MÉDICAMENTS
Le médicament, comme la médecine, semble aussi vieux que l'humanité. On en trouve trace dans les civilisations les plus anciennes. Depuis les temps les plus reculés, l'homme a cherché dans la nature non seulement sa nourriture, mais des remèdes pour soulager ou guérir ses maux, et a appris à discerner les poisons.
Jusqu'à une période relativement récente, les médicaments ont été uniquement naturels, tirés des trois règnes (minéral, végétal et animal), et les drogues étaient utilisées en nature et sous forme d'extraits complexes. La notion de « principes actifs » et leur extraction datent vraiment du xixe siècle ; en même temps, les progrès de la physiologie expérimentale permettaient de donner une base plus rationnelle à l'emploi des médicaments, jusque-là souvent mêlé de pratiques magiques ou religieuses.
Les remèdes, préparés et administrés directement aux malades par les guérisseurs ou les sorciers des sociétés primitives, l'ont été ensuite par les médecins eux-mêmes. Plus tard, ceux-ci se sont procuré leurs drogues chez les apothicaires, ancêtres des pharmaciens. Ces derniers ont, dans la plupart des pays, le monopole de la délivrance au public des médicaments.
C'est seulement au début du xxe siècle qu'a pris naissance, avec les progrès de la chimie, la préparation des médicaments de synthèse. Celle-ci a entraîné, dans les pays les plus évolués, le développement d'une industrie hautement spécialisée, branche de l'industrie pharmaceutique. C'est maintenant presque uniquement à celle-ci que reviennent la recherche et la préparation de nouveaux médicaments, leur expérimentation physiologique et clinique, leur mise en forme pharmaceutique.
Le médicament moderne, préparé scientifiquement, de composition et d'activité définies et contrôlées, conditionné sous une forme pratique et même attrayante, est l'auxiliaire indispensable de la médecine, lié à ses progrès et à ses audaces. Dans la société actuelle, c'est, en apparence, un bien de consommation comme les autres, mais il n'en demeure pas moins ce qu'il était pour l'homme primitif : une protection contre la souffrance et la mort.
Dans un monde globalisé, la pénurie de médicaments, l'accessibilité précaire aux soins et la falsification de principes actifs qui font la qualité des médicaments constituent des handicaps sévères pour les sociétés les moins développées, et cela génère un insupportable sentiment d'injustice et d'inégalité au sein de l'humanité.
Le médicament à travers les âges
Des drogues aux médicaments de synthèse
Les tablettes sumériennes de Nipur représentent les vestiges les plus anciens d'une pharmacopée, puisque y sont gravés, au troisième millénaire avant notre ère, les noms de drogues végétales : ase fétide, galbanum, jusquiame, opium, mandragore, etc.
Le Ben cao jing chinois (2900 av. J.-C. environ) et le fameux papyrus Ebers (datant d'environ 1600 av. J.-C.) découvert en 1862 à Louqsor, qui donne la fabrication de remèdes pour toutes les parties du corps, renseignent sur les drogues employées à cette période. À côté de plantes toujours utilisées aujourd'hui comme sédatifs (pavot, jusquiame), purgatifs (séné, ricin, coloquinte), diurétiques (scille), etc., figuraient divers ingrédients : sang, os, graisses animales, et des minéraux comme l'ocre. La médecine était alors fortement mêlée de pratiques magiques.
Les grands médecins grecs, dont le plus célèbre est Hippocrate (ve s. av. J.-C.), utilisaient couramment les narcotiques. L'œuvre d'Hippocrate fut élargie quelques siècles plus tard par Dioscoride qui inventoria plus de cinq cents drogues d'origine minérale, végétale ou animale dans un traité célèbre écrit en 77 après J.-C., puis traduit en latin au xve siècle, sous le titre de Materia medica.
Chez les Romains, Galien, médecin et grand voyageur, a été le créateur de nombreuses formes médicamenteuses. À cette époque, on recherchait plutôt le remède universel en mélangeant un grand nombre de drogues. Sous Néron, la fameuse thériaque n'en comportait pas moins d'une centaine.
Pendant la période troublée qui a fait suite au démembrement de l'Empire romain, les milieux religieux sont restés détenteurs de la science gréco-latine et ont préservé, dans les monastères, la culture des simples et leurs usages.
L'école de Salerne a joui d'une grande renommée au xie siècle et a laissé un formulaire célèbre, l'Antidotarium.
L'apport de l'école arabe du xiiie siècle à la pharmacie est considérable. Elle eut de grands médecins : Avicenne, Avenzoar, et surtout Ibn al-Baytar, qui décrivit plus de deux mille drogues dans le Corpus simplicium medicamentarum.
