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HUGO VICTOR (1802-1885)

Roman, critique, voyages, histoire dialoguent dans l'œuvre de Victor Hugo avec le lyrisme, l'épopée, le théâtre en un ensemble dont le « poète » a souvent proposé des articulations historiques, géographiques ou idéologiques plutôt qu'une périodisation. En règle générale, l'œuvre en prose a pour fonction de recueillir les éléments les plus secrets de l'œuvre poétique, de les composer en architectures prospectives ; plus neuve et plus audacieuse ainsi, elle peut servir de préface à toute la création hugolienne. Elle se distribue pourtant en trois masses : la mort de Léopoldine, en 1843, entre l'Académie (1841) et la Chambre des pairs (1845), marque une première rupture ; vers 1866-1868, c'est le tournant proprement historique et politique. Chacune de ces masses est caractérisée par la présence de romans ou quasi-romans (Han d'Islande, Bug-Jargal, Le Dernier Jour d'un condamné, Notre-Dame de Paris, Claude Gueux, pour la première ; Les Misérables, Les Travailleurs de la mer, pour la deuxième ; L'Homme qui rit et Quatrevingt-Treize, pour la troisième), de textes mêlés d'histoire, de politique et de voyages (pour l'essentiel, respectivement : Le Rhin  ; Choses vues et Paris  ; Actes et Paroles et Histoire d'un crime) et enfin d'essais critiques, qui se fondent avec l'histoire militante dans la troisième période, en une vue rétrospective qu'annonçaient déjà Littérature et philosophie mêlées dans la première période et la somme du William Shakespeare dans la deuxième. La poétique de l'œuvre en prose s'inscrit donc dans un espace à quatre dimensions : le romanesque, le voyage, la politique, la réflexion critique sur le génie. À côté de l'évolution biographique et historique, c'est le William Shakespeare qui forme le centre de gravité du colosse. Poète usé par l'école de la IIIe République et la pratique des morceaux choisis, dramaturge qu'on croit mort avec le théâtre romantique en 1843 (échec des Burgraves), romancier méconnu parce que trop mesuré aux normes de Stendhal, Balzac ou Flaubert, Hugo apparaît de plus en plus dans sa singularité géniale, si l'on examine toute son œuvre à partir du fonctionnement de son intelligence critique, qui est, contre Sainte-Beuve, une réflexion sur le caractère absolu de la modernité.

Victor Hugo, P. Nadar - crédits : Paul Nadar/ Archives photographiques

Victor Hugo, P. Nadar

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

Les Misérables, V. Hugo

— Jacques SEEBACHER

La poésie hugolienne prend sa source dans la poésie légère du xviiie siècle ; elle revêt, d'abord, des allures post-classiques, puis elle parcourt, illustre, promeut chacun des aspects et des moments de la poésie romantique ; elle en réalise, elle seule, le rêve le plus grand, celui d'une épopée de l'humanité. Elle résume ainsi le xixe siècle, jusque vers 1865, date où Les Chansons des rues et des bois s'accordent à la poésie fantaisiste, joyeuse et artiste d'un Théodore de Banville ; ensuite, Hugo devient, de son vivant même, anachronique. On aurait alors la tentation de résumer le xixe siècle poétique avant Mallarmé et Rimbaud par Hugo et par Baudelaire, comme Goethe résumait le xviiie siècle par Voltaire et Rousseau, en laissant entendre qu'avec Les Fleurs du mal, en 1857, un monde commence tout comme avec Les Contemplations, en 1856, un monde finit. Une telle vision serait fausse. Il y a plus de fulgurations surréalistes dans Ce que dit la bouche d'ombre (ou dans les comptes rendus des séances de spiritisme) que dans toute l'œuvre de Baudelaire. Hugo ne résume pas seulement le romantisme, il en dégage, lui aussi, la modernité par l'audace d'une écriture poétique qui assume la totalité du réel et l'abolit dans son mouvement même. C'est une voix qui donne à entendre toutes les voix, puis le silence. Ce poète est le poète de Dieu. Il a voulu non point enfermer le monde dans son livre – cela[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
  • : conservateur en chef du Patrimoine
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII
  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III
  • : professeur émérite, université de Montréal, Kress Fellow, Galerie nationale, Washington, membre de la Société royale du Canada

