JARDINSDe l'Antiquité aux Lumières
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L'art des jardins avant Rome
L'existence des jardins suppose celle d'une agriculture déjà maîtresse de ses techniques, des hommes capables d'imposer à la nature une fécondité qui ne lui est pas toujours donnée. Il semble que le « jardin » soit né en Mésopotamie, plus de trois mille ans avant notre ère, lorsque l'acclimatation du palmier permit de ménager des zones de végétation. Là, il devenait possible de limiter l'évaporation, de maintenir une humidité à peu près constante, et, par conséquent, d'assurer la survie de plantes fragiles. Conformément à l'un des paradoxes constants de l'activité humaine, ces conquêtes techniques ne servirent pas d'abord, ni surtout, à la production de plantes destinées à la nourriture des hommes, mais au « luxe » et au plaisir, aux cultures gratuites des fleurs et des arbustes d'ornement. Mais ces cultures s'adressent moins aux humains qu'aux divinités. Le jardin, en ses origines, est inséparable du sacré. Or, le sacré implique le « gratuit », la fête, et les jardins sont et restent des enclos de fête.
Le nom de Babylone a toujours évoqué les « jardins suspendus », c'est-à-dire établis sur des terrasses, selon une technique que certains archéologues ont pensé retrouver. Des plans superposés constituent autant de promenades, dont chacune est ombragée de palmiers ; le sol, rapporté, est formé de terre fertile, isolé par une feuille de plomb de la maçonnerie qui soutient la terrasse. L'eau, montée jusqu'à la terrasse supérieure par des chaînes sans fin, provenait de puits, toujours alimentés par la nappe issue du fleuve. Elle redescendait ensuite soit en s'infiltrant à travers le sol et en gagnant des conduites de drainage, soit en véritables ruisseaux et cascatelles, qui étaient l'un des charmes de ces cultures véritablement miraculeuses – ce que doit toujours être, et apparaître, un jardin, c'est-à-dire une nature merveilleusement féconde et belle –, une nature créée grâce au travail des hommes et à la bénédiction des dieux. Les jardins de Babylone sont en rapports évidents avec le culte de la déesse Ishtar, la Vénus babylonienne, divinité de l'Amour et de la Vie.
Au cours du IIe millénaire avant notre ère, l'Égypte, de son côté, découvrit les jardins. Ces jardins, comme toute l'agriculture de ce pays, peuvent être considérés comme un « don du Nil ». Il semble que les premiers jardins égyptiens furent des lieux de délices, où la culture des fruits l'emporta longtemps sur celle des plantes destinées à d'autres usages. Les jardins d'Égypte étaient d'abord des vergers et des vignes, dont les lignes perpendiculaires dessinaient un damier dans les mailles duquel se plaçaient tout naturellement des figuiers, des palmiers et des sycomores, dont l'ombre était fort appréciée. Pour entretenir cette végétation, en ce pays de plaine, il était nécessaire de construire un réseau de canaux qui convergeaient vers un bassin central, où vivaient librement, côte à côte, poissons, oiseaux aquatiques et plantes comme le papyrus, le lotus, les nénuphars, toute la faune et la flore que l'on rencontrait dans la campagne égyptienne, aux endroits où l'eau se rassemblait, une fois le Nil rentré dans son lit. Ainsi, de tels jardins réunissaient, et résumaient, en un espace enclos de murs, tous les agréments que la nature dispersait dans le reste du pays. Ces jardins sont des lieux où il fait bon vivre, réaliser pleinement sa « vocation humaine », où le bonheur est fait de reconnaissance aux dieux.
On peut considérer que, déjà, deux styles de jardins sont nés : le jardin en terrasses et le jardin de plaine – deux styles destinés à une grande fortune.
Le troisième pays des jardins est la Perse : les nombreuses plantes spontanées sur les plaines d'Anatolie avaient depuis longtemps séduit les rois de Babylone, qui s'étaient efforcés de les acclimater chez eux. Au temps où les rois de Perse dominaient l'Asie, ils avaient créé un art des jardins extrêmement original, qui ne semble rien devoir à celui de Babylone ni d'Égypte. Ces jardins, appelés paradis (le mot est perse), sont des parcs de chasse, qui tiennent de la forêt et du verger. Xénophon donne la description d'un paradis établi par Cyrus à Sardes, en Asie Mineure, au ve siècle. Il consistait [...]
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Écrit par :
- Pierre GRIMAL : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres
- Maurice LEVY : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur à l'université de Toulouse-Le Mirail
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Pour citer l’article
Pierre GRIMAL, Maurice LEVY, « JARDINS - De l'Antiquité aux Lumières », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 06 février 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/jardins-de-l-antiquite-aux-lumieres/