C'est au xiiie siècle qu'apparaissent en Europe les premières boutiques d' apothicaires, auxquels Saint Louis donne, en 1258, un statut pour la préparation et la vente des médicaments. Grâce aux croisades, les épices exotiques parviennent en Europe. Cependant, mêlée de sorcellerie et de charlatanisme, la connaissance médicale n'a guère progressé durant toute l'époque médiévale : l'alchimie règne alors sur l'Occident et on recherche l'or, la pierre philosophale, l'élixir universel. On soigne avec des extraits végétaux, mais aussi avec des organes d'animaux étranges ou venimeux, de l'urine, des pierres précieuses, de la terre sigillée (argile spéciale de l'île de Lemnos), etc.
Paracelse, médecin suisse du début du xvie siècle, pour lequel la nature était « une immense apothicairerie », est resté célèbre par sa « théorie des signatures ». Cette théorie est fondée sur la croyance que l'aspect et la couleur des plantes sont en rapport avec leurs propriétés médicinales : ainsi, les plantes à suc jaune seraient efficaces contre les affections biliaires.
Aux xvie et xviie siècles, de nouvelles drogues (thé, café, cacao, etc.), introduites en Europe à la suite de la découverte de la route maritime des Indes et de l'Amérique, firent leur entrée en thérapeutique et, parfois, comme le quinquina et l'ipéca, sous forme de « remèdes secrets ». Au xviie siècle, on commence aussi à utiliser en médecine des sels minéraux bien définis : sulfate de magnésie, calomel, nitrate d'argent, etc.
En 1777, les apothicaires furent, en France, officiellement séparés des épiciers par une ordonnance royale fondant le Collège de pharmacie.
Le xixe siècle est considéré comme le grand siècle de la médecine et de la pharmacie. De nombreux principes actifs sont isolés des végétaux, tels des alcaloïdes : morphine (F. W. Sertürner, 1805), strychnine et quinine (J. Pelletier et J. Caventou, 1818 et 1820), codéine, cocaïne, colchicine, etc., et des hétérosides : digitaline cristallisée (C. Nativelle, 1868), ouabaïne, etc. En même temps, la physiologie progresse notablement à la suite des travaux de Claude Bernard (curares). Après la découverte des sécrétions endocrines par C. Brown-Séquard (1889) naît l'opothérapie, ou utilisation d'extraits animaux ; les travaux de C. Eijkman et de C. Funk sur une maladie par carence, le béribéri, sont à l'origine de la vitaminothérapie.
Le développement de la chimie permet aussi de grands progrès en médecine : découverte du phénol et du chloral ; emploi de l'anesthésie à l'éther, puis au chloroforme ; synthèse de l'aspirine, des salicylates, etc. Une grande révolution thérapeutique, due aux travaux de Louis Pasteur, aboutit à la sérothérapie et à la vaccinothérapie, pour la guérison et la prévention de nombreuses maladies infectieuses en dehors de la stérilisation et de l'antisepsie.
Le début du xxe siècle a vu l'essor de la chimiothérapie (médication par les substances d'origine chimique) : arsenicaux antisyphilitiques de synthèse, barbituriques, sulfamides antimicrobiens, antipaludéens, etc., en même temps que la découverte de nouvelles substances naturelles : vitamine C (A. Szent-Györgyi, 1928), insuline (F. G. Banting et C. H. Best, 1921), folliculine (E. A. Doisy, 1929), œstrone (A. Butenandt, 1929), etc.
L'ère des antibiotiques a pris naissance pendant la Seconde Guerre mondiale, avec la préparation, à l'état pur et à grande échelle, de la pénicilline découverte en 1928 par A. Fleming. Après la streptomycine, le chloramphénicol et les tétracyclines, des centaines de substances antibactériennes ou antifongiques ont été isolées des végétaux inférieurs ; une cinquantaine sont aujourd'hui couramment employées en thérapeutique. La chimiothérapie n'a cessé de fournir de nouvelles substances actives : anticoagulants, antihistaminiques, tranquillisants, antituberculeux, curarisants, hypoglycémiants, antitumoraux, etc.
Parmi les substances d'origine naturelle d'utilisation récente, on peut citer : des alcaloïdes tels que la réserpine à propriétés hypotensives et sédatives, isolée de Rauwolfia serpentina et la vincaleucoblastine et la vincristine, efficaces contre la leucémie, extraites de la pervenche tropicale (la vincamine de la petite pervenche, améliorant la circulation cérébrale) ; la cortisone et d'autres corticoïdes anti-inflammatoires (en particulier les travaux de Reichstein et al.). La découverte de ces substances a eu un retentissement particulièrement important.
