CERVEAU HUMAIN
Comprendre l'organisation du tissu cérébral et sa logique est l'une des questions centrales de la neurobiologie moderne. Or le cerveau humain est la structure vivante la plus complexe que nous connaissons. Cet organe n'est pas homogène et sa complexité s'exprime par la juxtaposition de différents territoires dont les fonctions sont plus ou moins bien spécifiées.
Les cellules nerveuses sont nommées neurones et, bien que leur fonctionnement dépende d'un autre type cellulaire (les cellules gliales), tout indique que le neurone est l'unité fonctionnelle à l'origine des différentes fonctions que réalise le système nerveux. Rappelons que le cerveau humain comprend des milliards de neurones (de 1011 à 1012), répartis localement en circuits. Ces derniers correspondent soit aux régions corticales, s'ils sont arrangés en strates parallèles ou en colonnes profondes, soit aux noyaux, s'ils sont regroupés en amas moins structurés. Cependant, régions corticales et noyaux profonds sont certes un premier niveau d’organisations nerveuses, mais ils ne constituent pas des entités fonctionnelles indépendantes et communiquent grâce à des connexions multiples établies par des projections d'axones pour former des systèmes organisés sous formes de réseaux. Le second niveau de structure, auquel ces voies sont connectées est dit central. Il est formé par les centres nerveux : chez l'homme, la moelle épinière et l'encéphale. Situé dans la boîte crânienne, ce dernier comprend le télencéphale avec ses deux hémisphères cérébraux, droit et gauche, se rattachant l'un à l'autre par le corps calleux, en dessous duquel est le diencéphale, puis le tronc cérébral et, dorsalement sur celui-ci, le cervelet.
Sur la base de données anatomiques et fonctionnelles, on a distingué deux régions cérébrales. La partie la plus externe du cerveau, le cortex cérébral, qui enveloppe l'ensemble de la masse cérébrale, est constituée de réseaux relativement peu sensibles aux régulations génétiques. En revanche, elle est constamment remodelée par l'expérience du sujet. Les réseaux neuronaux du cortex cérébral sont donc instables, malléables, partiellement innés mais largement influencés par des facteurs épigénétiques. À l'inverse, les régions plus profondes du cerveau, en position interne et basale par rapport au cortex, autrement dit le cerveau basal, ne réagissent structurellement que très peu aux changements qu'ils soient environnementaux ou expérimentaux ; ces structures sont stables, génétiquement spécifiées et d'origine évolutive ancienne (cf. système nerveux - Neurogenèse). On a qualifié abusivement ce cerveau, ici dénommé « basal », de reptilien. Nous verrons comment ses territoires sous-corticaux, en gérant la totalité des grandes fonctions vitales, assurent la parfaite adéquation d'un sujet à son milieu.
On sait aujourd'hui, grâce à la génétique inverse, qu'un même génotype peut donner naissance à un très grand nombre de phénotypes au niveau cérébral, ou à un seul phénotype capable de s'adapter de façon continue par des modifications épigénétiques. Cette réciprocité entre gène et épigenèse montre à quel point il est indispensable de tenir compte des mécanismes de développement qui participent à la construction des réseaux neuronaux du cerveau adulte pour mieux appréhender l'ensemble des comportements de type adaptatif. Notons ici que la notion d'adaptation de l'organisme à son milieu environnant (l'individuation) intéresse, avant tout, le système nerveux central (SNC) qui est le seul à pouvoir intégrer et gérer les informations du monde extérieur. En d'autres termes, comprendre l'individuation considérée comme le résultat de processus cognitifs (perception, langage, mémoire, conscience...) revient à chercher à comprendre comment l'histoire d'un sujet s'inscrit dans son SNC. Or cette histoire est consignée dans les structures profondes du cerveau basal qui participent à la gestion des rapports corporels, extracorporels et temporels de l'organisme avec son environnement.
Pour rendre compte des particularités anatomiques et fonctionnelles du système nerveux, il convient d'en distinguer les deux composantes, l'une, centrale et l'autre, périphérique. La composante périphérique inclut, d'une part, les neurones sensitifs, connectant le SNC aux récepteurs sensoriels et, d'autre part, les neurones qui innervent les muscles et les viscères. On décrit sans difficulté voies sensitives et voies motrices grâce à une simple section des nerfs, ou des transects localisés pratiqués sur les centres nerveux, qui permettent de distinguer (comme l'a montré Magendie) les voies sensitives centripètes et les voies motrices (ou inhibitrices) centrifuges. La seconde composante à laquelle ces voies sont connectées est dite centrale car elle est formée par les centres nerveux : la moelle épinière et l'encéphale.
