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VOLTAIRE FRANÇOIS MARIE AROUET dit (1694-1778)

Formes du militantisme philosophique

Il est inexact de distinguer un Voltaire écrivain pratiquant les grands genres et un Voltaire philosophe militant, utilisant les genres secondaires ou les inventant pour en découdre avec ses ennemis. Voltaire a fréquenté dès sa jeunesse la société libertine du Temple. Son apprentissage philosophique fut très tôt achevé, comme le prouvent La Henriade qui chante la tolérance civile et les irrévérences de La Pucelle (1755). L'Angleterre marque le passage définitif au militantisme philosophique.

Sa tragédie Mahomet (1741) dénonce le fanatisme ; sa comédieL'Écossaise (1760) attaque les ennemis de l'Encyclopédie ; Le Droit du seigneur (1762) s'en prend au droit de cuissage ; Alzire, ou les Américains (1736) fait le procès de la conquête de l'Amérique ; Brutus (1731) contient un bel éloge de la liberté (1731). Il n'est pas une pièce du théâtre de Voltaire qui, par son thème, une tirade ou quelques vers isolés ne serve le combat philosophique.

Si le militantisme implique, par souci d'efficacité, l'invention de formes singulières – elles sont d'une infinie variété chez Voltaire – il n'est pas absent pour autant d'œuvres dont la visée esthétique ou le projet philosophique lui semblent a priori étrangers. Quand en 1729, Voltaire met en chantier l'Histoire de Charles XII, de Suède, publiée sous une forme presque définitive en 1739, il veut donner libre cours à sa fascination pour un héros au destin tragique, excessif, digne d'une épopée. Mais sa critique de l'historiographie anglaise, son refus des mythologies qui habillent le discours sur les origines, le culte mystificateur des grands hommes le conduisent à choisir les voies de l'enquête historique : d'où la neutralité d'une écriture, mais aussi l'utilisation scrupuleuse de documents référencés. Ce qui n'empêche pas que se manifeste la philosophie politique qu'inspire à Voltaire la situation anglaise au gré des commentaires et des jugements sur l'absolutisme et le contrôle nécessaire du pouvoir monarchique, ou le rôle néfaste du clergé. Le point de vue est différent dans Le Siècle de Louis XIV, que Voltaire commence à rédiger quand est achevée pour l'essentiel l'Histoire de Charles XII. S'il y dénonce l'aberration politique, morale et humaine de la révocation de l'édit de Nantes, les dangers du gouvernement personnel, sans pourtant renoncer à réhabiliter un roi et une nation injustement dénigrés, la mise en perspective philosophique n'est plus celle qui commandait l'Histoire de Charles XII. Elle consiste ici à proposer un nouvel objet à l'histoire pour en faire une histoire philosophique. Le mot siècle désigne une période, mais aussi tout un ensemble au-delà du roi : des hommes, des structures, des États, des faits politiques, sociaux, financiers et religieux, sans oublier, bien sûr, les mœurs et surtout les lettres, les arts et les sciences. Car ce tableau, qui n'oublie cependant pas les guerres et les progrès de l'art militaire, exalte aussi le rôle essentiel de l'art et des artistes dans le rayonnement et la puissance de la France et l'intelligence du pouvoir royal qui a su les encourager, les protéger et les utiliser. En regard de tout cela, les faiblesses du règne apparaissent comme dénuées d'importance.

L'Essai sur les mœurs de 1756 prolonge et approfondit cette conception de l'histoire de l'esprit humain. À l'exemple de Newton qui a donné la vérité du monde physique, Voltaire prétend avec l'Essai composer l'histoire vraie du passé, qui, opposée à une vision théologique du devenir humain, sera donc nécessairement laïque. Il en modifie l'objet : aux rois, aux grands, aux batailles, il substitue « les mœurs et l'esprit des nations », dont la mise en[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France

Classification

Pour citer cet article

Jean Marie GOULEMOT. VOLTAIRE FRANÇOIS MARIE AROUET dit (1694-1778) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Voltaire - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Voltaire

Autres références

  • CANDIDE, OU L'OPTIMISME, Voltaire - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel DELON
    • 1 101 mots
    • 2 médias

    Candide, ou l'Optimisme a été publié en 1759 puis, dans une édition augmentée, en 1761. Ce conte, qui est devenu le titre le plus célèbre de Voltaire (1694-1778) et un des chefs-d'œuvre de la littérature française, a sans doute été d'abord le passe-temps d'un écrivain soucieux de léguer...

