DANSE
Dans son acception la plus générale, la danse est l'art de mouvoir le corps humain selon un certain accord entre l'espace et le temps, accord rendu perceptible grâce au rythme et à la composition chorégraphique. Qu'elle soit spontanée ou organisée, la danse est souvent l'expression d'un sentiment ou d'une situation donnée, et peut éventuellement s'accompagner d'une mimique destinée à la rendre plus intelligible. Répondant à une aspiration inhérente à l'homme, elle a pu être considérée par certains, sans doute à juste titre, comme le premier-né des arts, car elle obéit à une impulsion irrésistible, satisfait tant le sens artistique que l'exaltation nerveuse ou musculaire. Elle a pour instrument, parfois exclusif, le corps qui engendre sa propre rythmique. Si elle n'accède à un degré satisfaisant d'élaboration que grâce à l'homo ludens, on ne peut cependant passer totalement sous silence le caractère esthétique inhérent à certaines danses d'animaux – pariades le plus souvent. Par extension, les poètes ont pris l'habitude de parler de danse des éléments, des vagues, des nuages, des astres. Toute représentation cosmique suggère volontiers l'idée d'une danse dans laquelle chaque planète, chaque être occupe un rôle déterminé.
Même lorsqu'on écarte les phénomènes choréiques qui n'atteignent pas un niveau évident d'organisation artistique, le domaine de la danse reste immense. Les points de vue diffèrent selon que l'on examine danse féminine ou masculine, à mouvements amples ou étroits, rapide ou lente, extravertie ou introvertie, danse traditionnelle, religieuse ou profane, de cour ou populaire, théâtrale ou de société. La danse apparaît comme le reflet de l'ethnie, de la civilisation, des croyances comme de la psychologie de ceux qui l'élaborent. Tout groupe humain, tout individu se définit par la façon dont il danse, ou dont il apprécie et privilégie telle manière de danser. L'Occidental préfère la verticalité, une gestuelle excentrée, tendue vers l'extérieur, longiligne, bondissante, et l'Oriental, la courbe flexible, les mouvements concentriques. Sous l'effet de la mondialisation, l'époque contemporaine se révèle significative, que l'on considère le recul des rituels choréiques, l'éclectisme et le goût de l'abstraction occidentale dans le ballet, ou bien encore les influences afro-américaines prédominant peu à peu dans les danses dites de société.
Si l'on assiste à une régression de la danse religieuse – mis à part certaines de ses formes symboliques, liées à un rituel –, la danse de spectacle connaît une faveur croissante. Les danses de folklore espagnoles, russes, hongroises, basques, comme les rites sacrés hindous, balinais, nippons... survivent grâce aux adaptations, aux transpositions scéniques qui en sont proposées, en réaction contre l'uniformisation mondiale ambiante. En effet, le ballet académique élaboré jadis en France, en Italie et en Russie, ainsi que la danse dite « moderne », née en Occident au xxe siècle, tendent à conquérir le monde et s'épanouissent aujourd'hui à Tōkyō comme à Melbourne, Cuba, Pékin ou New York.
Danses rituelles ou religieuses
La danse ne satisfait pas seulement des exigences physiques ou esthétiques. Elle n'a cessé, depuis les origines les plus obscures, de jouer un rôle important dans la vie religieuse de l'humanité. Elle est en effet un moyen privilégié d'entraîner l'homme hors des limites que lui impose la conscience de la réalité quotidienne. Cette sorte de gymnastique mystique permet de communier avec la nature, avec le rythme auquel est soumis l'univers. Certes les moyens employés comme les buts cherchés diffèrent selon les croyances. Toutefois, on peut observer des constantes ; par exemple, les mouvements répétés obstinément tendant souvent à provoquer, au moyen d'un automatisme musculaire, une sorte d'inconscience.
Les cavernes habitées aux époques aurignaciennes ou magdaléniennes attestent l'existence de danses rituelles exécutées à l'âge paléolithique. On ne peut, à l'origine, distinguer danses religieuses et profanes. La danse est génératrice d'extase et imprégnée d'un caractère magique. L'action hypnotique des rythmes, conjuguée avec certaines évolutions stéréotypées, provoque des états psychophysiologiques qui peuvent suggérer, à l'extrême limite de l'excitation nerveuse, la « possession » et aboutissent souvent à une éclipse plus ou moins prolongée de la vie consciente. Ces danses peuvent être ramenées à trois types principaux sans qu'intervienne ici une antériorité quelconque.