On assiste chaque année à la naissance de nouveaux médicaments, d'origine naturelle, synthétique ou hémisynthétique, et, si la plupart sont éphémères, quelques-uns viennent enrichir de façon durable l'arsenal thérapeutique.
Le médicament moderne
Pour faire face à la grande plasticité du monde bactérien, qui par mutations chromosomiques apprend à résister aux antibiotiques, l'industrie pharmaceutique a mis au point les céphalosporines de troisième génération (céftriaxone, céfotaxime, céftazidime). Contre le sida, elle a développé des antiviraux (zidovudine ou AZT, didanosine ou DDI) et des antiprotéases (saquinavir, indinavir, ritonavir). En matière d’ anticancéreux on citera seulement la vinorelbine, le paclitaxel et le docetaxel. Les biothérapies avec Colony Stimulating Factors, C.S.F. (filgrastim, lénograstim) atténuent les neutropénies induites par les chimiothérapies anticancéreuses. La ciclosporine a permis le succès des greffes d'organes, et l'érythropoïetine lutte contre les anémies développées par les insuffisants rénaux sous dialyse. Des produits de contraste (métrizamide, acide ioxaglique) facilitent l'utilisation du scanner et de l'imagerie par résonance magnétique. Les 5HT3 sont des antiémétiques (ondansetron) utilisés contre les vomissements en chimiothérapie anticancéreuse. Dans les années 1980, les généralistes ont été autorisés à prescrire des antidépresseurs : il en est résulté une extraordinaire diffusion mondiale de la « pilule du bonheur » (fluoxétine). Dans le domaine cardio-vasculaire, les inhibiteurs de l'enzyme de conversion (captopril, enalapril) ont permis aux malades de survivre à la gravissime dysfonction ventriculaire gauche. Les antagonistes du calcium (nifédipine) sont à la base du traitement de l'angine de poitrine. Les héparines à bas poids moléculaire (fraxiparine, enoxaparine), d'abord utilisées en chirurgie (prothèse totale de la hanche), se développent dans le traitement de l'infarctus du myocarde. Les nouveaux thrombolytiques (tissue plasminogen activator ou T.P.A. : altéplase, anistreplase), associés à l'aspirine, ont contribué à faire baisser la mortalité due aux infarctus. Les statines (pravastatine, fluvastatine) sont des hypolipémiants qui réduisent le risque d'infarctus du myocarde. Les anti-H2 (cimetidine, ranitidine) et les inhibiteurs de la pompe à protons (oméprazole) ont apporté un véritable traitement à l'ulcère gastro-duodénal. Dans le domaine des hormones, le patch transdermique d'œstradiol combat les troubles de la ménopause, tandis que la pilule anticonceptionnelle est devenue minidosée ou triphasique. L'insuline d'extraction animale a été perfectionnée (elle agit plus de vingt-quatre heures) et l'insuline humaine est maintenant produite par biotechnologie. La vaccination s'attaque à l'hépatite B et à l'Haemophilus influenzae B, et les vaccins accroissent leur polyvalence (jusqu'à être pentavalents). La liste est loin d’être limitative.
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Écrit par
- Paul-Étienne BARRAL : économiste (Rhône Poulenc Santé)
- Hélène MOYSE : docteur en pharmacie, ancienne assistante à la faculté de pharmacie de Paris
- Jean-Yves NAU
: docteur en médecine, journaliste, chroniqueur médical sur le site d'information
Slate.fr - Michel PARIS : professeur à l'université de Paris-XI, Orsay, professeur de pharmacologie à la faculté de pharmacie de Châtenay-Malabry
- René Raymond PARIS : professeur émérite de la faculté de pharmacie de Paris, ancien directeur au laboratoire national de la santé publique, Paris, membre de l'Académie nationale de pharmacie
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
Médias
Autres références
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RESPIRATOIRE (APPAREIL) - Catégories de médicaments
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Henri SCHMITT
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Les poumons, comme tout organe du corps, peuvent subir des atteintes pathologiques : infections par des virus (grippe ou Covid-19, par exemple), des microbes (comme les pneumocoques), des champignons (comme les Aspergillus ou des Pneumocystis), divers types de cancer, et, enfin, des atteintes d’origine...
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ALCALOÏDES
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Les alcaloïdes jouent toujours un rôle important, comme principes actifs desmédicaments, malgré l'essor des produits de synthèse. Ils sont utilisés soit tels quels, soit sous forme de dérivés plus actifs, mieux tolérés par l'organisme, ou manifestant des effets différents. Ils ont souvent servi de... -
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