ASIE (Géographie humaine et régionale) Dynamiques régionales

Dégager des sous-ensembles régionaux au sein de l'Asie soulève deux difficultés majeures. D'une part, les phénomènes comme la démographie, la superficie ou l'économie opèrent à une échelle beaucoup plus vaste que l'Europe, voire que l'Amérique du Nord. La Chine, qui ne constitue qu'une partie de l'Asie, est, par exemple, aussi grande que les États-Unis, de même que l'Inde par rapport à l'Union européenne. La population de ces deux pays est considérable : les Chinois et les Indiens réunis sont sept fois plus nombreux que les habitants des États-Unis et du Canada, et cinq fois plus que ceux de l'Europe des Vingt-Cinq.

D'autre part, les diversités internes, tant physiques qu'humaines, sont très fortes, ce qui remet en question l'idée même de cohérence asiatique. Les relations entre les différentes sociétés apparaissent alors comme des facteurs de convergence, faute de réelle identité socioculturelle commune. Les flux économiques, les migrations de travail, les rapprochements politiques et les réseaux divers, qui participent d'une mondialisation dont l'Asie est précisément l'un des moteurs, dessinent donc les sous-ensembles régionaux asiatiques.

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Cette situation n'est pas nouvelle. Depuis l'Antiquité, de grandes routes d'échanges ont sillonné le continent. La « Route de la soie », comme l'a baptisée le géographe allemand Ferdinand von Richthofen à la fin du xixe siècle, ou plutôt les routes puisqu'elles étaient multiples, ont relié l'Europe, la Méditerranée et la Chine en passant par les steppes d'Asie centrale. Elles étaient dédoublées, vers le sud, par des routes maritimes de cabotage allant d'Arabie en Chine, via l'Inde et l'Insulinde. Ces deux axes, schématiquement parallèles d'ouest en est, étaient joints par des traverses orientées du nord au sud entre la région de Samarcande et l'Inde, la Dzoungarie et le Bengale, la Chine du Nord et l'Indochine par exemple. Ces routes constituaient autant des voies marchandes, celles des épices, de la soie ou du papier, que des axes de circulations intellectuelles, celles du zéro, des théories astronomiques ou des globes terrestres. Les historiens reconsidèrent actuellement la dynamique de ces anciens échanges. Il apparaît que l'Asie a davantage apporté de biens et de connaissances à l'Europe que celle-ci ne lui en a fournis.

Les colonisations et les impérialismes européens du xixe siècle ont mis un terme à ce qui aurait pu être l'essor d'une révolution industrielle en Chine, voire en Inde. Mais la richesse pétrolière du monde arabe, persan et turquisant ainsi que l'émergence économique d'une Asie très sinisée changent désormais la donne. À l'ouest de l'Asie, les marchés et les esprits sont davantage tournés vers la Méditerranée et l'Union européenne. À l'est, ils sont en train de prendre leurs distances avec l'Amérique du Nord, vers laquelle ils furent tournés tout au long du xxe siècle, tandis qu'un axe d'échanges est-asiatique, d'abord maritime mais aussi aérien, réunit l'Asie du Sud-Est, la Chine, le Japon et la Corée le long de l'océan Pacifique. Entre les deux, le monde indien s'affirme progressivement, alors que l'Asie centrale reste très accaparée par la Russie héritière de l'empire soviétique.

Proche et Moyen-Orient

Moyen-Orient : production et flux pétroliers - crédits : Encyclopædia Universalis France