Classification

Pour citer cet article

Pierre ALBOUY, Pierre GEORGEL, Jacques SEEBACHER, Anne UBERSFELD et Philippe VERDIER. HUGO VICTOR (1802-1885) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Lucrèce Borgia</em> de V. Hugo, mise en scène de Denis Podalydès - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Lucrèce Borgia de V. Hugo, mise en scène de Denis Podalydès

Victor Hugo, P. Nadar - crédits : Paul Nadar/ Archives photographiques

Victor Hugo, P. Nadar

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

Les Misérables, V. Hugo

Autres références

  • BICENTENAIRE DE VICTOR HUGO

    • Écrit par Pierre-Marc de BIASI
    • 982 mots

    Victor Hugo a eu deux cents ans. La France, en 2002, a fêté dignement le bicentenaire de sa naissance, dix-sept ans après avoir célébré le centenaire de sa mort, en 1985. A-t-on eu pour autant l'impression d'une redite ? Non, car, en réalité, ce n'est pas tout à fait le même Hugo qui a été à l'honneur....

  • LES CHÂTIMENTS, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 086 mots
    • 1 média

    « Écoute, je te dois, Sire, un remercîment/Sans toi je n'aurais pas fait ce livre inclément... » Écrivant ces vers des années plus tard, Victor Hugo (1802-1885) avouait, non sans ironie, sa dette envers Napoléon III. C'est en effet à Jersey puis à Guernesey, entre 1852 et 1870, qu'il...

  • CHOSES VUES, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 184 mots
    • 1 média

    Choses vues est un volumineux ensemble de textes que Victor Hugo (1802-1885) avait laissés impubliés. Réunis en volume, ils ont paru pour la première fois deux ans après sa mort, en 1887. Le titre a été donné par les éditeurs de ses écrits posthumes et repris par la tradition. Il s'avère d'ailleurs...

  • LES CONTEMPLATIONS (V. Hugo) - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-François PÉPIN
    • 1 003 mots
    • 1 média

    Depuis Les Rayons et les Ombres (1840), Victor Hugo (1802-1885) n'avait pas publié de recueil lyrique. Certes Les Châtiments (1853), violent libelle contre Napoléon III, marquaient un retour à la poésie, mais à une poésie tout entière au service de la politique. Dans la Préface aux ...

  • HERNANI, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 950 mots
    • 3 médias

    Le 25 février 1830, a lieu à la Comédie-Française la première d'Hernani (sous-titré d'abord L'Honneur castillan, puis La Jeunesse de Charles-Quint), drame en cinq actes de Victor Hugo (1802-1885). Le spectacle, ce soir-là, est surtout dans la salle : entre tenants de la tragédie...

  • L'HOMME QUI RIT, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 070 mots
    • 1 média

    Commencé à Bruxelles le 21 juillet 1866, continué à Guernesey, puis achevé à Bruxelles le 23 août 1868, L'Homme qui rit est la dernière grande œuvre d'exil de Victor Hugo (1802-1885). Sa rédaction, souvent interrompue, est marquée par le double deuil qui frappe l'auteur en 1868 : Georges,...

  • LA LÉGENDE DES SIÈCLES, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 962 mots

    « Ego Hugo » : la célèbre devise ne pouvait mieux convenir qu'à l'auteur de La Légende des siècles, œuvre « cathédrale » s'il en fut, entreprise prométhéenne et sublime poème de l'humanité pour les uns, sommet de l'emphase mégalomaniaque et du mauvais goût pour les autres, livre...

  • LES CHANSONS DES RUES ET DES BOIS, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 869 mots

    Figure de proue du romantisme, phare de la République et de l'opposition au second Empire, le poète, dramaturge et romancier Victor Hugo (1802-1885) a composé, en contrepoint à ses œuvres graves et comme pour dérouter ses détracteurs, un recueil de soixante-dix-huit poèmes au lyrisme tour...