En raison de l'importance du cortex cérébral, sont désignées comme basales toutes les structures situées dans la partie médiane du cerveau qu'encadrent et cachent les deux hémisphères cérébraux. Elles comprennent d'arrière en avant et de bas en haut le tronc cérébral (fig. 1), le diencéphale, le système limbique et les ganglions de la base dont nous analyserons successivement le rôle. Ces régions sous-corticales se définissent par des neurones non plus stratifiés comme dans le cortex cérébral, mais regroupés en noyaux.
Comme toute classification, cette division du cerveau des mammifères en cortex, d'une part, et régions basales, d'autre part, a ses limites. Si elle rend bien compte des observations anatomiques, elle ne correspond pas toujours à une réalité fonctionnelle. Le système limbique, par exemple, comprend à la fois des territoires corticaux et des territoires sous-corticaux. On envisagera néanmoins séparément ici les propriétés des structures sous-corticales en insistant sur les règles qui régissent leur organisation et les grandes fonctions qu'elles exercent en relation avec le cortex. À celui-ci sera consacrée la deuxième partie de cet article. On examinera ensuite comme l'imagerie permet de voir le cerveau fonctionner.
Le cerveau basal
Le tronc cérébral
Le cerveau, avec ses deux hémisphères, repose sur une région nommée tronc cérébral, constituée, d'avant en arrière, par le mésencéphale, le pont et le bulbe rachidien. Ce dernier rejoint, en passant par le trou occipital, le canal rachidien et se prolonge par la moelle épinière. Celle-ci est parcourue par des voies descendantes, qui acheminent les signaux électriques du cerveau vers les neurones moteurs, et des voies ascendantes, qui transportent les informations sensorielles en provenance du corps et du monde extérieur vers le cerveau. Bien que son volume soit relativement faible par rapport au cerveau, le tronc cérébral est une structure essentielle pour la survie d'un individu. Une lésion accidentelle de cette structure nerveuse en témoigne.
Dans le tronc cérébral, plusieurs noyaux occupent l'espace laissé vacant par les faisceaux de fibres. Ils participent aux grandes fonctions végétatives et permettent l'intégration des signaux corporels. Ils sont constitués de noyaux sensoriels et moteurs qui prennent en charge de nombreux traitements de signaux en rapport avec des fonctions oculaires, des fonctions vestibulaires (celles de l'oreille interne) et auditives, mais aussi la sensibilité et le contrôle moteur de la face, de la bouche, de la gorge, du système respiratoire et du cœur. À côté de ces noyaux, qui sont reliés aux nerfs crâniens (cf. tronc cérébral), des groupes de neurones à large spectre d'action sont également présents. Ces derniers, qui reçoivent des informations de tout ce qui monte au cerveau ou en descend, projettent (c'est-à-dire communiquent par leurs ramifications) de façon diffuse sur le cerveau d'une part et la moelle épinière d'autre part. Leurs extrémités libèrent des neuromédiateurs aminergiques (catécholamines, sérotonine, acétylcholine), qui transmettent des instructions de type « modulatoire », et à large spectre de diffusion spatio-temporelle (on parle de cerveau « flou »).
Les structures du tronc cérébral associées à l'ensemble des régions profondes médianes du cerveau interviennent ainsi de façon complexe dans ce qu'il est convenu d'appeler des états de conscience : sommeil, veille, attention. Leurs lésions provoquent des pathologies neurologiques très diversifiées, qui vont du coma (cf. coma) profond à l'état végétatif persistant, en passant par de curieux états où le sujet, qui a perdu totalement l'usage de ses muscles, conserve intacte sa conscience du monde tout en demeurant prisonnier de son corps (syndrome locked-in).