Moyen-Orient : production et flux pétroliers

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Des rivages de la mer Rouge aux montagnes afghanes se déploient sur 7 millions de km2 les territoires du Proche et du Moyen-Orient répartis entre seize entités territoriales : quinze États (Afghanistan, Arabie Saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Irak, Iran, Israël, Jordanie, Koweït, Liban, Oman, Qatar, Syrie, Turquie et Yémen) plus les « Territoires autonomes palestiniens ». L'Égypte qui fait aussi partie, dans la dénomination courante, du Proche et du Moyen-Orient n'est pas incluse dans cette présentation, car l'essentiel de son territoire est africain et non asiatique. Cet ensemble, dont les limites ne souffrent pas contestation au sein de l'école géographique française contemporaine, compte quelque 400 millions d'habitants au début des années 2020. L'isthme moyen-oriental est un carrefour, un contact entre les trois masses continentales de l'Afrique, de l'Asie et de l'Europe. Les profondes indentations de la mer Rouge et du golfe Arabo-Persique donnent toute sa valeur à l'isthme qui, de tout temps, a été traversé par de grandes routes terrestres ou maritimes. Ces itinéraires sont toutefois constamment menacés de nos jours et peuvent être éventuellement interrompus en un certain nombre de passages stratégiques (détroit d'Ormuz, de Bâb el Mandeb, canal de Suez, Bosphore). Cette « région-carrefour » s'individualise très nettement dans l'immense espace asiatique. Longtemps, elle a constitué une sorte d'arrière-cour du bassin méditerranéen avec qui elle entretenait des liens privilégiés sinon exclusifs. Il n'en est plus de même aujourd'hui, les relations avec les territoires asiatiques se renforcent. Depuis le milieu du xxe siècle, un état de crise permanente agite cet « Occident » du continent asiatique. Les évolutions économiques, sociales, géopolitiques se sont traduites par de profondes et fragiles mutations spatiales.

Un peuplement très diversifié

Le Moyen-Orient connaît encore un croît démographique soutenu : il était, en 2009, de 1,9 % (taux de natalité : 2,5 %, taux de mortalité : 0,6 %). Depuis les années 1990, la situation démographique est en évolution rapide. La fécondité a baissé de façon spectaculaire. L'indice synthétique de fécondité qui, autrefois, était de l'ordre 5,6 voire 7 enfants par femme, se situait, en 2009, à moins de 3,8 dans la quasi-totalité des pays. Cette évolution se traduit avec un décalage temporel dans la natalité en raison de l'importance des jeunes adultes dans la composition de la population. L'accroissement de la population va se poursuivre dans les années à venir mais à un rythme moins soutenu qu'auparavant. Les projections démographiques avancent, pour 2030, une population de 433 millions.

L'accélération de la transition démographique est toutefois enclenchée de façon inégale selon les pays. La fécondité reste encore élevée dans les pays les plus traditionnels : Afghanistan (5,7 enfants par femme), Yémen (5,5), dans une moindre mesure l'Arabie (3,9). Elle est beaucoup plus basse dans les deux grands pays qui, à eux seuls, regroupent près de la moitié de la population du Moyen-Orient : en Turquie, l'indice de fécondité est tombé à 2,1 enfants par femme et à 2,0 en Iran !

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Conséquence de l'élan démographique antérieur et actuel, la structure par âge de la population reste très jeune. Le groupe des moins de 15 ans représente encore 35 % du total (102 millions). Les 15-65 ans sont les plus nombreux (181 millions et 60 %). Au sein de ce groupe prédominent les adolescents, étudiants et jeunes adultes qui tolèrent difficilement la place qui leur est concédée. La montée de ces jeunes générations est un fait avec lequel les pouvoirs en place doivent compter. Les investissements démographiques sont très lourds et la croissance démographique ancienne et actuelle pèse fortement sur le marché de l'emploi.

Le Proche et le Moyen-Orient sont terres d'islam. Elles ont été le théâtre de la première expansion de la nouvelle religion au viie siècle. Mais l'Islam n'a pas gardé son unité primitive. Il se répartit en plusieurs « familles d'esprit ». La rupture essentielle, intervenue à propos de la succession du Prophète en 661, est celle entre sunnites et chiites. Les sunnites rassemblent 60 % de la communauté musulmane moyen-orientale. Avec quelque 110 millions de fidèles, le Moyen-Orient abrite 60 % des chiites du monde ; on relève des communautés chiites importantes ailleurs en Asie (Pakistan : 33 millions, Inde : 15 millions). Les chiites sont eux-mêmes divisés. L'Iran constitue le bastion du chiisme (90 % des musulmans du pays). Ils sont aussi majoritaires en Irak (60 %). Les communautés chiites sont également importantes à Bahreïn (70 % des musulmans), dans le Hasa pétrolier à l'est de l'Arabie Saoudite et au Yémen. On rencontre également une importante communauté chiite en Turquie (20 % des musulmans). Longtemps, au sein du monde musulman sunnite, le chiisme a rassemblé des groupes minoritaires et contestataires. La dimension géopolitique du chiisme s'est imposée récemment, avec la révolution iranienne (1979). Depuis lors, les chiites ont été des acteurs essentiels dans plusieurs conflits (Iran, Irak, Liban).

