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INFINI, philosophie

La philosophie a emprunté la notion de l'infini – corrélative de la notion du fini – à la réflexion sur l'exercice de la connaissance, d'une part ; à l'expérience ou à la tradition religieuse, de l'autre. Ces deux sources déterminent la variété des significations qui s'attachent à cette notion, les problèmes qu'elle pose et l'évolution qu'elle subit au cours de l'histoire de la philosophie. Le terme même est un adjectif substantifié. Il désigne la propriété de certains contenus offerts à la pensée de s'étendre au-delà de toute limite. Il s'emploie donc d'abord là où limite a un sens apparemment originel, il convient aux grandeurs extensives : à l'espace s'étendant à perte de vue au-delà du lieu habité ou contemplé ; au temps auquel l'heure toujours s'arrache ; à la série des nombres dont aucun n'est plus grand – quanta formant séries. Mais le terme infini convient aussi aux grandeurs en tant que continues – aux quanta continua extensifs ou intensifs, où aucune partie du tout n'est la plus petite possible : le continu diminue à l'infini. Les quanta, terre natale de l'infini, ne sont cependant pas son domaine exclusif. L'infini peut désigner une excellence qualitative superlative, au-dessus de la mesure ou des limites humaines, la divinité d'attributs, enveloppant l'infini de la durée dans l'immortalité des dieux, malgré une certaine finitude attestée par leur multiplicité qui se fait conflits et luttes. Mais l'infini peut aussi se placer au-dessus des infinis multiples : l'Un infini des néo-platoniciens au-dessus de toute multiplicité (qui découvre la perspective d'infinité où se plaçait déjà l'idée platonicienne du Bien-au-delà-de-l'Essence), le Dieu Un de la Bible hébraïque introduit par le christianisme dans l'histoire européenne. La Bible, sans user du terme infini (qui dans la kabbale médiévale deviendra le nom absolu de Dieu : En-Sof = in-fini), énonce une puissance au-delà de toute puissance, qu'aucune créature, ni aucune divinité autre, ne limite et dont personne ne peut connaître les voies. Perfection d'un idéal inaccessible, qu'aucune pensée, aucun acte ne saurait jamais atteindre (même s'il y a lieu de se demander comment l'au-delà de l'acte et de la pensée réussit à se signaler comme tel à l'acte de la pensée). Descartes dira : « Je conçois Dieu actuellement infini en un si haut degré qu'il ne se peut rien ajouter à la souveraine perfection qu'il possède » (Méditation III). La notion de l'infini se rapproche ici de la notion de transcendance. Mais elle réside aussi dans l'idée même de puissance, dans la volonté que la puissance suppose, dans la spontanéité qui est précisément une façon d'être sans se déterminer par le dehors, c'est-à-dire sans avoir de limites. Le Dieu cartésien sera infini de la sorte : volonté qui n'est même pas commandée par le Bien ou le Mal, le Vrai ou le Faux, car elle les institue. La volonté libre de l'homme pourra dans ce sens, chez Descartes, se dire aussi infinie. L'équivalence de la volonté libre et de l'infini sans transcendance inspirera la pensée de l'infini chez Fichte, Schelling et Hegel. C'est encore la volonté – volonté de la volonté – ou volonté de puissance, qui, chez Nietzsche, décrit le dépassement de l'homme, le surhomme. Pour une philosophie qui juge la transcendance hors de la portée de l'être pensant mais fini, l'infini sera considéré comme une idée méthodologique, principe régulateur de la science du fini et assurant son progrès. Idée et rien qu'idée, sans contrepartie dans l'être.

Mais la transcendance n'est pas la seule façon de s'affranchir des limites.[...]

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Pour citer cet article

Emmanuel LÉVINAS. INFINI, philosophie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANAXIMANDRE (VIe s. av. J.-C.)

    • Écrit par Clémence RAMNOUX
    • 532 mots
    • 1 média

    De quelque quinze ou vingt ans le cadet de Thalès, et sans doute son élève : ce qui place sa maturité entre ~ 570 et ~ 565 environ. À la suite d'Aristote et de Théophraste, la doxographie ancienne lui attribue une place importante à l'origine des techniques, des sciences et de la...

  • ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 11 137 mots
    • 8 médias
    ...n'est pas tel ou tel élément, dont la particularité risque de faire obstacle à sa transformation dans les autres, mais quelque chose de plus fondamental, l'infini, dont il expliquait ainsi le rôle : il n'y a rien qui soit principe par rapport à l'infini, mais l'infini est principe pour tout le reste, qu'il...
  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...c'est-à-dire dont l'acte même, aussi longtemps qu'il est mouvement, est de ne jamais être tout à fait en acte. De ce point de vue, le mouvement se rapproche de l'infini, notion analysée dans la suite du livre III. L'infini a pour caractéristique de ne pouvoir jamais être en acte ; il n'est pas une chose déterminée,...
  • ART (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 282 mots
    ...semblable aux autres, mais qu’il est porteur de quelque chose d’infini, de divin, et que sa vocation est d’amener au grand jour cette part de lui-même. Cependant, en progressant sur la voie de cette conscience de soi, l’humanité va découvrir une contradiction insurmontable : comment peut-on symboliser...
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