Le tronc cérébral est le premier territoire dans lequel un agrégat de noyaux signale l'état corporel global qui est transmis par les voies nerveuses adéquates que sont le nerf trijumeau, assumant des fonctions de relation, et le nerf pneumogastrique, régulateur des fonctions végétatives. Dans cette région se trouve la formation réticulée constituée d'un réseau de neurones occupant l'espace laissé libre par les faisceaux ascendants et descendants et par les noyaux. La conception classique de la formation réticulée a été forgée par une série d'expériences remarquables réalisées à la fin des années 1940 par Magoun et Moruzzi. Selon ces chercheurs, cette formation serait à la fois un système d'intégration d'informations convergentes des faisceaux ascendants et d'activation divergente assurant le maintien en éveil de l'ensemble du cerveau grâce aux projections diffuses sur la totalité des régions cérébrales. Ce système aurait donc la charge d'éveiller et de mettre « sous tension » le cortex cérébral afin que la perception, l'action volontaire, voire la pensée, soient possibles.
Si cette formation n'a plus pour les neurobiologistes modernes un statut d'activateur non spécifique et universel, elle demeure néanmoins impliquée dans les processus généraux d'attention. Nous savons par exemple que l'activation de noyaux spécifiques suffit à influencer les cycles de veille et de sommeil. Il s'agit par exemple des neurones cholinergiques de la région pédonculo-pontine ainsi que des noyaux associés à la distribution de norépinéphrine (le locus coeruleus) et de sérotonine (le noyau du raphé). De plus, sa contribution à l'homéostasie du milieu intérieur ne reste pas moins évidente au travers des nombreux sous-systèmes organisés hiérarchiquement dans le tronc cérébral. Il importe enfin de remarquer que l'association de la formation réticulée avec les corps striés (ou striatum), qui flanquent, en position sous-corticale, dans les hémisphères cérébraux, le diencéphale, participe à la motricité d'origine corticale et forme le substrat anatomique (nommé complexe striatal) des comportements adaptatifs majeurs de l'individu et de l'espèce sur lesquels nous reviendrons plus loin. De façon remarquable, les phénomènes moteurs qui en émanent (cf. plus loin « ganglions de la base ») ont tous un caractère automatique et stéréotypé, offrant une base stable aux répertoires comportementaux pour chaque espèce. Ces répertoires interviennent durant les phases d'action : choix du territoire, chasse, nidification et attaque face à une proie, par exemple. Ainsi, le complexe striatal pourrait bien être le conservatoire des actes et passions ancestraux transmis au sein d'une même espèce.
Le diencéphale : un cerveau à la fois végétatif et affectif
De haut en bas, le diencéphale est subdivisé en deux parties : le thalamus et l'hypothalamus (cf. fig. 1). Situé dans la partie dorsale du diencéphale, le thalamus (du grec thalamos, « chambre intérieure ») est un véritable portail contrôlant les entrées et les sorties du néocortex. Toutes les afférences sensorielles (à l'exception notoire du système olfactif) transitent par le thalamus avant d'atteindre les aires réceptrices des cortex sensoriels primaires. De façon surprenante, chacune des modalités sensorielles possède sa propre région dans le thalamus. Par exemple, le corps genouillé médian du thalamus reçoit les informations de l'oreille interne pour les transmettre au cortex auditif primaire, tandis que la partie latérale du corps genouillé reçoit des informations provenant de la rétine et envoie des axones vers le cortex visuel primaire.
Si la majorité des informations reçues par le thalamus proviennent des systèmes sensoriels, c'est également un relais pour d'autres centres nerveux comme le cervelet, les ganglions de la base ou les lobes temporaux qui établissent avec le thalamus des connexions réciproques. Soulignons aussi que les noyaux des relais sensoriels du thalamus n'envoient pas seulement des fibres vers le cortex, mais qu'ils reçoivent, en retour, de puissantes projections descendantes des aires corticales. C'est dans le noyau réticulaire thalamique que les projections cortico-thalamiques rétroactives contrôlent l'activité thalamique. Cette régulation est permise grâce aux neurones réticulaires qui produisent une puissante inhibition des sorties thalamiques envoyées aux cortex. Elle permet donc de filtrer le flux d'informations sensorielles destinées aux différentes aires sensorielles primaires corticales.