Sur ces terres orientales, qui ont vu naître le christianisme, les chrétiens sont de moins en moins nombreux. Ils ne sont que 3 millions actuellement. Ces minorités chrétiennes traversent des moments difficiles. Les événements et conflits récents ont poussé nombre d'entre elles à émigrer vers les États-Unis ou l'Europe. La question de leur avenir est sérieusement posée, dans un univers musulman souvent méfiant et parfois ouvertement hostile. Plus de la moitié d'entre eux sont libanais (1,4 million), la Syrie compte également des communautés chrétiennes importantes (0,9 million). Ils ne sont plus que 300 000 en Irak, 120 000 en Jordanie et moins de 50 000 en Palestine. Les communautés juives, autrefois dispersées, sont rassemblées au sein de l'État d'Israël depuis 1948. Aux juifs orientaux se sont ajoutés les juifs venus du Maghreb et de l'ensemble de la diaspora.

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La langue vient compléter la diversité du peuplement de la région. Le Moyen-Orient occupe une position remarquable : il est à l'intersection de trois grands ensembles géolinguistiques, ceux des langues sémitiques, ouralo-altaïques et indo-européennes. À l'aire culturelle arabe se rattache environ la moitié de la population du Moyen-Orient (150 millions de locuteurs). Elle recouvre l'ensemble de la péninsule Arabique ainsi que les pays du Croissant fertile (Irak, Jordanie, Liban, Syrie, Territoires palestiniens) et s'étend aussi très largement dans le nord de l'Afrique. Les langues ouralo-altaïques sont très variées. La principale d'entre elles, le turc de Turquie, est la langue maternelle d'environ 60 millions de locuteurs et la langue officielle du pays. Toutes les autres langues ou idiomes turcs au Moyen-Orient sont ceux de minorités d'inégale importance : les Azéris en Iran, les Turkmènes d'Iran, d'Irak ou d'Afghanistan, les Ouzbeks des montagnes afghanes. Par ailleurs, l'aire culturelle turque s'étend aussi dans le Caucase et en Asie centrale. L'aire culturelle persane s'appuie sur le persan, une langue indo-européenne parlée par 80 millions de locuteurs en Iran et en Afghanistan, qui s'écrit avec l'alphabet arabe. La pratique du persan déborde largement le Moyen-Orient pour s'épanouir en Asie centrale. Enfin les langues indo-européennes autres que le persan sont pratiquées par des groupes importants : kurde et pashtoun notamment.

Enfin, les Kurdes, forts de quelque 25 millions d'habitants, constituent un solide groupe minoritaire. La zone de peuplement kurde occupe un vaste territoire de 530 000 km2 partagé entre quatre États (Turquie, Irak, Iran, Syrie).

Ainsi le fait minoritaire, d'origine religieuse ou ethnolinguistique, est constamment présent. Autrefois, les grandes constructions territoriales étaient multiethniques et multiconfessionnelles, la coexistence des groupes minoritaires était codifiée et ne posait pas trop de problèmes. Ce n'est plus le cas depuis la création des nouveaux États-nations. Dans ces cadres territoriaux souvent imposés de l'extérieur, les oppositions culturelles restent des germes de division et sont à l'origine de nombreux conflits.