  • LES ORIENTALES, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 955 mots

    Les Orientales de Victor Hugo (1802-1885) paraissent le 24 janvier 1829, à Paris, chez l'éditeur Gosselin. Dans sa préface, le jeune poète romantique affirme que « tout a droit de cité en poésie ».

    Le recueil est publié la même année que le roman à thèse Le Dernier Jour dun condamné...

  • LES MISÉRABLES, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-François PÉPIN
    • 1 089 mots
    • 1 média

    Alors que Victor Hugo est en exil à Guernesey, où il continue d'affirmer son opposition à Napoléon III, paraissent à Paris en 1862 les dix volumes des Misérables, énorme roman commencé en 1845. Épopée du peuple et de la misère, Les Misérables, en dépit de quelques invraisemblances,...

  • NOTRE-DAME DE PARIS, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 461 mots

    À la mi-mars 1831, lorsque paraît, sous son titre complet, Notre-Dame de Paris, 1482, Victor Hugo (1802-1885) n'a que vingt-huit ans. Il s'est déjà rendu célèbre par ses poèmes ‒ Odes et ballades (1822-1828),Les Orientales(1829) ‒ et ses pièces de théâtre ‒ Cromwell ...

  • QUATREVINGT-TREIZE, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 156 mots
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    Rédigé de décembre 1872 à juin 1873, publié en 1874, Quatrevingt-Treize est le dernier roman de Victor Hugo (1802-1885). L'écrivain en forma le projet dès après la parution des Misérables, en 1862. À l'origine, l'ouvrage devait conclure une trilogie romanesque qui aurait peint au préalable...

  • RUY BLAS, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 762 mots
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    Ruy Blas est une pièce en cinq actes et en alexandrins de Victor Hugo (1802-1885), créée à Paris, au théâtre de la Renaissance – inauguré pour l'occasion – le 8 novembre 1838, soit huit ans après la « bataille d'Hernani ». Huit années durant lesquelles le drame romantique...

  • LES TRAVAILLEURS DE LA MER, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 197 mots
    • 1 média

    Écrits à Guernesey en 1864 et 1865, et publiés l'année suivante simultanément à Bruxelles et Paris, Les Travailleurs de la mer sont certainement, des œuvres composées par Victor Hugo (1802-1885) pendant l'exil, celle qui doit le plus au lieu lui-même. Cette influence s'accentue par la suite...

  • ANANKÈ

    • Écrit par Lucien JERPHAGNON
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    Le mot grec anankè veut dire « nécessité » (anankè estin, « il faut ») ; plus précisément, chez les poètes, les tragiques, les philosophes, les historiens, anankè évoque une contrainte, une nécessité naturelle, physique, légale, logique, divine... Ce nom personnifie la Nécessité...

  • BOULANGER LOUIS (1806-1867)

    • Écrit par Bruno FOUCART
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    Avec Célestin Nanteuil, Eugène et Achille Devéria, Louis Boulanger appartient à cette pléiade de peintres-graveurs étroitement liés au mouvement romantique, dont ils sont les fidèles illustrateurs et compagnons de combat, tandis que Delacroix mène, avec la liberté du génie, une carrière beaucoup...

  • BRION GUSTAVE (1824-1877)

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    Comme Schuler (qui fut d'abord un illustrateur), Brion est un peintre de l'Alsace, dont l'œuvre, après 1870, touche le public du Salon par la fibre patriotique des « provinces perdues ». Né à Rothau dans les Vosges dans une famille où l'on se faisait volontiers pasteur, il était le petit-neveu de...

  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
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    ...bruyants qu'ils ne tenaient guère en estime. En sont-ils moins romantiques pour cela ? Quant aux doctrines et aux préfaces, à commencer par celles de Hugo, que de fois elles se contredisent, ou ne sont écrites que pour justifier quelque hardiesse bizarre ! Que de fois, d'ailleurs, ces sonores déclarations...
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