BACTÉRIOLOGIE
La bactériologie a pris naissance dans le sillage de la chimie, à partir du milieu du xixe siècle. Elle devait devenir en quelques décennies une science autonome sous l'impulsion de trois savants de génie : Louis Pasteur (1822-1895), qui a créé la bactériologie appliquée en ruinant la thèse de la génération spontanée ; Joseph Lister (1827-1913), qui a imposé l'hygiène médicale et développé la chirurgie en conditions antiseptiques, et Robert Koch (1843-1910), qui a mis au point la technologie des cultures microbiennes en milieu aseptique.
Un demi-siècle plus tard, la bactériologie portait encore la marque de ses fondateurs et en conservait l'esprit. Mais, sous la façade des instituts qui en perpétuaient le renom, de gigantesques transformations étaient élaborées.
Elles ont fait de la bactériologie la discipline fondamentale sans laquelle n'auraient pu avoir lieu les développements spectaculaires de la biologie, de la biochimie et de la génétique.
En contrepartie, la bactériologie n'a pu conserver sa relative autonomie et a dû s'adapter aux exigences des branches nouvelles qui divergeaient rapidement : bactériologie agronomique, bactériologie médicale, bactériologie industrielle, bactériologie pharmacochimique.
Entre ces divers rameaux qui constituent un véritable « génie bactériologique » multiforme et plein d'avenir, la bactériologie fondamentale peut et doit constituer une véritable plaque tournante, pour pouvoir rester l'un des foyers majeurs du progrès scientifique en biologie.
Étapes de la bactériologie
Période prépasteurienne
À la fin du xve siècle, apparaissent les premières idées « modernes » sur les maladies infectieuses. Elles concernent surtout la syphilis : Ulsénius, en 1496, en affirme la contagiosité, puis vers 1519, von Hutten soupçonne, à son origine, de « petits vers ailés » et Paracelse, « de petits germes vivants ». Ces idées, bien que combattues par la majorité des médecins et des savants, amenèrent cependant des mesures de prophylaxie : dès 1500, certaines villes d'Italie avaient institué un contrôle sanitaire des prostituées.
En fait, le premier grand précurseur de la bactériologie fut Jérôme Fracastor, ou Fracastorius, de Vérone. Dans son traité sur les maladies contagieuses, De contagio et contagiosis morbis (1546), il affirme l'existence de très petits organismes vivants, invisibles, capables de se reproduire et de se multiplier, qu'il appelle contagium vivum, ou seminaria contagionis. Il les rend responsables de la syphilis et de la tuberculose : trois siècles avant Pasteur, apparaît ainsi, pour la première fois, la notion de microbes pathogènes.
Fracastor pose également les premières bases de l'épidémiologie, en expliquant la contagion : transmission interhumaine par le contact, et transmission à distance par l'air. Mais ces conceptions sont véritablement révolutionnaires, et rares sont leurs défenseurs, comme Montanus, à Pavie, puis à la fin du xvie siècle, Ingrassia et Alpino. Les applications pratiques à l'hygiène collective et à la prophylaxie individuelle sont pratiquement inexistantes ; bien sûr, on isolait lépreux et pestiférés, mais sans aucune raison précise de le faire, puisqu'aucune base scientifique n'étayait concrètement ces théories.
C'est alors qu'apparaissent les premiers microscopes ; grossissant très peu au début, formés d'une seule lentille, ce sont plutôt de fortes loupes ; peu à peu ils se perfectionnent, et aboutissent au dispositif actuellement utilisé qui combine plusieurs lentilles.
La première mention d'une observation microbienne directe remonte à 1659 : Athanase Kircher croit voir de minuscules vers dans le sang des malades atteints de la peste. Il semble cependant douteux que Kircher ait pu observer un bacille pesteux avec le microscope grossier dont il disposait.
Puis apparaît le véritable précurseur, le Hollandais Antoine Van Leeuwenhoek. Passionné d'optique, il se consacre bientôt à la fabrication d'appareils de plus en plus perfectionnés. Sous le nom général d'« infusoires », il décrit non seulement des protozoaires, mais aussi des bactéries. C'est ainsi qu'il observe, vers 1680, dans le tartre dentaire « de petits animalcules se mouvant de façon charmante ».
Cinquante ans plus tard, un Italien, Spallanzani, fait faire un nouveau bond en avant à l'étude des microbes.
Voulant démontrer qu'ils ne se forment pas spontanément, mais proviennent d'autres microbes préexistants, Spallanzani aboutit à trois découvertes capitales. Tout d'abord, il réussit le premier à cultiver des bactéries dans des flacons contenant du jus de viande, un siècle avant Pasteur. Puis il réfute la thèse de la génération spontanée : les microbes n'apparaissent, dans le jus de viande bouilli, que si le flacon est en contact avec l'air ; ce sont les germes de l'air qui contaminent le liquide. Enfin, poussant plus loin l'observation, il parvient à isoler un seul microbe dans une goutte d'eau, et le voit, au microscope, se diviser sous ses yeux, donnant naissance à deux, puis quatre descendants ; il avait découvert la division par scissiparité.
Malheureusement, ces brillantes découvertes n'ont pas de suite, et la bactériologie, à peine naissante, tombe dans un demi-sommeil de près d'un siècle. Certes, des descriptions précises de micro-organismes sont faites, tentant d'individualiser différentes espèces, mais ce sont des études purement morphologiques, et aucun progrès n'est possible tant que l'on ne sait pas cultiver les bactéries de façon pratique (observations de Brassi, Pollender, C. J. Davaine). Bien sûr, aussi, les théories selon lesquelles des animalcules sont responsables des maladies progressent ; von Plenciz insiste sur le rôle d'un « germe vermiculé » spécifique de chaque maladie infectieuse (1762). Mais, fait curieux, aucune relation n'est faite, à cette époque, entre ces théories, d'une part, et les micro-organismes observés, d'autre part.