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À l'exception de l'Iran, dont l'assise territoriale est définie de façon définitive dès le xvie siècle, et de l'Afghanistan, où la « ligne Durand » (1893), tracée sous la colonisation britannique, coupe en deux le territoire des Pashtouns, toutes les autres entités territoriales ont été imposées au xxe siècle avec deux temps forts. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, les règlements territoriaux imposés par les vainqueurs consacrent la « balkanisation » du Croissant fertile, déterminent les frontières de la nouvelle Turquie et favorisent l'émergence de l'Arabie sous la férule d'Ibn Saoud. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l'ONU crée l'État d'Israël (1948), en dépit de l'opposition de tous les États arabes. Ce n'est qu'au cours de la décennie 1960 que le Royaume-Uni renonce au contrôle de la Côte des Pirates (le littoral des Émirats arabes unis). Accèdent alors à l'indépendance tous les micro-États en périphérie de l'Arabie. Tous ces tracés frontaliers imposés par les puissances européennes sont le plus souvent contestés et portent en germe les conflits et affrontements qui caractérisent le xxe siècle.

La mobilisation des eaux et la question alimentaire

La quête de l'eau et sa maîtrise sont des impératifs absolus dans cette région où se juxtaposent à la fois des montagnes relativement arrosées grâce aux dépressions cycloniques d'hiver qui parviennent jusqu'en Méditerranée orientale et des déserts qui occupent plus de la moitié de l'espace. Les ressources hydrauliques annuelles renouvelables sont estimées à 520 km3, ce qui autorise une dotation de 1 761 m3/hab./an. Cette valeur moyenne placerait la région au dessus du « seuil de pénurie » fixé à 1 000 m3. En réalité, l'inégalité est la règle absolue. À côté d'États relativement bien pourvus disposant de plus de 2 000 m3 (Iran, Afghanistan, Irak, Turquie), Israël, la Palestine, la Jordanie et toute la péninsule Arabique disposent de moins de 500 m3 et parfois même moins de 100 m3. Cette extraordinaire inégalité de la répartition de la ressource place certaines régions et certains États dans une dépendance très forte pour leur approvisionnement en eau : 53 % pour l'Irak, 56 % pour Israël, 23 % pour la Jordanie, 80 % pour la Syrie ! En outre, l'inégalité peut aussi être très forte à l'intérieur des espaces étatiques.

Au cours de la seconde moitié du xxe siècle, la population a quadruplé dans cette région. Répondre à une demande alimentaire de plus en plus forte, assurer l'autosuffisance ont été un objectif des pouvoirs publics. Dans un environnement où pèsent de très fortes contraintes naturelles en raison de l'aridité, l'intensification de l'agriculture est une priorité. L'irrigation apparaît comme le seul moyen de parvenir à une amélioration de la production agricole. Tous les États de la région ont lancé de spectaculaires programmes de mobilisation des eaux. Des paysages ont été transformés, d'autres créés. Les interventions sont multiformes. Il peut s'agir d'une extension des procédés d'irrigation traditionnelle avec la multiplication des motopompes, de la construction de barrages avec aménagement en aval de périmètres irrigués de plusieurs centaines d'hectares ou de l'aménagement global de bassins fluviaux. En raison des tracés frontaliers, de la balkanisation de la région, ces programmes qui affectent nécessairement États amont et États aval ont rencontré de grandes difficultés et se sont effectués dans un climat de défiance voire d'affrontements.

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Le Tigre et l'Euphrate sont deux grands fleuves qui prennent naissance dans les montagnes plus humides de Turquie orientale : ils apportent la vie, en aval, dans les régions désertiques ou steppiques de la Syrie et de l'Irak. Leur aménagement devrait s'achever autour de 2015. La mobilisation des eaux s'effectue dans un climat de forte concurrence. L'Irak a été le premier pays à se lancer dans l'entreprise dans les années 1940. La Syrie équipe la partie moyenne de la vallée de l'Euphrate à partir de 1975. La Turquie conduit depuis la même époque un gigantesque projet dans les vallées amont des deux fleuves (avec 22 barrages, le GAP [Gûneydogu Anadolu Projesi] s'étend sur 75 000 km2), visant à l'irrigation de 1 700 000 hectares. Les tensions sont très vives avec les deux pays d'aval. La mise en eau des barrages turcs a souvent entraîné des diminutions notables de débits en aval. Avec la mise sous irrigation dans les années 2020, on estime que le débit des deux fleuves sera ponctionné d'environ un tiers. Les réactions des deux pays arabes d'aval sont très fermes et viennent compliquer un contexte géopolitique régional très sensible.

