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ISLAM (La civilisation islamique) Les mathématiques et les autres sciences

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L'optique

Très tôt, les savants arabes ont été en possession de la partie principale des travaux helléniques sur l'optique : optique, catoptrique, dioptrique, les trois branches de cette discipline, à l'époque alexandrine, ont rapidement attiré l'attention des traducteurs et des savants. Outre les textes des médecins sur l'anatomie de l'œil et sur les doctrines physiologiques de la vision, ceux des philosophes de l'Antiquité sur la lumière et la vision, les savants arabes détiennent les traductions de l'optique d'Euclide par Isḥāq ben Ḥunayn (m. en 910), de l'optique de Ptolémée à l'exception du premier livre, de la catoptrique de Héron d'Alexandrie. Plus précisément encore, au ixe siècle déjà, ‘Aṭṭār al-Ḥāsib rappelle dans un livre sur les miroirs ardents l'œuvre d'Anthemius de Tralle sur le même sujet.

Le même intérêt pour l'optique se retrouve par ailleurs chez le premier philosophe arabe, al-Kindī (m. en 873 environ), qui composa, en plus de son traité sur les miroirs ardents, plusieurs ouvrages dont le De aspectibus, connu par la traduction latine de Gérard de Crémone. En matière d'optique, al-Kindī ne répète pas les œuvres des devanciers sous la forme d'un simple commentaire : sans en modifier la perspective générale, il en reprend les démonstrations pour les corriger et les idées pour les préciser. C'est à la suite de ces travaux et de tant d'autres qu'apparaît, à la fin du xe et au début du xie siècle, l'œuvre de celui qui fut considéré comme le Ptolémée des Arabes : Ibn al-Haytham, ou Alhazen comme l'appelaient ses traducteurs latins. Ceux-ci ont traduit le livre qu'on n'a jamais cessé de consulter en la matière depuis le Moyen Âge jusqu'au xviie siècle : l'Opticae thesaurus Alhazeni Arabis.

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Alhazen, mathématicien et physicien, né à Baṣra en 965 environ, vécut au Caire où il mourut en 1039. Avec lui on assiste à la première réforme de l'optique, réforme qui peut être caractérisée par l'introduction de nouvelles normes mathématiques et expérimentales à l'intérieur d'une problématique traditionnelle où se trouvent unies lumière et vision. Jusqu'alors, la lumière n'était essentiellement que l'instrument de l'œil et, réciproquement, voir c'était éclairer. Pour construire une théorie de la lumière, il fallait commencer par une théorie de la vision, mais pour établir une théorie de la vision, il était nécessaire de revenir d'abord à la propagation lumineuse, si bien que chaque tâche renvoyait immédiatement à l'autre, chaque théorie empruntant la langue de l'autre. L'optique d'Aristote, comme celles d'Euclide et de Ptolémée, ne séparait point vision et éclairement lumineux ; il s'imposait à Alhazen de les mieux distinguer et d'aboutir ainsi à une nouvelle représentation fondée sur une analogie entre le mouvement du choc – le rebondissement d'une balle projetée contre un obstacle – et la propagation lumineuse, représentation qui persistera chez Kepler et chez Descartes.

Ainsi, après avoir critiqué les anciennes doctrines du rayon visuel et éliminé l'hypothèse d'un cône de rayons rectilignes émis par l'œil pour la remplacer par le principe adéquat, Alhazen affirme l'existence indépendante et matérielle de la lumière ; il pose sous une forme définitive – dans les limites de l'optique géométrique – le principe de la propagation rectiligne, qu'il nomme « propagation sphérique en toute direction », définit correctement le concept de rayon et l'indépendance des rayons d'un faisceau. Il établit sous sa forme générale la loi de la réflexion, en montrant, à la différence d'Euclide et de Ptolémée, que le rayon incident et le rayon réfléchi sont dans un même plan perpendiculaire au miroir ; bien plus que la surface atteinte par la lumière, c'est le plan formé par le rayon d'incidence, le rayon réfléchi et la normale à la surface au point de rencontre qui est l'élément important, de sorte que l'on peut appliquer la loi aux courbes en général : les rayons réfléchis sont dans le plan d'incidence, et les angles d'incidence et de réflexion sont égaux. Il vérifie ensuite cette loi par la construction d'un dispositif expérimental complexe et s'efforce enfin de déterminer le plan tangent pour les miroirs sphériques, cylindriques, coniques aigus, coniques obtus, et les positions respectives de l'image dans chaque cas.

Alhazen s'approche par là dans une certaine mesure de la loi de la réfraction. Il démontre, en effet, que le rayon incident, la normale au point de réfraction et le rayon réfracté sont dans un même plan ; et il y ajoute certaines règles importantes de la réfraction. Sans pouvoir détailler ici les différentes recherches et les résultats d'Alhazen, on rappellera qu'il fut le premier à utiliser la chambre noire dans ses expériences. Son nom est, par ailleurs, associé à un problème qui est connu en mathématiques sous l'expression de « problème d'Alhazen » et dont la formulation est la suivante : en quel point d'un miroir concave circulaire doit tomber la lumière venant d'un point donné pour qu'elle se réfléchisse en un autre point également donné ? La solution de ce problème revient à celle d'une équation du quatrième degré.

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Le principal continuateur d'Alhazen parmi les savants arabes est le Persan Kamāl al-Dīn al-Fārisī (m. en 1320). Malgré de nombreux écrits se rapportant aux différentes branches des mathématiques – arithmétique et géométrie, notamment –, sa contribution essentielle intéresse l'optique. Son ouvrage se présente comme une révision de l'optique d'Alhazen ; il n'hésite pas à récuser certaines théories de ce dernier, comme celle de l'analogie entre le mouvement du choc et la propagation lumineuse, pièce maîtresse de l'explication de la réflexion et de la réfraction ; il en développe d'autres, comme l'exemple de la camera obscura, la réfraction dans deux sphères transparentes, la tabulation numérique de la réfraction air-verre ; parfois il écarte purement et simplement la doctrine d'Alhazen pour la remplacer par la sienne propre, comme dans sa théorie de l' arc-en-ciel. En effet, al-Fārisī s'appuie sur les résultats d'Alhazen pour donner de ce phénomène une explication meilleure que celle de son devancier : il montre que l'arc-en-ciel apparaît à un observateur bien placé lorsque les rayons du soleil se réfractent dans les gouttelettes d'eau provenant de la condensation des nuages ; il se forme alors deux arcs de cercle : le premier, intérieur, est produit par deux réfractions et une réflexion entre celles-ci ; le second, extérieur, est constitué par deux réfractions et deux réflexions. Chaque arc est formé de bandes concentriques offrant une variété de couleurs – plus tard on dira qu'il présente toutes les couleurs du spectre –, le rouge à l'extérieur et le violet à l'intérieur pour le premier arc ; la disposition est inverse pour le second, dont les couleurs sont plus pâles que celles du premier. Entre les deux arcs, il existe une région plus obscure que partout ailleurs. Une telle démonstration illustre la nouvelle méthode, à la fois mathématique et expérimentale, qui caractérise l'optique d'Alhazen et dont l'influence aura son apogée, en Europe, au cours des xve et xvie siècles.

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Écrit par

  • : maître de conférences à l'université de Varsovie
  • : directeur de la recherche au C.N.R.S.
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

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