Sous le thalamus se trouve l'hypothalamus qui rassemble toutes les régulations viscérales participant à l'homéostasie du milieu intérieur. Véritable centrale végétative, il joue un rôle fondamental dans l'intégration des fonctions somatiques, autonomes et endocriniennes car il reçoit des informations provenant des différents viscères et répond directement aux variations du milieu intérieur. Par exemple, la régulation de la masse graisseuse sur le long terme a été mieux comprise grâce à la découverte d'une hormone, la leptine, sécrétée par les cellules graisseuses et qui communique directement avec l'hypothalamus pour freiner la prise alimentaire.
L'hypothalamus a également la possibilité d'agir sur le reste de l'organisme, par l'intermédiaire des systèmes endocrine et nerveux végétatif dont il contrôle le fonctionnement. Tandis qu'une extension du plancher de l'hypothalamus (l'hypophyse postérieure ou neurohypophyse) libère deux hormones majeures, l'ocytocine et la vasopressine, impliquées dans les régulations fines de l'allaitement, de la parturition et de la pression sanguine, d'autres régions hypothalamiques contrôlent les sécrétions de la glande pituitaire (ou hypophyse antérieure). L'hypothalamus contribue en fait à organiser la représentation mentale du corps en entretenant un registre courant de l'état de l'individu selon trois dimensions, corporelle, extracorporelle et temporelle, registre par lequel celui-ci déploie sa subjectivité, comme l'a montré Jean-Didier Vincent, dans Biologie des passions.
Ce qui donne un caractère unique à l'hypothalamus est sa participation à l'expression des émotions et des réactions sexuelles. Les travaux précurseurs de Walter Rudolf Hess (1932) représentent la première étude systématique sur les effets induits par la stimulation des aires hypothalamiques chez l'animal éveillé. Par cette démarche pionnière, Hess a montré qu'il était possible d'induire électriquement des comportements émotionnels chez l'animal, comportements dus en grande partie au système végétatif. Les manifestations ainsi induites exprimaient la peur ou la défense par des grognements, des sifflements ou une piloérection. Elles se traduisaient aussi par la recherche de nourriture ou de boisson hors de tout besoin et par diverses autres réactions : vomissement, défécation, miction et hyper-sexualité. Depuis cette époque héroïque, des travaux plus approfondis sur les effets produits par la stimulation ou l'ablation des aires hypothalamiques ont été menés. Des résultats contradictoires ont souvent été enregistrés. Ces divergences sont dues au fait que cette zone d'investigation demeure la plus complexe du cerveau. Les nombreux centres hypothalamiques sont très proches les uns des autres et assurent, le plus souvent, des fonctions différentes voire opposées. Néanmoins, la synthèse des résultats les plus récents montre que l'hypothalamus joue un rôle déterminant dans la résistance à l'agression et l'organisation des réactions somatomotrices et viscéromotrices des états émotionnels. La classique distinction, proposée par Hess en 1957, entre l'hypothalamus postérieur ergotrope catécholaminergique, lié plus spécifiquement au système orthosympathique et mis en jeu dans les situations d'actions et d'urgence, et l'hypothalamus antérieur trophotrope cholinergique, lié au système parasympathique et mis en jeu pendant les opérations de métabolisme, de digestion, d'évacuation et de sommeil, reste toujours valable. Elle rend parfaitement compte de l'importance de l'hypothalamus pour l'homéostasie, cela au travers de ces fonctions de maintien non seulement de l'ordre végétatif du corps mais aussi de la vie affective.
Cette dualité nous conduit à aborder les relations entre la motivation vis-à-vis de l'environnement et la récompense reçue de celui-ci. Si, pendant des années, on a pu penser que le plaisir était lié à la valeur utilitaire des comportements, une biologie plus pertinente du plaisir dissocie aujourd'hui plaisir et satisfaction du besoin. Cette nouvelle vision repose, entre autres, sur les expériences d'autostimulation qui consistent à implanter des électrodes permettant à un animal de stimuler, en appuyant sur un levier, certaines régions cérébrales. Dès la première stimulation, l'animal continue à appuyer sur cette pédale jusqu'à plusieurs centaines de fois par heure, cela pendant plusieurs heures. L'animal devient donc véritablement « prisonnier » de son propre comportement, rappelant au passage les processus compulsifs liés aux différents états de dépendance (cf. addiction).