  • DICTIONNAIRE PHILOSOPHIQUE, Voltaire - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 680 mots

    En juillet 1764, lorsque paraît à Genève le Dictionnaire philosophique, Voltaire (1694-1778) a soixante-dix ans. Ses tragédies (Œdipe, Zaïre), ses contes (Zadig, Candide), ses essais (Lettres philosophiques, Essai sur les mœurs), ses contributions à l'Encyclopédiede Diderot et d’Alembert,...

  • LETTRES PHILOSOPHIQUES, Voltaire - Fiche de lecture

    • Écrit par Michel DELON
    • 1 082 mots
    • 1 média

    Les Lettres philosophiques furent publiées par Voltaire (1694-1778), sous différentes formes, en 1733 et 1734. Aux versions de 1733 qui contiennent vingt-quatre lettres en langue anglaise (Letters Concerning the English Nation) ou française (Lettres écrites de Londres sur les Anglais et autres sujets)...

  • L'INGÉNU (Voltaire) - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 152 mots

    L'Ingénu est, après Zadig (1747), Micromégas (1752) et Candide (1759), le dernier des grands contes philosophiques de Voltaire (1694-1778). Écrit en 1767 à Ferney en Suisse, où le philosophe réside depuis 1760, le livre, composé de vingt chapitres, est publié anonymement la même année à Genève...

  • TRAITÉ SUR LA TOLÉRANCE, Voltaire - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean Marie GOULEMOT
    • 958 mots
    • 1 média

    La lutte contre le fanatisme[-- – qu'il appelle aussi enthousiasme – a été une constante du combat mené par Voltaire (1694-1778), au point d'irriter parfois ses amis philosophes et d'attiser plus encore la haine de ses adversaires.--]

    Le [--Traité sur la --]Tolérance,[-- qui...

  • ZADIG, OU LA DESTINÉE, Voltaire - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 959 mots
    • 1 média

    En juillet 1747, Voltaire (1694-1778) fait paraître anonymement Memnon, histoire orientale, imprimé à Amsterdam. Remanié, lu à plusieurs reprises en privé, le récit est finalement publié l'année suivante à Paris, toujours sans nom d'auteur, sous le titre de Zadig, ou la Destinée...

  • ANQUETIL-DUPERRON ABRAHAM HYACINTHE (1731-1805)

    • Écrit par Jean VARENNE
    • 865 mots

    Orientaliste français qui révéla à l'Europe les livres sacrés du zoroastrisme et de l'hindouisme. La curiosité des Européens pour les civilisations anciennes d'Orient (Perse, Inde...) date des premières découvertes de Marco Polo et de Vasco de Gama ; accrue au cours des siècles,...

  • ANTISÉMITISME

    • Écrit par Esther BENBASSA
    • 12 229 mots
    • 9 médias
    Voltaire ne distingue pas entre un jésuite et un juif pieux ashkénaze, tous deux symboles d'un passé dont les philosophes comptent abolir les vestiges. Son combat antireligieux ne pouvait pas ne pas s'en prendre au judaïsme, source du christianisme. Pour Voltaire, la Bible comporte des...
  • ARGENS JEAN-BAPTISTE DE BOYER marquis d' (1704-1771)

    • Écrit par Joël SHAPIRO
    • 424 mots

    Cet écrivain et philosophe, originaire de la Provence (il est né à Aix), déiste et ami de Voltaire, parfait représentant du siècle des Lumières, lutta toute sa vie contre l'obscurantisme. Une anecdote raconte que, lors d'une dangereuse tempête, les passagers du navire se mirent à réciter des...

  • CALAS AFFAIRE (1762)

    • Écrit par Louis TRENARD
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    • 1 média

    L'erreur judiciaire de l'affaire Calas, commise par le parlement de Toulouse en 1762, s'explique par l'intolérance religieuse persistant au siècle des Lumières. Louis XV considère les protestants avec une relative bienveillance : l'exercice de leur culte est devenu pratiquement...

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