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MOYEN ÂGE La pensée médiévale

Où tout devient jeu

Forme médiévale de la théorie de la référence, la théorie de la suppositio est souvent réduite à une simple taxinomie. C'est oublier que, même si elle occupe une part notable des sommes de logique, l'analyse des modi supponendi n'a jamais été une fin en soi. Les suppositiones sont un outil analytique, le plus général de tous, un outil fait pour servir. La suppositio est la propriété référentielle d'un terme pris dans un contexte d'assertion dont la forme principale est évidemment la proposition. Bien que certains logiciens réalistes aient, sous le titre de supposition « naturelle », défendu une interprétation de la supposition comme relation sémantique originaire à une extension prépropositionnelle du terme (Pierre d'Espagne, Tractatus, VI, 3), la plupart ont fini par tenir qu'il n'y avait supposition qu'« à l'intérieur d'une proposition » (Ockham, Summa logicae, I, 63). La typologie des modi supponendi est bien connue ; elle couvre toutes les possibilités d'actes de référence : l'emploi autonyme ou suiréférentiel (suppositio materialis), la référence « vague » (suppositio determinata), la quantification universelle (suppositio confusa et distributiva). L'assignation d'un mode de supposition se fait généralement par « exposition », par « descente aux singuliers » ou par inférence. Dire que, dans une proposition universelle affirmative (comme « tout homme est un animal »), le prédicat (« animal ») a nécessairement une suppositio confusa tantum (simplement confuse) signifie indifféremment qu'il n'est pas distribué par le quantificateur universel, que la « force » (vis) ou l'officium dudit quantificateur ne l'« atteint pas » (non includit ; on dirait aujourd'hui qu'il a « petit scope ») ou que sa proposition d'occurrence doit être reformulée en une proposition de prédicat disjoint (« tout homme est cet animal ou cet animal ou... animal ») ; réciproquement, dire que le sujet de la même proposition a une supposition confuse et distributive signifie qu'il est distribué et atteint par le quantificateur ou que cette proposition doit être reformulée en une conjonction de propositions singulières (« cet homme est un animal et cet homme est un animal et... animal »). Cette analyse syntactico-sémantique de la valeur de suppléance des termes, complétée par une batterie de règles interdisant le passage d'un type de supposition à un autre (on ne passe pas d'une supposition déterminée à une confuse et distributive, d'une simplement confuse à une confuse et distributive ni d'une simplement confuse à une déterminée), permet évidemment de maîtriser les principaux mécanismes des fallaciae décrits dans les Réfutations sophistiques d'Aristote ; c'est donc en ce sens un puissant outil de lecture, mais ce n'est pas sa seule fonction. Les suppositiones sont avant tout l'outil de travail de la dispute concrète, et plus spécialement de la disputatio de sophismatibus. C'est l'outil analytique de tous les jeux de langage que l'Université secrète, organise et, progressivement, codifie. En absorbant petit à petit toute l'argumentation topique dans le réseau serré du raisonnement conséquentiel (consequentiae), les logiciens médiévaux se sont donné les moyens d'explorer la logique de la discussion, ses nécessités constitutives et ses paradoxes inévitables. La suppositio a été un des instruments de cette théorisation des divers phénomènes pouvant se produire dans des jeux de langage. La théorie des insolubilia – dont le paradoxe du Menteur (« je dis faux ») est le cas le plus spectaculaire – fait appel à la suppositio : la règle selon laquelle un terme ne peut supposer pour sa proposition d'occurrence, règle qui fonde[...]

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Écrit par

  • : agrégé de philosophie, directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses), chaire histoire des théologies chrétiennes dans l'Occident médiéval

Classification

Pour citer cet article

Alain de LIBERA. MOYEN ÂGE - La pensée médiévale [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AGRICOLE RÉVOLUTION

    • Écrit par Abel POITRINEAU, Gabriel WACKERMANN
    • 8 076 mots
    ...siècle, l'agriculture traditionnelle est avant tout une agriculture de subsistance associée à une économie domestique fermée, dite économie de besoin. En Europe occidentale, le domaine héritier direct de la villa carolingienne, composée d'une réserve et de tenures (ou manses), reste l'unité de production...
  • AGRICULTURE - Histoire des agricultures jusqu'au XIXe siècle

    • Écrit par Marcel MAZOYER, Laurence ROUDART
    • 6 086 mots
    • 2 médias
    Pour tenter de surmonter ces difficultés,à partir de l'an 1000, dans la moitié nord tempérée froide de l'Europe, l'usage de toute une gamme d'outils se répandit, en relation avec l'essor de la sidérurgie. Fourneaux à fonte et forges hydrauliques ont permis de produire...
  • ALBIGEOIS (CROISADE CONTRE LES)

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    Le terme « albigeois » a servi, dès le milieu du xiie siècle, à désigner les hérétiques du Languedoc, bien que l'Albigeois ne paraisse pas, aux yeux des historiens modernes (qui ont continué à user de cette appellation devenue traditionnelle), avoir été le principal foyer de l' ...

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    Plus de six siècles séparent la Germanie héritée des Carolingiens de cette « fédération de princes » qu'est l'Allemagne de la Réforme. L'histoire de cette longue période offre le contraste entre une politique vainement hantée par l'idée d'empire et la lente formation de la société...

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Voir aussi