La région cérébrale impliquée correspond à la trajectoire des neurones du cerveau moyen qui synthétisent et libèrent la dopamine. Plus précisément, ce territoire nommé « coquille » du nucleus accumbens participe à la genèse de nos émotions en raison de ses liens avec l'amygdale et le système limbique. Comme nous le verrons plus loin, en revanche, puisque la partie centrale (nommée « noyau ») est impliquée dans le contrôle moteur de nos activités, le nucleus accumbens se comporte comme une interface entre la motivation (c'est-à-dire le désir) et l'action. Il joue un rôle crucial en détectant la dopamine libérée et en réglant le contact sélectif du cerveau avec le monde extérieur.
Rappelons que le désir est d'abord un désir de récompense lié au manque et que le plaisir est associé à la satisfaction de ce manque. Le premier exprime un besoin du corps : eau, matériaux, énergie nécessaire à l'entretien de la vie. La finalité du désir serait donc le plaisir, et le choix du comportement serait dicté par le plaisir qu'il procure. Cependant, cette définition pourrait ne pas être universelle. Selon certains psychologues, l'autostimulation activerait en parallèle désir et plaisir. Dans ce cas, le désir ne serait donc pas toujours lié au besoin, et le plaisir ne viendrait pas forcément de la satisfaction de ce besoin. Cette activation réciproque du couple désir-plaisir pourrait ainsi expliquer le caractère insatiable de l'autostimulation et le côté « gratuit » du plaisir. L'analyse détaillée de l'effet psychostimulant des drogues de « récompense » (cocaïne ou amphétamines, par exemple) a apporté un substrat neurochimique à la distinction entre un comportement de motivation (ou de désir) et les comportements qui causent le plaisir associé à la consommation de la drogue. Le premier est de l'ordre du désir pur et relève des voies dopaminergiques, alors que le second, lié à la consommation et à la satisfaction d'un besoin, dépend des voies qui libèrent les endorphines (cf. opioïdes). Pratiquement, dans les conditions normales, ces deux systèmes fonctionnent de façon synergique et les récompenses naturelles ont deux issues : la première relève du désir et se trouve être fortement associée aux caractères de l'objet convoité, alors que la seconde est liée à la consommation et aux conséquences physiologiques et métaboliques de la satisfaction d'un besoin. La première voie, de nature dopaminergique, vise principalement l'aspect incitatif, c'est-à-dire les comportements d'approche et d'appropriation des objets. La seconde voie, de nature opiacée, rend compte principalement de la satisfaction d'un besoin de l'organisme, donc le comportement homéostatique.
Enfin, soulignons que tout facteur responsable d'un état affectif donné, plaisant par exemple, crée parallèlement un processus inverse, déplaisant dans ce cas. Le processus inverse se développe après une certaine latence et persiste après l'arrêt du stimulus, provoquant un effet rebond (le bien-être qui suit la douleur du marathonien par exemple). Cette seconde composante s'accroît avec la répétition et tend progressivement à effacer le processus primaire. Il faut alors des stimulations de plus en plus importantes pour provoquer une réponse primaire chez le sujet devenu tolérant, pendant que l'effet secondaire s'accuse, responsable de la souffrance (J.-D. Vincent, La Chair et le diable).
Le système limbique
Selon Paul MacLean (1958), théoricien d'un cerveau en trois parties selon des critères évolutifs, le système limbique correspond au cerveau paléo-mammalien, siège des motivations et des émotions. Il est capable de répondre à une information présente en faisant appel au souvenir d'informations passées. Il intervient donc dans le traitement émotionnel, l'apprentissage et la mémoire.
Le système limbique est formé par l'association complexe de centres nerveux et de leurs voies de communication qui bordent (bordure en latin se dit limbus) le tronc cérébral. Ce système, qui est situé à la base du cortex cérébral, fait partie d'un ensemble neuro-anatomique fonctionnel, nommé grand lobe limbique par Paul Broca en 1878 (cf. fig. 1). Deux structures nerveuses paires et symétriques, situées dans les régions médianes du cerveau, sont au cœur des processus émotionnels : l'hippocampe et l'amygdale. Le premier a en charge la gestion du territoire et des cartes relationnelles du sujet avec le monde. Il est aussi fortement impliqué dans la formation des souvenirs. La seconde est enfouie dans les profondeurs de chaque lobe temporal. Les deux amygdales servent à reconnaître les émotions et notamment la peur sur le visage de l'autre, à l'exprimer et à établir des conditionnements associés à des situations qui n'ont en elles-mêmes rien d'effrayant. Grâce à ces structures, le sujet apprend à associer le plaisir et la souffrance à un objet ou une situation et à estimer l'intensité et la valeur (hédonique ou aversive) d'un stimulus.
