des Morts, navires qui se dirigent sans pilote. Toutes ces merveilles au milieu d'une mer inconnue et vide, où l'on entre par le pays de l'oubli pour ressortir dans le sommeil. Or dans L'Iliade les dieux agissent en hommes plus forts que nous, non pas en magiciens. Peu de prodiges, et réservés à des circonstances solennelles. Le voyage d'Ulysse aux abords des Enfers engendrera la haute postérité littéraire que l'on sait ; mais le poète la traite comme une succession d'apparitions fantomatiques sans la moindre profondeur religieuse. Autre fait notable : pendant ses aventures maritimes, Ulysse n'a plus auprès de lui sa protectrice habituelle, Athéna ; mais à peine a-t-il débarqué à Ithaque, la voilà qui l'aide à cacher les trésors qu'il rapporte – abandon et camaraderie qui ne sont pas non plus dans l'esprit de L'Iliade.

Ulysse et l'unité du poème

Absent ou présent, Ulysse domine tout le poème ; rien ne s'y fait que pour lui. C'est le héros persévérant. En vingt ans de guerre et d'aventures, il ne désespère jamais. Curieux de tout, incapable de fuir devant les épreuves les plus inattendues ou d'abandonner les siens, il se tire d'affaire par le courage, le savoir-faire, la ruse au besoin, mais jamais basse. Il est celui qui « supporte ». C'est sa grande vertu. La deuxième, c'est sa fidélité conjugale : il refuse l'immortalité chez Calypso pour rejoindre Pénélope ; les dieux prolongent la nuit où les époux se retrouvent. C'est une des grandes leçons du poème. Il exerce une vengeance implacable contre les prétendants, mais il interdit de pousser sur leur corps un cri de victoire : « La divinité le défend. » Même déguisé en mendiant, il garde[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur d'histoire grecque à l'université de Paris-X-Nanterre
  • : professeur honoraire à la faculté des lettres et sciences humaines de Rennes
  • : professeur à la faculté des lettres, président honoraire de l'université de Franche-Comté

Classification

Pour citer cet article

Pierre CARLIER, Gabriel GERMAIN et Michel WORONOFF. HOMÈRE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Le Rachat du corps d’Hector</em> - crédits : Erich Lessing/ AKG-Images

Le Rachat du corps d’Hector

Heinrich Schliemann - crédits :  DigitalVision Vectors/ Getty Images

Heinrich Schliemann

Homère - Asie mineure - crédits : De Agostini/ Getty Images

Homère - Asie mineure

Autres références

  • HOMÈRE (P. Carlier)

    • Écrit par Hervé DUCHÊNE
    • 1 055 mots

    « Homère : n'a jamais existé. » Cette formule péremptoire se lit dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, qui la complète en ajoutant à propos du père de l'Iliade et de l'Odyssée : « Célèbre par sa façon de rire : un rire homérique. » La notice souligne avec humour...

  • ILIADE, Homère - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-François PÉPIN
    • 974 mots

    Au milieu du viiie siècle avant J.-C., un poète grec venu d'Asie Mineure, Homère, aurait composé en hexamètres dactyliques deux magistrales épopées, l'Iliade et l'Odyssée, mais le mystère entoure encore aujourd'hui ces deux textes : Homère a-t-il réellement existé ? A-t-il...

  • ODYSSÉE, Homère - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-François PÉPIN
    • 1 125 mots
    • 2 médias

    Comme L'Iliade, L'Odysséeaurait été vraisemblablement composée au milieu du viiie siècle avant J.-C. par le poète grec Homère. Cette épopée de vingt-quatre chants, en hexamètres dactyliques, relate le retour d'Ulysse à Ithaque après la guerre de Troie. Avant de retrouver son foyer,...

  • HOMÈRE (exposition)

    • Écrit par Hervé DUCHÊNE
    • 1 268 mots
    • 1 média

    Homère fut, selon la formule de Platon, le maître d'école de la Grèce. Dans l’Europe du xxie siècle, il reste, malgré le déclin de l’enseignement des langues anciennes, une autorité. Il faut revenir à cette origine dont nous sommes les héritiers, car, de Il Ritorno d’Ulisse in...

  • ACHÉENS

    • Écrit par Andrée POUGET
    • 2 530 mots
    D'abord, celui des rapports entre le monde mycénien et le monde homérique. Peut-on utiliser Homère pour étudier les Achéens ? L'important ouvrage de Wace et Stubbings, A Companion to Homer (1963), a posé encore une fois ce problème et, encore une fois, l'a laissé sans solution. Deux tendances...
  • ACHILLE

    • Écrit par Universalis
    • 506 mots
    • 3 médias

    Fils de Pélée, roi des Myrmidons, et de la Néréide Thétis ; c'était le guerrier le plus grand, le plus courageux et le plus beau de l'armée d'Agamemnon devant Troie. Selon Homère, il fut élevé par les soins de sa mère, en même temps que son cousin et inséparable ami ...

  • ÂME

    • Écrit par Pierre CLAIR, Henri Dominique SAFFREY
    • 6 020 mots
    Chez Homère, notre plus ancien témoin qu'il faut situer au-delà de 700 avant J.-C., ce que nous appelons « âme » (du latin anima, apparenté au grec ἄνεμος, vent, souffle) est en fait dédoublé et exprimé par deux mots grecs : le θυμός, qui signifie passion, volonté...
  • APOLLON, mythologie grecque

    • Écrit par Robert DAVREU
    • 798 mots
    • 1 média

    Expression la plus haute et la plus achevée de ce que fut le génie grec, Apollon apparaît, avant même la période classique, comme un dieu proprement hellène. En lui, toute trace d'une origine asiatique, si sensible chez d'autres divinités, Dionysos notamment, a été estompée, et ce dès avant les...

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