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INFINI, philosophie

Infini et éthique

Dans le contexte de la connaissance où il apparut à la pensée occidentale, l'Infini absorbe le fini, se produit comme le Même surmontant l'Autre, pensée de la pensée en faisant omnitudo realitatis. Mais dans cette divinisation de l'Infini n'a-t-on pas perdu la divinité spécifiquement religieuse du Dieu qui permit à l'idée d'infini de dominer le rationalisme occidental. Pour une théologie qui fit de sa gnose l'objet même de cette gnose, toute relation avec l'Infini qui ne serait pas savoir passerait pour représentation sans concept, pour enfance de la pensée absolue. On peut se demander cependant si une autre voie n'est pas possible. La présence enseignée par Descartes de l'Idée d'infini dans une âme, créée trop petite pour la contenir, indique que son altérité ne limite ni n'absorbe, qu'elle exalte l'âme à laquelle, selon la logique formelle, elle devrait porter atteinte. Que l'altérité de l'Infini puisse consister à ne pas se réduire, mais à se faire proximité et responsabilité, que la proximité ne soit pas une coïncidence qui échoue mais un incessant – un infini – et comme un glorieux accroissement de l'altérité dans son appel aux responsabilités, lesquelles paradoxalement, s'accroissent au fur et à mesure qu'elles se prennent ; que le fini soit ainsi comme pour la plus grande gloire de l'Infini – voilà le dessin formel de la notion d'infini qui, prise pour un pur savoir, se dénivelle. « Je n'ai jamais traité de l'infini que pour me soumettre à lui », écrit Descartes à Mersenne le 28 janvier 1641, montrant dans la connaissance même de l'Infini déjà un au-delà de la connaissance. La proximité d'autrui me montrant son visage, en société avec moi, et les implications de cette rencontre renversent en éthique le jeu logique et ontologique du même et de l'autre. Tout un courant de la philosophie contemporaine, partant de l'irréductibilité de l'interpersonnel aux rapports d'objectivation, de thématisation et de connaissance, se situe dans la tradition religieuse de l'idée de l'infini. On peut se demander si elle ne s'en approche pas, même quand elle se formule d'une façon sciemment et rigoureusement athée.

— Emmanuel LÉVINAS

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Pour citer cet article

Emmanuel LÉVINAS. INFINI, philosophie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANAXIMANDRE (VIe s. av. J.-C.)

    • Écrit par Clémence RAMNOUX
    • 532 mots
    • 1 média

    De quelque quinze ou vingt ans le cadet de Thalès, et sans doute son élève : ce qui place sa maturité entre ~ 570 et ~ 565 environ. À la suite d'Aristote et de Théophraste, la doxographie ancienne lui attribue une place importante à l'origine des techniques, des sciences et de la...

  • ANTIQUITÉ - Naissance de la philosophie

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 11 137 mots
    • 8 médias
    ...n'est pas tel ou tel élément, dont la particularité risque de faire obstacle à sa transformation dans les autres, mais quelque chose de plus fondamental, l'infini, dont il expliquait ainsi le rôle : il n'y a rien qui soit principe par rapport à l'infini, mais l'infini est principe pour tout le reste, qu'il...
  • ARISTOTE (env. 385-322 av. J.-C.)

    • Écrit par Pierre AUBENQUE
    • 23 786 mots
    • 2 médias
    ...c'est-à-dire dont l'acte même, aussi longtemps qu'il est mouvement, est de ne jamais être tout à fait en acte. De ce point de vue, le mouvement se rapproche de l'infini, notion analysée dans la suite du livre III. L'infini a pour caractéristique de ne pouvoir jamais être en acte ; il n'est pas une chose déterminée,...
  • ART (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 282 mots
    ...semblable aux autres, mais qu’il est porteur de quelque chose d’infini, de divin, et que sa vocation est d’amener au grand jour cette part de lui-même. Cependant, en progressant sur la voie de cette conscience de soi, l’humanité va découvrir une contradiction insurmontable : comment peut-on symboliser...
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