Sur les bords du Jourdain, le conflit pour l'eau est engagé depuis de nombreuses années. Après la guerre de Six Jours (1967) et l'occupation de la Cisjordanie, Israël contrôle la totalité des eaux dont le pays a besoin. Pour plus des deux tiers de sa consommation, Israël dépend de ressources situées à l'extérieur de ses frontières internationalement reconnues (celles de 1948) et le pays accapare 90 % des ressources de la Cisjordanie.

Dans la péninsule Arabique, la mobilisation des eaux soulève des problèmes d'une autre nature. Depuis la fin de la décennie 1970, l'Arabie Saoudite exploite massivement ses eaux fossiles et met en valeur plus de 2 millions d'hectares pour produire du blé destiné à son marché intérieur, ainsi que des fruits et légumes. L'exploitation a été si intense que d'importants rabattements des nappes ont été enregistrés ainsi qu'une pollution des sols. Le recours aux eaux fossiles est désormais moins massif, il est, tout de même, de l'ordre de 13 km3/an.

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Ces efforts de mobilisation des eaux n'ont cependant pas abouti aux résultats escomptés. Certes, depuis les années 1970, les superficies irriguées ont doublé, passant de 11 à 22 millions d'hectares, sans pour autant se traduire par une amélioration significative de la production agricole, qui absorbe près de 90 % de l'eau disponible. La production de céréales, au cours de la même période, a simplement doublé alors que la population quadruplait ! Tous les États de la région, à l'exception notable de la Turquie, doivent importer chaque année de grandes quantités de biens alimentaires. Ainsi, depuis les années 1960, les importations de céréales ont été multipliées par dix. La dépendance alimentaire est désormais structurelle. C'est un élément de faiblesse de la région sur l'échiquier mondial.

On s'achemine vers une véritable pénurie d'eau. Toute l'eau renouvelable mobilisable a, semble-t-il, été mobilisée. Devant l'inévitable augmentation de la demande, il est indispensable de mieux utiliser la ressource disponible, d'éviter des gaspillages, de parvenir à une utilisation plus rationnelle notamment dans le secteur agricole. Les achats massifs de biens alimentaires vont se perpétuer, ce qui revient à importer de l'eau virtuelle.

Enjeux pétroliers et structuration de l'espace

L'essor pétrolier de la région est spectaculaire. À la fin des années 2000, l'offre pétrolière s'élève à 1 300 millions de tonnes (32 % de la production mondiale), auxquelles s'ajoute le gaz naturel qui prend une place croissante (326 milliards de m3 et 12 % de la production mondiale). Aux cinq grands producteurs qui continuent de jouer un rôle essentiel (Arabie, Iran, Koweït, Émirats, Irak) se sont ajoutés quatre nouveaux producteurs de petite ou moyenne envergure (Qatar, Syrie, Yémen, Oman). Le pétrole moyen-oriental dispose de trois atouts essentiels : l'ampleur des réserves – les deux tiers des réserves mondiales (et, en outre, 41 % pour le gaz) –, la facilité d'extraction et la flexibilité de la production.

