Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

STENDHAL (1783-1842)

Stendhal - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Stendhal

Stendhal est fâcheusement réduit, de nos jours, à l'état de classique du roman : encore n'en connaît-on ordinairement qu'un ou deux titres. Stendhal s'éloigne, et l'on méconnaît le rôle magistral qu'il a joué dans la littérature française du xxe siècle et l'exceptionnelle présence qu'il a été, lui seul ou presque parmi les écrivains du romantisme. Mythe moderne, que lui-même a sans doute voulu et créé, mythe qui repose sur une certaine « sacralité » de l'auteur, sans laquelle son œuvre ne peut être ni saisie ni comprise, mythe enfin qui se confond avec l' égotisme, autre invention de Stendhal, ou mieux d'Henri Beyle, qui unit l'homme et l'œuvre, et brouille les distinctions entre littérature et existence. L'« égotisme » chez Stendhal, c'est d'abord l'affirmation d'un moi fort : tout événement vaut par la conscience qu'il en prend ; il doit éprouver et connaître, c'est-à-dire se connaître éprouvant, explorer et apprécier son moi dans l'acte de se réfléchir et de se saisir. Étant à lui-même son propre idéal, l'être stendhalien vit et écrit d'un même mouvement. L'œuvre de Stendhal se confond donc avec sa vie, qui inversement devient une œuvre, et Stendhal est d'abord l'auteur dont l'existence révélée, exhibée et cachée par lui-même est contenue dans la masse des textes qui la rapportent, et qui vont du journal intime (presque continu de 1801 à 1817), de l'œuvre épistolaire, à l'autobiographie (deux essais inachevés, Souvenirs d'égotisme, 1832 ; Vie de Henry Brulard, 1835-1836), au journal de voyage fictif et à la fiction complète. Son moi, trop riche pour être contenu dans un nom, ne cessera, à travers l'usage des pseudonymes, de produire des dizaines de fausses identités. Une étrange graphomanie le conduit à écrire son moi sur tout support : meubles, vêtements, boîtier de montre, les livres des autres et les siens sur lesquels il griffonne d'innombrables marginales.

Vie de Stendhal

Né à Grenoble le 23 janvier 1783, Henri Beyle perd sa mère à sept ans et vit, dans une famille qu'il hait, une enfance sombre et révoltée ; son opposition est soutenue par sa participation passionnée aux événements de la Révolution, par ses études à l'École centrale (1796-1799), où il reçoit une formation « moderne » et acquiert de bonnes connaissances en mathématiques. Il se rend à Paris sous prétexte de se présenter à l'École polytechnique. Là, son cousin Pierre Daru le fait travailler au ministère de la Guerre et l'emmène avec lui durant la campagne d'Italie. Le 10 juin 1800, il entre à Milan ; nommé sous-lieutenant au VIe dragons, il reste en Italie jusqu'à la fin de 1801. Amoureux à Grenoble d'une actrice, Mlle Kubly, à qui il n'a jamais adressé la parole, il s'éprend à Milan d'Angela Pietragrua, l'Italienne exemplaire, qui sera sa maîtresse onze ans plus tard.

De 1802 à 1806, livré à lui-même à Paris, Henri Beyle vit une période, presque un roman, de formation : il lit beaucoup, se prépare à une carrière dramatique, fréquente les théâtres, prend des leçons d'art dramatique et se sent en état de rupture vis-à-vis d'un classicisme dont il n'ose pas encore rejeter l'emprise. Et aussi il essaie de s'initier à toutes les formes de succès en société : il veut faire fortune (d'où un séjour à Marseille pour y faire négoce), séduire des femmes (d'où la conquête de Mélanie Guilbert, une actrice, avec qui il vit à Marseille), vaincre à force de succès dans la réalité une sorte de timidité générale (littéraire en particulier) que l'idéologie, le pouvoir sur autrui, le déploiement en toutes choses de la raison et de la volonté, doivent guérir. Julien Sorel doit beaucoup à cette époque de sa vie.[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Média

Stendhal - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Stendhal

Autres références

  • LA CHARTREUSE DE PARME, Stendhal - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 993 mots
    • 1 média

    La Chartreuse de Parme est, après Armance (1827) et Le Rouge et le Noir (1830), le troisième et dernier roman achevé de Stendhal (1783-1842). Si l'histoire semble inspirée d'une chronique italienne relatant la jeunesse du pape Alexandre Farnese, il ne subsiste aucune trace de la genèse du livre,...

  • ROME, NAPLES ET FLORENCE, Stendhal - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 778 mots

    Rome, Naples et Florence (1826), version très remaniée d'un livre paru neuf ans plus tôt (Rome, Naples et Florence, en 1817) est le deuxième ouvrage d'Henri Beyle (1783-1842) et le premier signé du pseudonyme de Stendhal. À travers ce récit de voyage, l'auteur témoigne de son amour...

  • LE ROUGE ET LE NOIR (Stendhal) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 253 mots
    • 1 média

    Julien Gracq a magnifiquement évoqué la « tranquille insurrection intellectuelle et affective » qui s'empare de quiconque ouvre Le Rouge et le Noir. Grand classique du roman du xixe siècle, le livre dépasse largement le cadre du réalisme qui semble le caractériser alors même que ...

  • VIE DE HENRY BRULARD, Stendhal - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 925 mots

    Entre les deux principaux ouvrages autobiographiques de Stendhal, il existe moins une différence de degré que de nature : comme l'indique clairement son titre, les Souvenirs d'égotisme(1832) présentent un Henri Beyle mémorialiste de lui-même sous la Restauration – dix jours d'écriture...

  • AUTOBIOGRAPHIE

    • Écrit par
    • 7 517 mots
    • 5 médias
    On connaît la circonspection de Stendhal au moment où il s'engage dans la Vie de Henry Brulard : « Qu'ai-je été, que suis-je, en vérité je serais bien embarrassé de le dire. » C'est précisément la prégnance des « je » et des « moi » qui fait obstacle à la sincérité, mais aussi à l'écriture même....
  • CRÉATION LITTÉRAIRE

    • Écrit par
    • 11 578 mots
    • 3 médias
    ...exprimer cet impératif créateur de l'écriture littéraire qui privilégie tel ou tel regard sur les espaces et sur les choses. Nous montrions alors comment Stendhal privilégie, pour exalter tel ou tel sens de l'œuvre, soit un « portant épique », soit un « portant mystique » du décor : portants qui vont situer,...
  • DEL LITTO VITTORIO (1911-2004)

    • Écrit par
    • 808 mots

    Vittorio Del Litto aura marqué un moment capital du « stendhalisme », qu'il aura incarné sous tous ses aspects par ses écrits qui vont de 1935 à 1997, et par l'exercice de ce qu'il faut bien appeler au meilleur sens du mot, un pontificat : il y avait son Stendhal-Club, paru de...

  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    Avec Racine et Shakespeare (1823-1825), Stendhal, « hussard du romantisme » selon Sainte-Beuve, insiste sur une idée force, la nécessité d'actualiser des formes théâtrales sclérosées : il appelle de ses vœux « une tragédie nationale en prose » qui offrirait aux contemporains les trésors de leur histoire...
  • Afficher les 13 références