VOLTAIRE
Le militantisme actif
La postérité a retenu de Voltaire ses engagements en faveur de Calas, Sirven, Lally Tollendal, le chevalier de La Barre, Étallonde, Monbailli. À son retour à Paris en 1778, les Parisiens acclamèrent l'auteur d'Irène, sa dernière tragédie, et le défenseur des Calas. Le xix e siècle, lui, finit par oublier Irène mais se souvint des Calas. Nous sommes en cela ses héritiers. Car Voltaire représente au xviii e siècle un cas rare d'engagement au nom de la tolérance et de la justice. Dans toutes ces affaires, Rousseau et Diderot firent preuve d'une prudente réserve : le combat de Voltaire, s'il fut précurseur, fut aussi solitaire.
Accusé d'avoir assassiné son fils qui s'était converti, Calas, protestant toulousain, fut exécuté en 1762 ; Sirven, protestant de Castres, accusé lui aussi d'avoir noyé sa fille pour l'empêcher de se convertir, parvint en 1764 à se réfugier à Genève. En 1766, le chevalier de La Barre, accusé de sacrilège, fut condamné à être roué. Étallonde, son complice, réussit à s'enfuir en Prusse. Le comte de Lally, baron de Tollendal fut condamné à mort pour concussion et haute trahison et exécuté le 9 mai 1766. En 1770, Monbailli fut accusé faussement de parricide et exécuté. Sa femme, enceinte, bénéficia d'un sursis. Pour toutes ces affaires, Voltaire soupçonnant une injustice, s'informa et mena l'enquête. Parfois comme dans le cas des Calas, qu'il suspecte de fanatisme huguenot, non sans longuement hésiter. Ses doutes levés, il fait établir un mémoire à présenter au Conseil du roi pour obtenir la réhabilitation. Lui se charge d'informer un plus large public et, par une guerre habilement menée au moyen de l'écrit, de transformer une injustice en une affaire d'importance nationale.
Voltaire est venu tardivement à ces combats. Lors de l'affaire Calas, la première en date, il a presque soixante-dix ans. A-t-il attendu que sa réputation fasse de lui un homme célèbre, n'ayant plus rien à perdre, sûr de la force de son écriture, de ses qualités de stratège et de metteur en scène ? Car Voltaire construit les affaires, par les seules vertus de son écriture. À cet égard l'affaire Calas est un modèle. Voltaire lance les « pièces originales » et reconstitue la plainte des victimes, en prêtant sa voix à la veuve Calas et à ses fils. Plus que fournir des faits, analyser les mécanismes de l'erreur, dénoncer l'intolérance, le philosophe veut émouvoir, obliger le lecteur à se situer contre les bourreaux. Convaincre de l'innocence est peut-être moins essentiel que faire partager la douleur éprouvée par les victimes de l'injustice.
Confondant l'intervention voltairienne avec le mouvement d'opinion que suscita l'affaire Dreyfus, on veut faire croire que Voltaire en appelle à l'opinion, comme s'il attendait d'elle qu'elle contraigne la justice et le pouvoir à réviser la sentence des juges. C'est bien mal connaître la société du xviii e siècle et la nature du pouvoir judiciaire. L'opinion n'existe véritablement ici que par l'acte d'écriture qui la constitue comme destinataire et spectateur de ce qu'évoquent la lettre ou le cri de révolte du philosophe, comme dans Le Cri du sang innocent, dernier écrit que Voltaire consacre à La Barre en 1775. Dans la Relation du chevalier de La Barre, la recherche de la vérité – « les vrais mobiles » –, s'accompagne toujours d'un appel aux sentiments. Voltaire, qui n'avait pas autant que Diderot le goût des larmes, n'hésitait pourtant pas à les faire couler quand le combat contre la barbarie l'exigeait. En cela il fut aussi un homme de son temps.
Le militantisme actif de Voltaire ne peut pourtant se réduire aux affaires. Sa correspondance le montre[...]
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Écrit par
- Jean Marie GOULEMOT : professeur émérite de l'université de Tours, Institut universitaire de France
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Pour citer cet article
Jean Marie GOULEMOT, « VOLTAIRE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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