Les revenus tirés des hydrocarbures ont été certes abondants, mais aussi très fluctuants. Depuis l'augmentation du prix du baril en 2004, ils ont atteint des niveaux records (300 milliards de dollars par an) qui, selon toute vraisemblance, se maintiendront dans les années à venir. L'exploitation de cette richesse dans un contexte géopolitique dangereux a été à l'origine, par ses effets induits, de profondes mutations spatiales. La région exporte 80 % du pétrole extrait et a alimenté en 2005 le marché mondial à hauteur de 40 %. La sécurité de l'acheminement est un enjeu de premier ordre, tant pour les États producteurs que pour les États consommateurs. Les nombreux conflits au Moyen-Orient ont conduit à d'importantes modifications du tracé des oléoducs terrestres à travers l'isthme et des itinéraires maritimes. On a cherché à diversifier les routes d'acheminement. Les routes maritimes méditerranéennes empruntent le canal de Suez ou partent du port turc de Ceyhan ; le détroit d'Ormuz, dans le Golfe, joue toujours un rôle majeur. De nouveaux oléoducs terrestres acheminent le pétrole soit vers la Méditerranée soit sur les rives de la mer Rouge, permettant de s'affranchir partiellement de la sujétion d'Ormuz. La Petroline (1 200 km, 150 millions de tonnes) traverse la Péninsule d'est en ouest en reliant les champs pétrolifères du Hasa à Yanbu sur la mer Rouge. Le pétrole emprunte ensuite le canal de Suez ou l'oléoduc de la Sumed (Suez-Mediterranean). L'oléoduc Irak-Turquie (100 millions de tonnes) permet l'évacuation du pétrole irakien vers la Méditerranée.

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Actuellement, trois pays jouent un rôle essentiel dans l'acheminement pétrolier. L'Égypte, elle-même petit producteur, contrôle Suez (60 millions de tonnes) et l'oléoduc de la Sumed (120 millions de tonnes). Producteur dominant, l'Arabie Saoudite peut assurer la sécurité des écoulements des autres pays du Conseil de coopération du Golfe (Bahreïn, Émirats, Koweït, Oman et Qatar) vers la mer Rouge en cas de difficulté à Ormuz. Sur le territoire turc transitent des quantités croissantes d'hydrocarbures. Ceyhan est à la fois le terminal d'une partie du pétrole irakien et celui de l'oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan (BTC) qui achemine le pétrole d'Azerbaïdjan. L'Iran songe à des voies d'évacuation de ses hydrocarbures à travers le territoire turc.

La géographie des flux pétroliers fait apparaître un clivage entre les pays asiatiques (Japon, Chine, pays émergents) et les clients occidentaux (Europe et États-Unis). Les Européens qui, en 2005, ont acheté 156 millions de tonnes (16 % du pétrole commercialisé) sont tributaires de la mer Rouge via Suez et la Sumed. En revanche, les pays asiatiques, qui ont acheté en 2005 les deux tiers du pétrole moyen-oriental (67 millions de tonnes pour la Chine, 211 pour le Japon, 369 pour les autres pays asiatiques), restent étroitement dépendants d'Ormuz. Les États-Unis, dont les achats en 2005 se sont élevés à 116 millions de tonnes peuvent jouer sur les deux tableaux.

Les pays pétroliers arabes du Golfe sont des pays à faible population et ils ont recours à une importante main-d'œuvre étrangère. De puissants liens migratoires se sont tissés entre des pays pauvres en capital mais riches en hommes et des pays pauvres en main-d'œuvre mais riches en capital. Au début du xxie siècle, on estime la présence immigrée dans la Péninsule à quelque 11 millions individus, soit le tiers de la population résidente. Autrefois, cette migration était essentiellement arabe (égyptienne, syrienne, jordanienne, palestinienne, soudanaise), ce n'est plus le cas aujourd'hui. La présence asiatique s'est affirmée et se renforce, et les migrants venus du Pakistan, d'Inde, des Philippines, de Malaisie, de Thaïlande constituent les deux tiers de la migration. Pour des tâches identiques, les salaires versés aux travailleurs asiatiques sont inférieurs à ceux qui sont versés à la main-d'œuvre arabe. Par ailleurs, les États du Golfe préfèrent recruter des Asiatiques pour des raisons politico-religieuses (crainte du terrorisme et de l'extrémisme). La présence de ces travailleurs est aussi la conséquence de l'entrée en force des entreprises asiatiques sur les marchés du Moyen-Orient. Elle illustre parfaitement la nouvelle orientation de la région vers l'ensemble asiatique.

