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SCÉNOGRAPHIE

Théâtre d'art, théâtre public : la multiplication des formes

En France, dès la fin du xixe siècle, le metteur en scène Aurélien Lugné-Poe (1869-1940) marque une rupture avec la scène conventionnelle. Au théâtre de l'Œuvre, à Paris, il développe une recherche expérimentale sur le symbolisme scénique, qui trouve sa résonance dans des décors peints, synthétisés et suggestifs, peu éclairés, en mesure d'instaurer un climat en accord avec la représentation d'une œuvre. En 1898, il investit le cirque d'Été, pour revisiter et transposer la scène élisabéthaine et établir une proximité renouvelée entre acteurs et spectateurs, à l'occasion de sa mise en scène de Mesure pour mesure de Shakespeare.

La tradition du Vieux-Colombier

Mais le bouleversement le plus marquant de l'espace scénique en France, au début du xxe siècle, coïncide avec la fondation à Paris du théâtre du Vieux-Colombier par Jacques Copeau (1879-1949) en 1913. Pour rendre au théâtre sa grandeur, en le dépouillant de ses artifices, celui-ci s'efforce de retrouver la simplicité du tréteau nu, point de départ d'une réflexion alimentée par ses rencontres avec Craig et Appia. Étape par étape et en s'inspirant de la scène élisabéthaine, il inspire à Louis Jouvet la création, en 1920, d'un dispositif scénique architecturé devenu mythique. En bois, celui-ci occupe la totalité du fond de scène et se compose d'une arche centrale surmontée d'une passerelle. De chaque côté de l'arche, deux ouvertures donnent accès aux escaliers conduisant à la passerelle. À l'avant, différents plans (dont l'installation d'un tréteau modulaire amovible), la liaison du proscenium par trois marches, avec ses deux trappes latérales ouvrant sur les dessous, offrent, malgré l'espace réduit, une liberté de mouvement aux comédiens. Utilisé pour une trentaine de créations, ce dispositif sera complété, en fonction des œuvres, d'éléments de décor le plus souvent sommaires (rideaux, châssis, paravents). Cette conception de la scène marque une volonté de privilégier le jeu de l'acteur – un principe fondamental dans les révolutions scéniques du xxe siècle. Il sera plus ou moins appliqué par les autres membres du cartel (Gaston Baty, Charles Dullin, Georges Pitoëff), selon un éclectisme qui n'échappe pas toujours aux tentations décoratives.

C'est du côté de Louis Jouvet (1887-1951), metteur en scène, qu'une filiation avec l'esprit du Vieux-Colombier sera entretenue lors de sa rencontre avec le décorateur Christian Bérard (1902-1949). Influencé par Meyerhold, Bérard pratique un « art d'allusion ». Sa volonté de servir l'expression d'une œuvre dramatique, jusque dans l'invisible, le conduit à concevoir un projet scénographique par suppressions progressives, de manière à ne laisser sur le plateau que l'essentiel nécessaire au drame. « Ce que je préconise par-dessus tout au théâtre c'est le „vide“ ». Cette volonté de dépouillement scénique le conduit à imaginer des formes stylisées dont la légèreté s'allie intimement au choix des couleurs. Principaux témoignages : L'École des femmes (1936), La Folle de Chaillot (1945), Dom Juan (1947).

Vers un nouveau langage scénique

Parallèlement, un autre courant esthétique s'est développé en France avec l'arrivée en 1909 des Ballets russes de Serge de Diaghilev. Dans leur désir de créer une synthèse des arts au service de la danse, les chorégraphes vont faire appel à des artistes peintres parmi les plus novateurs (Ernst, Miró, Braque, Léger, Picasso, Mondrian...). Le décor, qui parfois se réduit à un tableau agrandi en fond de scène, conserve dans un premier temps sa fonction décorative ou illustrative. Mais il tend aussi à développer une vision picturale synthétique,[...]

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Pour citer cet article

Jean CHOLLET. SCÉNOGRAPHIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Claude Régy - crédits : Eric Feferberg/ AFP

Claude Régy

<it>Armide</it> de Lully, dessin de J. Berain pour les décors - crédits : AKG-images

Armide de Lully, dessin de J. Berain pour les décors

<em>Intérieur</em>, de Maurice Maeterlinck. - crédits : K. Miura/ Festival d'Automne à Paris, 2014

Intérieur, de Maurice Maeterlinck.

Autres références

  • AILLAUD GILLES (1928-2005)

    • Écrit par Jean JOURDHEUIL
    • 790 mots

    Né en 1928 à Paris, le peintre Gilles Aillaud, fils de l'architecte Émile Aillaud, étudia la philosophie après guerre, puis revint à la peinture qu'il avait pratiquée avec assiduité durant son adolescence. Son devenir-peintre n'eut pas lieu dans une école des Beaux-Arts mais silencieusement, dans un...

  • APPIA ADOLPHE (1862-1928)

    • Écrit par André VEINSTEIN
    • 1 272 mots
    ...l'acteur a trois dimensions, son utilisation devant un décor à deux dimensions est contestable. Au décor peint doit se substituer – toujours selon Appia – un dispositif construit, architecturé, constitué d'escaliers et de plates-formes donnant aux mouvements de l'acteur tout leur pouvoir d'expression. Dans...
  • BAUSCH PHILIPPINE dite PINA (1940-2009)

    • Écrit par Chantal AUBRY
    • 1 736 mots
    • 1 média
    Personne, en effet, n'a su comme elle lancer ses danseurs dans des diagonales irrésistibles ou des avancées frontales conquérantes. Personne avant elle n'a su utiliser de manière plus significative les objets les plus hétéroclites, les musiques les plus hardiment populaires, les défroques les plus provocantes,...
  • BEAUMARCHAIS PIERRE-AUGUSTIN CARON DE (1732-1799)

    • Écrit par Pierre FRANTZ
    • 4 172 mots
    • 1 média
    ...l'ensemble de la structure dramatique. C'est « une révolution théâtrale profonde, et si bien intégrée qu'elle est à présent à peine perçue » (A. Ubersfeld). Beaumarchais tire les leçons de l'évolution de la scène en France et des possiblités décoratives nouvelles qui permettent d'absorber la scène dans le ...
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Voir aussi