SARTRE JEAN-PAUL
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En avril 1980, la mort de Jean-Paul Sartre fut l'occasion d'une grande ferveur collective. Ses funérailles, sans rappeler exactement celles de Victor Hugo un siècle plus tôt, rassemblèrent la communauté intellectuelle, le peuple de gauche, la jeunesse qui lisait Libération, ce journal populaire qu'il avait aidé à fonder. La gauche en France avait perdu son dernier grand écrivain et son dernier grand intellectuel, au moment même où les intellectuels, une fois révolu leur âge d'or, prenaient leurs distances avec la vie publique. Après la chute du Mur de Berlin, du socialisme soviétique, de la plupart des régimes communistes, le compagnon de route, qu'on louait dans les années 1950-1960 pour sa générosité, semble devenu un compagnon de déroute, le maître d'erreur et de fausseté pour une génération. Il reste certes une communauté internationale de sartriens qui travaille à la connaissance de ses écrits, mais elle ne déborde guère le champ de l'Université et de la recherche. Le grand public a paru donner crédit au livre désolant de Gilbert-Joseph, qui présente le Sartre des années 1940-1944 comme un triste opportuniste, alors qu'il suffit de consulter les Lettres françaises clandestines de 1942-1943 pour y trouver, sous sa plume, les écrits les plus nets et les plus courageux. L'heure est donc aux calomnies et aux anathèmes.
Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre
Simone de Beauvoir (1908 -1986) et Jean-Paul Sartre (1905 -1980) : un demi-siècle de dialogue intellectuel.
Crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images
Et pourtant, depuis 1980, Sartre n'a cessé d'étonner et de retenir ses lecteurs. Publiés en 1983, les Carnets de la drôle de guerre (qui se sont adjoint un « Carnet I » miraculeusement retrouvé) ont révélé un autobiographe et un historiographe de 1939-1940 : qui aurait cru que le soldat Sartre pratiquait avec tant d'énergie un journal si peu intime et que sa métaphysique s'élaborait, avec la force de l'urgence, dans les cantonnements d'Alsace ? Avec les Lettres au Castor (1983) surgit un épistolier totalisateur qui écrit l'histoire de sa personne, de son couple, de son époque. Les Écrits de jeunesse (1990) fourmillent de textes saisissants comme « Jésus la Chouette » ou « Une défaite ». On comprend mieux pourquoi Sartre avait été fasciné par les écrits de jeunesse de Flaubert, et on y voit comment Sartre est devenu Sartre, non sans tâtonnements ni faux pas. On croyait perdu le livre entrepris sur l'Italie en 1951. Or on lit avec délectation, sous le titre étrange La Reine Albemarle, ou le Dernier Touriste (1991), un Sartre capricieux et vif, à l'exemple de Stendhal et de Morand. Les pages retrouvées sur Mallarmé (Mallarmé. La lucidité et sa face d'ombre, 1986) complètent la galerie biographique, entre Baudelaire et Genet : pour une fois, le portraitiste a trouvé un maître qu'il puisse admirer. Dans le domaine philosophique, les Cahiers pour une morale (1983), Vérité et existence (1989), le deuxième volume inachevé de la Critique de la raison dialectique (1985), la réunion en volume des entretiens avec Benny Levy (1991) ont montré qu'il y avait des trésors dans les chantiers que Sartre disait lui-même avoir abandonnés. On peut aussi entendre l'homme de radio, qui avait fait scandale en 1947 avec sa « Tribune des Temps modernes ». Ce mort, dont on dit qu'il s'éloigne, est plus vivant que jamais.
Sartre a eu, successivement et simultanément, plusieurs vies, plusieurs œuvres : personne aujourd'hui ne peut, avec une compétence suffisante, envisager à la fois le philosophe, le romancier, le biographe, l'autobiographe, l'écrivain de cinéma, le parleur au magnétophone, le partisan et le militant, le directeur de revue, le fondateur de quotidien, entre autres. Il a paru nécessaire de distinguer dans ce qui suit philosophie et littérature, si on veut bien comprendre sous le second terme une polygraphie sans limites où Sartre est à la fois romancier, dramaturge, autobiographe et essayiste. Les deux activités sont restées parallèles et ne se sont rejointes que rarement, par exemple à l'occasion d'un livre-carrefour tel que Saint Genet. Sartre lui-même distinguait, un peu sommairement, l'écriture philosophique, sans travail du style, et l'écriture littéraire, stylistiquement élaborée en vue d'un eff [...]
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Écrit par :
- Jacques LECARME : professeur de littérature française à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
- Juliette SIMONT : maître de recherche au Fonds national de la recherche scientifique de Belgique
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Pour citer l’article
Jacques LECARME, Juliette SIMONT, « SARTRE JEAN-PAUL », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 04 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/jean-paul-sartre/