L'ivresse choréique
Le premier relève essentiellement de la frénésie rythmique. Il consiste en trépignements, déhanchements, balancements et tournoiements, génuflexions, torsions du buste et de la tête au moyen desquels le danseur pense accéder au monde surnaturel ou exercer un pouvoir magique. C'est ainsi que les chamans sibériens sont censés prendre contact avec les génies, que les Veddas de Ceylan, les Bataks de Sumatra sont envahis par l'esprit des morts. De même en Afrique, les Haoussas soudanais ou les Songhaïs du Niger entrent-ils en relation avec les esprits que viennent d'évoquer les tambours sacrés. L'érotisme se donne souvent libre cours dans ces sortes d'ivresses choréiques, dont les Africains déportés ont transmis le culte en Amérique. Les rites vaudous, les candomblés brésiliens apparaissent comme la reviviscence d'antiques cultes soudanais infléchis par le christianisme selon un curieux syncrétisme. Là encore, le danseur a l'illusion d'être chevauché par le dieu. Médiateurs entre le Créateur et la création, les derviches d'Islam tournoient indéfiniment une paume tournée vers le ciel et l'autre vers le sol. À la fin du xixe siècle, aux États-Unis, la ghost-dance religion veut mettre les fidèles en communication avec les esprits. Tel est aussi le but des danses exécutées par les Shakers. Les extases dionysiaques pratiquées par les ménades et les satyres dans l'oribasie grecque ont pu être utilisées à titre thérapeutique afin de guérir certains troubles. Des psychiatres, au Brésil notamment, ont tenté de les employer afin de guérir des maladies mentales. La danse-thérapie poursuit actuellement ses recherches sur de nouvelles bases expérimentales.
Les danses imitatives
Le deuxième type de danse religieuse a un caractère imitatif et implique de la part des exécutants des dons d'acteur. Il suppose généralement le port de déguisements, de masques ou tatouages, d'accessoires évocateurs. Grâce au geste imitatif, le danseur croit capter une force et l'asservir. En concentrant son énergie, il veut avant tout figurer les événements désirés afin de les susciter, similia similibus. Le rôle de l'autosuggestion préalable suppose une exaltation plus ou moins violente qui conduit de la simulation consciente à la simulation inconsciente. Ces danses imitatives s'inspirent d'abord du cycle de la vie humaine, souvent des comportements d'animaux auxquels telle collectivité se croit liée et des phénomènes naturels que l'on veut soit provoquer, soit écarter.
Les premières sont essentiellement des danses de fécondité. Souvent phalliques et lascives, elles mettent l'accent sur la sexualité, la propagation de la vie. Aux danses de brigue largement répandues en Asie, notamment en Chine, répondent les hiérogamies célébrées dans les mystères d'Éleusis, en Crète et en Égypte. Parfois les danseurs brandissent des armes, lances ou flèches, qui représentent le principe masculin. D'inspiration voisine, les danses de fertilité pratiquées en Égypte dès le IIIe millénaire veulent, grâce à des mimiques adaptées, stimuler les récoltes : le danseur féconde la terre nourricière soit en la piétinant pieds nus, ou perché sur des échasses, soit en répétant les gestes des semailles, des moissons. L'acte sexuel est notamment simulé de façon suggestive par certaines ethnies en Afrique, puis en Amérique latine par les esclaves noirs et leurs descendants. Danses de bal, la méringue haïtienne, puis la lambada semblent des résurgences de ces rituels afro-latino-américains.
L'instinct d'agressivité s'exalte au moyen de danses guerrières qui évoquent les différentes phases du combat et célèbrent la victoire escomptée. À ce type se rattachent la fameuse danse du scalp en usage chez les Indiens d'Amérique du Nord, la pyrrhique spartiate, les gymnopédies et, moins directement, les joutes, tournois ou carrousels qui ont tenté à travers les continents de transformer la fiction en réalité. Les danses processionnelles de funérailles et, épisodiquement, les danses macabres, souvent liées aux grandes épidémies, ont également une place importante dans les diverses communautés.
Certaines danses magiques s'efforcent d'imiter l'aspect et le comportement des animaux auxquels les danseurs se sentent liés par des affinités mystérieuses. Les unes ont un caractère totémique, leurs exécutants cherchant à s'identifier avec l'animal type dans lequel ils voient l'origine de leur clan. On en trouve des exemples chez les aborigènes d'Australie, de Nouvelle-Guinée comme chez les Indiens d'Amérique. C'est également chez ces derniers que se trouve un autre type, lié à la chasse, la buffalo-dance, au cours de laquelle le danseur enveloppé d'une peau de bison et coiffé de cornes imite jusqu'à l'épuisement l'allure de l'animal avant de s'écrouler comme blessé mortellement par une flèche. De même au Venezuela suggère-t-on les gambades et grognements des sangliers, les sauts des oiseaux.
