Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

DURÉE

Cette notion indique l'idée de persistance d'un phénomène, de maintenance temporelle d'une réalité.

Pour saint Thomas, la durée est, suivant la formule d'E. Gilson, « de même nature que le mouvement même de l'être qui dure ». Descartes, au nom du mécanisme, rejette le principe de permanence fondé par les scolastiques sur les formes substantielles. Dans son œuvre, c'est un rabattement de la durée sur l'étendue qui fonde la mesure de la durée. Cette soumission de la durée à une règle géométrique d'extension temporelle permet la réduction des rythmes phénoménaux au temps uniforme des horloges — comme épure temporelle d'un mouvement régulier uniforme, idéalement monotone, linéaire, composé d'instants successifs. Le lien entre les instants est d'extériorité pure. Aucune chose ne porte en soi le principe de sa permanence.

À partir de la dynamique leibnizienne, la compréhension du substrat physique de la mécanique change profondément. La durée est à l'ordre temporel ce que l'étendue est à l'ordre spatial. Mais cela ne signifie nullement une réduction de l'expérience spatio-temporelle à la polarité cartésienne « étendue-durée ». Si l'étendue correspond aux variables extensives, la durée quant à elle renvoie à des variables intensives. Force, désir, vie, esprit sont autant d'expressions d'un même principe d'action par lequel toute individuation se réalise. Cette compréhension dynamique de la stabilité et de la permanence des formes revenait à reconnaître, sans renoncer à la physique mathématique, que la durée (comme l'étendue) est une réalité complexe, dotée d'une intériorité.

Pour sa part, Bergson a opposé une durée vivante, concrète, pure à une temporalité de type abstrait et mathématique, figée dans l'ordre géométrique. Bergson réduit le schématisme mathématique à l'étendue cartésienne, et la fonction mentale qui lui correspond à la seule « intelligence », entendue comme l'intelligence appliquée de l'ingénieur. Par conséquent, « nous ne pensons pas le temporel, mais nous le vivons, parce que la vie déborde l'intelligence » (L'Évolution créatrice). Pourtant il y a dans la durée bergsonienne un aspect qui annonce une nouvelle pensée du temps, celle d'un temps structurant, qui serait hiérarchie de rythmes et de tensions : « Il n'y a pas un rythme unique de la durée ; on peut imaginer bien des rythmes différents, qui, plus lents ou plus rapides, mesureraient le degré de tension ou de relâchement des consciences et, par là, fixeraient leurs places respectives dans la série des êtres » (Matière et mémoire).

Cette alternative entre un temps vécu et un temps spatialisé engendre un débat à l'intérieur d'une même postulation ontologique sur la réalité du temps : le temps passe, s'écoule, il n'a d'autre réalité que ce devenir incessant où le présent s'épuise. L'expérience humaine est bornée de néant : « Comment donc ces deux temps, le passé et l'avenir, sont-ils puisque le passé n'est plus et que l'avenir n'est pas encore ? Quant au présent, s'il était toujours présent, s'il n'allait pas rejoindre le passé, il ne serait pas du temps, il serait l'éternité » (saint Augustin, Confessions, XI, 14). Ainsi comprise, la temporalité est la dimension de notre finitude. Nous n'échappons ni au temps, ni à l'histoire. La durée des modernes est la conscience originaire de cette limite. Ainsi réduite, la temporalité renvoie nécessairement à la notion d'un temps linéaire, irréversible, uniforme, historique, profane ; la durée ne peut correspondre alors qu'aux aspects les plus pauvres de la conscience. La conscience du temps constitue une donnée première à partir de laquelle[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Autres références

  • ANNALES ÉCOLE DES

    • Écrit par
    • 3 324 mots
    • 1 média
    Devant relever un double défi institutionnel et scientifique, l'histoire fait mieux que résister. Braudel propose lalongue durée comme modèle et langage commun à l'ensemble des sciences de l'homme, dans son ouvrage qui fera date : La Méditerranée et le monde méditerranéen à l'époque...
  • BERGSON HENRI (1859-1941)

    • Écrit par
    • 8 130 mots
    • 1 média
    Le changement est inséparable du temps, et la philosophie bergsonienne s'élabore en contrepoint d'une réflexion sur celui-ci.« Durée » est le nom donné par Bergson à la perception du temps réel, qu'il oppose à la notion commune (pragmatique et sociale) du temps, ainsi qu'à son concept scientifique....
  • DÉVELOPPEMENT DU TEMPS, psychologie

    • Écrit par
    • 2 097 mots
    Lorsqu’il s’agit de l’évaluation de ladurée d’événements ou de l’intervalle temporel entre deux événements, de quelques millisecondes à plusieurs minutes, on parle de perception du temps. La perception du temps n’est pas une capacité spécifique à notre espèce. Les animaux comme les...
  • ÉPHÉMÈRE, arts

    • Écrit par
    • 2 188 mots
    Deux siècles plus tard, Georg Wilhelm Friedrich Hegel, cherchant à montrer l'idéalité de l'art, écrit : « À ce qui est éphémère dans la nature, l'art donne la solide consistance de la durée ; un sourire fugace, une bouche qui se plisse malicieusement, un regard, une lueur fugitive [...], tout cela,...
  • Afficher les 17 références