La formation hippocampique
L'hippocampe, ainsi nommé pour sa forme qui rappelle celle de l'animal marin qui porte ce nom, reçoit des entrées provenant de pratiquement toutes les régions du cortex cérébral, qui circulent le long d'une séquence de trois synapses successives. Comme l'indiquent les données anatomiques, l'hippocampe fonctionne en boucle, à la façon d'une rotonde dans laquelle on entre et sort en tournant. Son rôle peut se résumer à celui d'un comparateur entre l'état du monde et sa valeur affective. Le premier lui est fourni par des données en provenance du cortex sensoriel, la seconde grâce à des connexions à double sens avec le nucleus accumbens.
La ronde des influx nerveux dans le circuit hippocampique s'accomplit de façon rythmique par périodes de 10 à 200 millisecondes. Cette activité oscillante jouerait un rôle important dans la formation des souvenirs ; elle est particulièrement marquée au cours des phases de rêve et laisse entrevoir un lien possible entre la mémoire et les rêves. Compte tenu de ses interconnexions avec le cortex cingulaire et avec les corps mamillaires, l'hippocampe joue très certainement un rôle majeur dans les traitements émotionnels et dans la mémoire.
Relations entre tronc cérébral et système limbique
L'appétit, les comportements sexuels (et consommatoires en général) et les stratégies de défense mises en place au cours de l'évolution sont tous dépendants des interactions entre le tronc cérébral et le système limbique. Il s'agit d'un système de contrôle relié à un grand nombre d'organes internes, au système endocrine et au système neurovégétatif. Cet ensemble règle les rythmes cardiaque et respiratoire, la transpiration, les fonctions digestives et autres, ainsi que les cycles corporels associés au sommeil et à l'activité sexuelle. Les circuits de l'ensemble tronc cérébral-système limbique forment des boucles au temps de réaction lent (de quelques secondes à quelques mois) et dépourvus de précision topographique (absence de carte). Ils ont été sélectionnés, au cours de l'évolution, de façon à privilégier les besoins internes de l'organisme mais non à s'ajuster aux multiples signaux variables qui proviennent du monde extérieur. Ces systèmes sont apparus précocement au cours de l'évolution afin d'assurer les besoins de l'organisme dans un environnement changeant.
Amygdale
L'amygdale, ainsi nommée par allusion à sa forme en amande, est le centre nerveux qui prépare à l'action. Elle est nichée à la partie interne du lobe temporal. Cette structure entretient un double rapport avec l'hypothalamus : rapport direct mais aussi indirect (par l'intermédiaire des stries terminales). Sa stimulation produit des effets mixtes selon la composante ortho-sympathique ou para-sympathique du système végétatif qui est sollicitée. À l'inverse, son ablation, comme celle de la plupart des structures limbiques, réduit la peur et l'anxiété. La subdivision de l'amygdale, proposée par Brodal en 1881, entre les groupes médian-cortical et baso-latéral, est essentielle car elle confirme les différentes observations réalisées à partir de stimulations ou ablation de ces régions.
Pour résumer, nous pouvons reprendre l'hypothèse simplifiée de MacLean, formulée en 1966, selon laquelle le système limbique comprend deux composantes qui entraînent des effets soit plaisants, soit déplaisants. Les noyaux du septum, le faisceau cérébral médian et l'hypothalamus peuvent produire des affects agréables et les émotions qui leur sont associées ont souvent une forte coloration sexuelle. À l'inverse, l'activation de l'amygdale et ses efférences, en partie par les stries terminales, produisent des réactions de rejet et de dégoût amenant le sujet dans certains cas, à des comportements violents incontrôlables.
Enfin, on notera que cette présentation sur l'origine des affects est restée particulièrement centrée sur le système limbique et ses structures associées. Il est cependant nécessaire de rappeler ici que les affects sont aussi à considérer dans leurs dimensions cognitives et dans leur relation à la conscience. Conformément à l'hypothèse de l'interaction dualiste, les affects seraient liés à la mise en jeu de modules du néocortex dans une organisation spatio-temporelle unique.