Vers la fin de cette période, en 1844, un médecin viennois, I. F. Semmelweis, est tout près de la grande découverte ; il pressent l'origine infectieuse et le mode de contagion de la fièvre puerpérale, qui décimait les accouchées dans les hôpitaux. Il incrimine sa transmission par les mains des internes qui soignent ces femmes après avoir fait des autopsies et il impose la désinfection des mains à l'hypochlorite, ce qui réduit beaucoup la mortalité. Mais c'est un tollé ; on le traite de fou.
Période pasteurienne
Pasteur vient à la bactériologie par ses études sur les fermentations ; il pense en effet qu'il s'agit de processus biologiques, et non d'un mécanisme purement chimique, et il va s'efforcer de le démontrer. Dans son premier mémoire, en 1857, il décrit le ferment lactique comme un organisme vivant, visible au microscope sous l'aspect d'un petit bâton, et capable de se développer dans certains milieux de culture artificiels.
À l'occasion de ces travaux, Pasteur avait donc mis au point les techniques de culture des microbes en milieux liquides. Il démontre ensuite que la fermentation alcoolique est due à un autre organisme vivant, une levure. Puis, pendant plusieurs années, il étudie divers ferments, et les différencie par leurs caractères de culture et leurs besoins nutritionnels ; ce sont les premiers essais de classification biochimique des micro-organismes.
Des recherches sur la maladie des vers à soie (1865) conduisent alors Pasteur à étudier la pathologie d'origine microbienne. Des vétérinaires et des médecins avaient signalé dans le sang d'animaux charbonneux, des bâtonnets vivants microscopiques dont le rôle était bien contesté. Pasteur démontre que ces êtres vivants, cultivables au laboratoire, inoculables à l'animal, sont pathogènes, c'est-à-dire responsables de la maladie. Koch, travaillant indépendamment, arrivait aux mêmes conclusions.
Puis ce sont les découvertes de nombreux microbes : vibrion septique, staphylocoque (1878), streptocoque (1879) responsable de cette fameuse fièvre puerpérale dont s'était occupé Semmelweis. Enfin, assisté de trois médecins, E. Roux, Chamberland et Joubert, Pasteur découvre la possibilité d'immuniser contre une maladie par l'injection du microbe atténué : des cultures vieillies d'une bactérie entraînent, chez l'animal, une maladie peu grave ; mais cet animal est devenu réfractaire au microbe virulent : il est immunisé. C'est le principe des vaccinations.
Cependant, en Allemagne, Koch développait, plus méthodiquement que Pasteur, les techniques microbiologiques : colorations spécifiques des bactéries, milieux de culture adaptés aux différents microbes, culture sur milieux solides permettant d'obtenir des colonies isolées de germes. On lui doit, entre autres, deux découvertes capitales : celle du bacille de la tuberculose, qu'il réussit à isoler et à cultiver, en 1882, après bien des difficultés, et celle du germe du choléra. Les élèves de R. Koch, dont F. Löffler et E. A. von Behring, poursuivirent son œuvre ; leurs travaux sur le bacille diphtérique et sa toxine furent d'une importance majeure.
Ainsi, en quelques années, furent découverts la plupart des germes microbiens responsables de maladies infectieuses ; on s'aperçut même que certains de ces germes étaient trop petits pour être vus au microscope ; on les appela « ultravirus », ou virus « filtrants », car ils passaient au travers des membranes ou des filtres qui retenaient habituellement les microbes. L'un d'eux, le virus de la rage, fut cependant cultivé par passage sur animal vivant, ce qui permit à Pasteur de préparer le vaccin antirabique, bien qu'il n'ait pu observer le germe.
Dans les années qui suivirent, le perfectionnement des méthodes de culture et d'identification des bactéries permit la mise au point de nombreux sérums et vaccins, progrès considérable dans la lutte contre les grandes épidémies.
Période contemporaine
Certes, on découvre encore de nouveaux agents pathogènes, tel le bacille de la « maladie des légionnaires » ; mais on assiste surtout à une série de grandes nouveautés dans le domaine de la technologie et de la biologie moléculaire. Ainsi, l'avènement des antibiotiques révolutionne le pronostic de maladies jusque-là mortelles. L'apparition de la microscopie électronique, puis le perfectionnement des méthodes biochimiques (en particulier l'immunochimie) apportent sans cesse de nouvelles connaissances dans l'ultrastructure de la cellule bactérienne. Les travaux de génétique effectués sur les bactéries par O. T. Avery, J. Lederberg et E. L. Tatum, F. Jacob et E. Wollmann, A. Kornberg, A. Lwoff, J. Monod et tant d'autres, permettent peu à peu de décrypter le code génétique ; leur portée est immense, puisqu'elle touche à l'essence même des processus vitaux. L'immunologie, enfin, progresse à grands pas, et la connaissance des moyens de défense de l'organisme déborde largement l'étude des microbes, et débouche, entre autres, sur les greffes d'organes et l'approche immunologique du traitement des cancers.
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Écrit par
- Jean-Michel ALONSO : docteur en médecine, docteur ès sciences
- Jacques BEJOT : docteur en médecine, chef de service du laboratoire de microbiologie à l'hôpital de Nanterre
- Michel DESMAZEAUD : Ingénieur agronome, docteur ès sciences, directeur de recherche à l'Institut national de recherche agronomique, directeur de l'unité de recherches laitières et génétique appliquée
- Didier LAVERGNE : docteur en médecine
- Daniel MAZIGH : chef de travaux du cours de bactériologie systématique à l'Institut Pasteur.
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