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La dépendance de la région à l'égard de la rente pétrolière qui, déjà, massive, va vraisemblablement augmenter dans les années à venir, est très inégale. Dans les pays arabes, la distinction entre gros producteurs de pétrole et pays non pétroliers ou faibles producteurs s'impose. L'inégalité est impressionnante. En 2005, le PIB par habitant du Yémen, le pays le moins bien pourvu (800 dollars), est 60 fois inférieur à celui du Qatar (47 000 dollars) !

En péninsule Arabique (Yémen excepté), l'économie pétrolière est la base exclusive de la structuration de l'espace : le taux d'urbanisation est de l'ordre de 90 %, les infrastructures les plus diverses ont connu un prodigieux développement (routes, autoroutes, aéroports, terminaux pétroliers, etc.). En revanche, au Yémen, en Syrie, en Jordanie, au Liban, le rôle joué par les retombées de l'économie pétrolière est beaucoup plus faible, sinon marginal (remises des travailleurs émigrés).

En Iran, le développement du pays continue de dépendre des revenus pétroliers qui constituent 80 % des recettes d'exportation. Mais d'autres dynamiques font contrepoids à cette logique pétrolière. La géographie de l'Iran est aussi déterminée à l'intérieur par le rôle des grandes métropoles urbaines et les possibilités d'échanges avec les pays voisins. Téhéran concentre l'essentiel d'une industrie relativement diversifiée qui ne dépend pas exclusivement des ressources en hydrocarbures. La meilleure insertion de l'Iran dans sa région, les conséquences de la guerre Irak-Iran (1980-1988), l'ouverture des frontières nord font apparaître de nouvelles tendances dans l'organisation de l'espace iranien. Une translation semble s'opérer entre le Sud-Ouest pétrolier et proche du monde arabe et le Nord où Meched affirme sa fonction de métropole aux portes de l'Asie centrale de civilisation persane.

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En Turquie, le rôle de l'économie pétrolière est beaucoup moins déterminant. L'implication turque dans le Moyen-Orient est avant tout liée au contrôle des eaux du Tigre et de l'Euphrate et à la question kurde. L'avenir de la Turquie semble davantage européen (rôle de la migration dirigée uniquement vers l'Europe, espoir d'intégration dans l'Union européenne) que moyen-oriental. En outre, depuis l'effondrement de l'Union soviétique, la Turquie ne peut se désintéresser de l'évolution des pays du Caucase et d'Asie centrale où les turcophones sont nombreux.

Une terre de conflits : le prix à payer

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Moyen-Orient est le théâtre de nombreux conflits de nature diverse. Les facteurs de crise sont multiples et s'entremêlent étroitement. Jusqu'en 1990, les conflits restent cantonnés dans un strict cadre régional, les puissances extrarégionales n'interviennent pas ouvertement ; depuis lors, ils ont pris une dimension internationale. La création de l'État d'Israël par l'ONU, qui n'a pas été acceptée par son environnement arabe et musulman, sert de toile de fond à cette situation. Aux quatre guerres israélo-arabes (1948, 1956, 1967 ou guerre de Six jours, 1973 ou guerre du Kippour) s'est substitué l'affrontement direct israélo-palestinien. Pendant la guerre froide, le Moyen-Orient a été un des terrains d'affrontements entre les deux Grands. Tous les États de la région ont été concernés et l'opposition entre les régimes liés à Moscou (Syrie, Irak) et ceux qui étaient proches de Washington (Turquie, pétromonarchies du Golfe) a été très vive. Les rivalités régionales se sont affrontées sur les rives du Golfe aux abondantes ressources pétrolières. L'Iran du shah aspire à devenir le « Japon du Moyen-Orient » tandis que l'Irak de Saddam Hussein souhaite être la « Prusse du monde arabe », ce qui conduit, en arrière-plan d'opposition sunnisme-chiisme, à la meurtrière guerre entre les deux pays (1980-1988). Puis, ce sont les interventions directes des puissances étrangères. En 1979, l'URSS tente d'imposer sans succès sa domination en Afghanistan. La guerre du Golfe (1990-1991), l’intervention américano-britannique en Afghanistan (2001) et la guerre en Irak (2003) consacrent la domination des États-Unis dans ce Moyen-Orient désormais sous influence.