Les ganglions de la base
Le système des ganglions de la base (appelé aussi noyaux gris centraux) est un ensemble de noyaux cérébraux qui se situe à la base du télencéphale, sous les régions antérieures des ventricules latéraux (cf. fig. 1). Ils comprennent trois subdivisions principales : le globus pallidus, le noyau caudé et le putamen. Le noyau caudé et le putamen constituent ce qu'il est convenu d'appeler néostriatum car ils sont phylogénétiquement les plus récents. Avec le globus pallidus (ou paléostriatum), ils forment le striatum.
Les ganglions de la base contribuent aux traitements des processus moteurs qui comprennent le contrôle de la préparation et de l'élaboration des mouvements volontaires. Des processus de programmation des stratégies motrices y sont exécutés. Ils consistent à traiter et à filtrer diverses informations sensorielles. Ces structures ont également un rapport avec l'apprentissage, en particulier dans les tâches d'apprentissage moteur (mémoire dite procédurale). De graves dysfonctionnements moteurs (par exemple les troubles obsessionnels compulsifs) ont ainsi été mis en évidence lors de lésions affectant l'une ou l'autre de ces subdivisions. Chez l'homme, une réduction des projections afférentes dopaminergiques vers le striatum (qui est le déficit dont souffrent les parkinsoniens) conduit à des tremblements, à de la rigidité, à de l'akinésie et à une diminution du contrôle volontaire des mouvements. En fait, la partie dorsale du striatum est plutôt liée à des fonctions strictement motrices alors que le domaine ventral est associé à des fonctions comportementales. Ce dernier est l'une des zones de projection des afférences dopaminergiques liées aux systèmes de motivation et de récompense. Il entretient des relations bidirectionnelles avec les structures limbiques et le cortex préfrontal.
Par son système nerveux sous-cortical, l'individu assure sa présence instinctivo-affective au monde. Les structures héritées d'un lointain passé de vertébré font de l'homme un être de désir : désir de vivre, désir aussi de l'Autre, qui se construit sur le flot incessant des humeurs et des sentiments. Ceux-ci naissent dans ces profondeurs du cerveau qui se partagent la gestion du plaisir et de la souffrance, de l'amour et de la haine. Tout ce qui est de l'ordre du savoir, de l'apprentissage, du sentiment de ressentir, voire du rire, trouve ses racines dans ces régions obscures où certains voient encore la présence de l'âme.
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Écrit par
- André BOURGUIGNON : professeur de psychiatrie à la faculté de médecine de Créteil (Université Paris-XII), médecin des Hôpitaux de Paris
- Cyrille KOUPERNIK : docteur en médecine, professeur associé au Collège de médecine des Hôpitaux de Paris
- Pierre-Marie LLEDO : chef d'unité à l'Institut Pasteur, directeur de recherche au C.N.R.S.
- Bernard MAZOYER : professeur des Universités, praticien hospitalier, docteur en biomathématiques, ancien élève de l'École nationale supérieure (maths), directeur du groupe d'imagerie neurofonctionnelle (UPRES 2127), directeur scientifique du G.I.P. Cyceron
- Jean-Didier VINCENT : professeur des Universités, praticien hospitalier à l'université de Paris-XI, directeur de l'Institut de neurobiologie Alfred-Fessard
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...Les dyslexies acquises de l’adulte présentent un intérêt non négligeable pour la recherche en neurosciences, qui s’intéresse entre autres aux soubassements neuronaux de l’activité de lecture. Différentes techniques d’imagerie cérébrale permettent d’identifier les circuits cérébraux activés... -
ALZHEIMER MALADIE D'
- Écrit par Nathalie CARTIER-LACAVE
- 1 872 mots
Lamaladie se caractérise par une atrophie cérébrale diffuse prédominant dans les régions pariéto-occipitales du cerveau et respectant les zones de projection. Cette atrophie s'accompagne de lésions histopathologiques caractéristiques : extracellulaires, les plaques séniles, et intracellulaires, la... -
AMNÉSIE
- Écrit par Francis EUSTACHE
- 1 108 mots
Les amnésies constituent un terme générique qui s’applique à de multiples situations pathologiques : une maladie neurodégénérative, comme la maladie d’Alzheimer, un traumatisme crânien, les conséquences de lésions focales de diverses origines, comme une pathologie infectieuse, vasculaire, tumorale,...
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