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JARDINS De l'Antiquité aux Lumières

Étymologiquement, un jardin est un enclos, un endroit réservé par l'homme, où la nature (les plantes, les eaux, les animaux) est disposée de façon à servir au plaisir de l'homme. La nature dans sa totalité, et non, au moins en droit, une partie d'elle-même : le jardin a l'ambition d'être une image du monde ; il fait servir à ses fins la lumière du ciel, la fraîcheur de l'eau, la fécondité de la terre, les végétaux et les hôtes des forêts et des campagnes. Il est une mise en ordre du monde. Un jardin commence dès l'instant où une volonté humaine impose une fin immédiatement sensible aux « objets naturels », c'est-à-dire à ce qui naît, croît et meurt selon les lois de la nature. Une statue emprunte à celle-ci sa matière et sa forme (le marbre ou le bois, et aussi le modèle qu'elle représente, animal, homme ou plante), elle n'en possède pas la vie. La matière du jardin, au contraire, est libre, et sa spontanéité échappe aux lois de l'homme.

Pour cette raison, l'on peut dire que le jardin est une création opérée par l'homme à sa mesure. Il n'existe pas de jardin spontané. Et cela entraîne une sorte de contradiction entre une matière libre et des formes asservies. L'art des jardins sera une conciliation entre ces deux termes, et ses styles seront le résultat des solutions diverses apportées à cette conciliation. Tantôt la matière l'emportera sur la discipline formelle – on approchera alors du paysage spontané, sans l'atteindre jamais –, tantôt la discipline limitera étroitement les forces naturelles, le jardin tendra vers la stabilité quasi minérale de l'architecture, et l'on aura le paysage immobile des ifs taillés, des charmilles, des bassins géométriques.

Ces deux pôles de l'art des jardins, qui sont illustrés par l'opposition entre deux styles – le jardin dit (assez improprement) « à la française » et le jardin dit (non moins improprement) « à l'anglaise » –, se rencontrent, à peu de distance l'un de l'autre, à Versailles, de part et d'autre du Grand Canal, du Tapis vert aux Trianons. Ces deux styles partagent à peu près toute l'histoire des jardins, depuis ses origines les plus lointaines jusqu'à la révolution industrielle.

L'art des jardins avant Rome

L'existence des jardins suppose celle d'une agriculture déjà maîtresse de ses techniques, des hommes capables d'imposer à la nature une fécondité qui ne lui est pas toujours donnée. Il semble que le « jardin » soit né en Mésopotamie, plus de trois mille ans avant notre ère, lorsque l'acclimatation du palmier permit de ménager des zones de végétation. Là, il devenait possible de limiter l'évaporation, de maintenir une humidité à peu près constante, et, par conséquent, d'assurer la survie de plantes fragiles. Conformément à l'un des paradoxes constants de l'activité humaine, ces conquêtes techniques ne servirent pas d'abord, ni surtout, à la production de plantes destinées à la nourriture des hommes, mais au « luxe » et au plaisir, aux cultures gratuites des fleurs et des arbustes d'ornement. Mais ces cultures s'adressent moins aux humains qu'aux divinités. Le jardin, en ses origines, est inséparable du sacré. Or, le sacré implique le « gratuit », la fête, et les jardins sont et restent des enclos de fête.

Le nom de Babylone a toujours évoqué les « jardins suspendus », c'est-à-dire établis sur des terrasses, selon une technique que certains archéologues ont pensé retrouver. Des plans superposés constituent autant de promenades, dont chacune est ombragée de palmiers ; le sol, rapporté, est formé de terre fertile, isolé par une feuille de plomb de la maçonnerie qui soutient la terrasse. L'eau, montée jusqu'à la terrasse supérieure par des chaînes sans fin,[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres
  • : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur à l'université de Toulouse-Le Mirail

Classification

Pour citer cet article

Pierre GRIMAL et Maurice LEVY. JARDINS - De l'Antiquité aux Lumières [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Fresque de la villa de Livie - crédits :  Bridgeman Images

Fresque de la villa de Livie

Château de Villandry, jardins - crédits : Bruno Barbier/ The Image Bank/ Getty Images

Château de Villandry, jardins

Jardin Bomarzo de Vicino Orsini - crédits : Electa/ AKG-images

Jardin Bomarzo de Vicino Orsini

Autres références

  • ALPHAND ADOLPHE (1817-1891)

    • Écrit par Universalis, Michel VERNÈS
    • 1 674 mots
    .... Ce poste d'apparence modeste embrasse pourtant un des aspects majeurs de la transformation de Paris. C'est que Napoléon III est acquis à la cause des jardins publics. Influencé par les doctrines saint-simoniennes et par la civilisation anglaise où il a baigné en exil, Louis-Napoléon Bonaparte entend...
  • BARRAGÁN LUIS (1902-1988)

    • Écrit par Marc VAYE
    • 969 mots

    L'architecte mexicain Luis Barragán Morfin est né à Guadalajara le 9 mars 1902, il meurt à Mexico-City le 22 novembre 1988. Sa vie traverse le siècle sans l'épouser. Fils de propriétaire terrien, il passe de longues périodes de son enfance dans un ranch de la région montagneuse de Mazamitla dans l'État...

  • BÉLANGER FRANÇOIS-JOSEPH (1744-1818)

    • Écrit par Daniel RABREAU
    • 675 mots

    Protégé du comte de Caylus, disciple de David-Leroy et de Contant d'Ivry, Bélanger échoue au concours de l'Académie d'architecture (1765). Renonçant définitivement à cette distinction, il gagne l'Angleterre où il fait la connaissance de lord Shelburne pour qui il exécutera...

  • BERTHAULT LOUIS-MARTIN (1770-1823)

    • Écrit par Monique MOSSER
    • 1 251 mots

    Jardinier-paysagiste, architecte et décorateur français. Issu d'une lignée de maîtres-maçons et de jardiniers, Berthault semble s'être formé dans le milieu familial, principalement auprès de ses oncles : Jacques-Antoine Berthault, important entrepreneur parisien, et surtout Pierre-Gabriel Berthault,...

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Voir aussi