Les danses sacrées
Plus complexes sont les danses qui cherchent à créer une communion mystique entre l'homme et la nature. Le danseur doit faire ici un effort plus subtil d'observation et d'interprétation quand il veut évoquer la pluie, l'éclair, les cycles solaires ou lunaires, entrer en contact avec les éléments. Ainsi atteint-on le stade le plus élaboré des danses religieuses, qui substitue à l'imitation naïve un parti symbolique ou mythique, et suppose l'adoption de conventions codées. Issue de Crète, la géranos, ou danse processionnelle de la grue, était jadis interprétée à Délos au tour de l'autel d'Apollon. Initiés au rituel, les célébrants, revêtus de costumes, voire de masques consacrés, exécutent des évolutions rythmées. Les confréries de danseurs jouent notamment un rôle essentiel dans les rites funéraires, comme en témoignent les Bambaras et les Dogons. Toutefois, l'Afrique se caractérise par une intuition extravertie ou imitative, le danseur s'élance, bondit, alors que l'Asie introvertie préfère l'abstraction, le repliement méditatif et cérémonieux. C'est en dansant qu'en Chine archaïque l'empereur prend possession du monde, dompte les fleuves, aplanit les montagnes, chasse les démons. Peu à peu la Chine a inventé un ensemble de danses, dites ta-chao, qui permettent à chacun de s'intégrer harmonieusement dans le rythme universel. De nombreuses civilisations ont privilégié de façon plus ou moins avouée ce caractère astral.
Un des exemples les plus élaborés de danse sacrée demeure la danse hindoue, fondée sur le culte de Çiva Natarāja, qui crée le monde en dansant, anéantit par ses évolutions cadencées les forces maléfiques. Aussi a-t-il inspiré à ses fidèles l'antique tandava dont la violence virile contraste avec les évolutions féminines lasya attribuées à son épouse Pārvatī. De même Vichnou et Lakshmi, Indra et Brahmā sont-ils censés imposer leur présence au cours d'extases choréiques. Ils dictent au ve siècle de notre ère le Natya-Veda puis le Natya-Sastra, à l'aide desquels on exécute ces danses liturgiques qui évoquent encore actuellement les mystères de la foi et les récits du Rāmāyana. Étroitement associées au drame sacré, elles relèvent de quatre styles : kathak, kathakali, virils et dramatiques ; manipuri et barhata-natyam, subtils et gracieux. Chaque attitude, chaque geste y revêt une signification précise. À l'aide d'un nombre considérable de poses ou mudrā, qui commandent non seulement bras, mains, jambes, mais aussi cou, yeux, sourcils, front, le danseur parvient à exprimer les êtres, animaux, fleurs, vent, feu, dieux, astres. La pratique de ce vocabulaire mimique suppose une virtuosité, une souplesse et un contrôle incessants de tous les muscles. Les jambes ployées se détachent rarement du sol que martèlent les pieds. Toute l'orchestique se développe en dedans. La stylisation s'ajoute à la combinaison. Fruit d'une culture introvertie, cette évocation de la réalité s'exprime uniquement par l'abstraction. La compréhension de cette symbolique, comme celle des récits mythologiques qu'elle décrit, suppose de la part du spectateur une initiation préalable à ce langage ésotérique dont l'Extrême-Orient, notamment Bali, le Cambodge, et le Japon, ont proposé d'autres aspects, qui culminent dans le raffinement gestuel dépouillé du nō.
Selon l'Ancien Testament, les Hébreux dansent durant les cérémonies, le roi David bondit devant l'arche sainte au son des sistres et des tambourins. Dans l'Occident chrétien, la danse, bien que condamnée à plusieurs reprises comme résurgence païenne dans ses manifestations les plus frénétiques et scandaleuses, a longtemps été admise dans l'église même, qu'il s'agisse des rondes limousines dédiées à saint Martial, des processions bretonnes, provençales... ou des chorèmes et évolutions liturgiques des clercs, religieux, enfants de chœur tels les « Seises » qui évoquent devant le maître-autel de la cathédrale de Séville la ronde des anges au paradis décrite par saint Basile avant Fra Angelico. À la fin du xxe siècle, on assiste à une réhabilitation par le christianisme de certaines formes cérémonielles de danse religieuse.
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Écrit par
- Marie-Françoise CHRISTOUT : docteur d'État ès lettres, conservateur honoraire à la Bibliothèque nationale de France, écrivain et critique
- Serge JOUHET : professeur de philosophie, producteur d'émissions culturelles à l'O.R.T.F.
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