Après un demi-siècle d'affrontements, une évidence s'impose : les statuts territoriaux n'ont pas bougé. Les États-nations l'ont emporté sur les aspirations des peuples. La question kurde n'a guère évolué. La création de l'État palestinien, après quarante ans d'occupation israélienne, est plus incertaine que jamais.

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En revanche, sur le plan économique, le prix à payer est énorme. L'Iran et l'Irak, après leurs conflits meurtriers, ont enregistré des reculs spectaculaires. En Iran, le produit intérieur brut par habitant de 1988 est tombé au niveau de 1967. Le Liban est sorti exsangue de la guerre civile (1975-1991), la Palestine, isolée, enclavée, est ravagée. L'Irak est dévasté. Les territoires kurdes ont connu d'importantes destructions.

Cependant, partout, les dépenses d'armement sont considérables. La région fournit le financement de l'une des plus importantes courses aux armements de la période contemporaine. Bien que comptant seulement 4 % de la population mondiale, les États de la région assuraient, au début des années 1980, 8 % des dépenses mondiales d'armement. Après la guerre du Golfe, les achats d'armement ont considérablement progressé dans tous les pays de la région. En 2004, ils atteignaient quelque 88 milliards de dollars, soit 7 % du PIB régional (mais 12 % pour l'Arabie, 10 % pour Israël).

Les grands conflits sont l'occasion de dépenses colossales. La guerre Irak-Iran a été ruineuse pour Bagdad. Pour Téhéran, cette guerre a fait 500 000 victimes et plus d'un million de blessés. Les dommages économiques sont évalués à 871 milliards de dollars, soixante villes et quatre mille villages ont été entièrement ou partiellement détruits. La guerre du Golfe, entièrement financée par les pétromonarchies, a fait fondre une partie importante des pétrodollars détenus, à l'époque, par les États du Golfe. Le coût de la guerre et des destructions qu'elle a entraînées a été estimé à 135 milliards de dollars pour le Koweït (y compris la reconstruction), 80 milliards pour l'Arabie et entre 200 et 350 milliards pour l'Irak. Les bilans des différents affrontements israélo-arabes ont été particulièrement lourds. L'Égypte a subi la destruction presque totale de la zone du canal de Suez avec ses nombreuses installations et des dizaines de milliers de logements, un manque à gagner, après la fermeture du canal de 1967 à 1975, de l'ordre de 6 à 7 milliards de dollars ; 10 % du bâti de Beyrouth a été détruit au cours de l'opération Paix en Galilée conduite par Israël en 1982. En Syrie, la plupart des usines ont été affectées par les bombardements de 1973.

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Les conflits se sont tous accompagnés de leurs cohortes de réfugiés. Les réfugiés palestiniens – les plus anciens au monde – sont plus de 2 millions à vivre dans les États arabes voisins. Au cours de la guerre d'Afghanistan, l'Iran a accueilli plus de 3 millions d'Afghans, ils sont encore actuellement 1,8 million.

En dépit de la richesse pétrolière, le PIB régional, en 2004, ne représentait plus que 2,9 % du PIB mondial alors que le Moyen-Orient abritait 4,6 % de la population mondiale. Parmi les grands ensembles régionaux que distinguent les organismes internationaux, le Moyen-Orient est en perte de vitesse. Sa croissance se classe en avant-dernière position, avant l'Afrique subsaharienne, mais en très net décalage par rapport à l'Amérique latine ou à l'Asie du Sud-Est. En dépit de l'abondance des capitaux et de l'énergie, le Moyen-Orient n'a pas été en mesure d'engager une dynamique de croissance comparable à ce que l'on constate en d'autres lieux sur le continent asiatique.

— Georges MUTIN

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Moyen-Orient : production et flux pétroliers - crédits : Encyclopædia Universalis France

Moyen-Orient : production et flux pétroliers

Asie centrale : activité pétrolière - crédits : Encyclopædia Universalis France

Asie centrale : activité pétrolière

Désert du Turkménistan - crédits : Reza/ Hulton Archive/ Getty Images

Désert du Turkménistan

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