Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

FUTURISME

Les principes théoriques et techniques

Les manifestes picturaux de l'année 1910 constituent des préalables à la pratique plastique futuriste, même s'ils s'inspirent de principes plus ou moins explicites de l'œuvre antérieure des signataires. Ils vont induire des audaces formelles inédites et donner au mouvement l'impulsion vigoureuse qui l'impose d'emblée sur la scène internationale.

Le rejet du passéisme

À l'image du prototype marinettien dont ils relaient certains des thèmes, ces manifestes englobent dans la même exécration du passé tout à la fois les hommes, les institutions, les modèles, les pratiques.

Les futuristes fustigent les professeurs « ignorants », les archéologues « nécrophiles », les critiques « vendus », les peintres « impuissants », les architectes « affairistes », et n'épargnent pas davantage le public, « canaille inconsciente » qui applaudit. Ils dénoncent les académies « podagres », l'atmosphère « pourrissante » des musées – cimetières promis à la pioche ou au feu – et l'ignorance des officiels. Reniant en bloc l'image référentielle de l'Italie artistique, « patrie de cadavres, immense Pompéi de sépulcres blanchis », ils vilipendent les grands centres historiques, particulièrement Venise, ville-fossile, stigmatisée dans plusieurs manifestes (Tuons le clair de lune et Contre Venise passéiste).

Quant aux modèles, ils subissent une véritable hécatombe. Paradigme de l'art du passé, La Joconde, avant de devenir tête de massacre pour Dada et le surréalisme, reçoit un douteux hommage : « des fleurs, une fois par an, à ses pieds ». La peinture sombre se voit condamnée pour contrefaçon. Seuls Rembrandt, Goya et Rodin, suspects de mauvais goût, semblent pour cela même trouver grâce. Mais les cibles existent chez les modernes. Le synthétisme (sans nommer explicitement Gauguin), taxé de « puéril et grotesque » ; l'Art nouveau sécessionniste rejeté d'autant plus violemment qu'il investissait encore naguère le vocabulaire formel et symbolique de Boccioni et de Carrà ; les Indépendants, enfin, « faux aveniristes » eux aussi, mais auxquels tous doivent leur technique de prédilection : le divisionnisme.

Le culte de la vitesse

Si le Manifeste du futurisme désignait la machine comme symbole par excellence de modernité, il mythifiait les engins de transport rapide : train, bateau et surtout automobile. Pour leur part, les manifestes picturaux préfèrent évoquer le mouvement et son concept, la vitesse. Immergé dans cette dimension, l'homme trouve un accord avec le « dynamisme universel », car « tout bouge, tout court, tout se transforme rapidement ». À partir de cela, on peut analyser deux sortes d'images contiguës. Les unes de type rétinien, dues à la persistance des images : « un cheval au galop n'a pas quatre pattes, mais vingt » (Le Cavalier rouge, Carrà, 1912). D'autres, plus abstraites, liées à l'expérience bergsonienne de la durée, intègrent des images fragmentaires inscrites plus ou moins profondément dans le souvenir ; elles assumeront un rôle essentiel dans le procès évolutif du futurisme.

La thématique

Contrairement aux tendances modernes, le futurisme ne relègue pas le sujet au second plan. Son lien essentiel au monde physique comme son engagement social et politique réhabilitent l'iconographie.

Certains des thèmes, présents dès l'origine, célèbrent le monde urbain (Périphérie, Boccioni, 1909) et le noctambulisme (Nocturne place Beccaria, Carrà, 1910) ; d'autres apparaîtront sous la pression des événements politiques (Drapeaux à l'autel de la patrie, Balla, 1915) ou guerriers (Train blindé, Severini, 1915). Les manifestes suscitent rapidement des intérêts nouveaux. L'automobile donne naissance chez Balla et Boccioni à des séries ; mais rien[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : réalisateur et critique de cinéma
  • : professeur émérite des Universités, président du centre de recherche Pierre-Francastel
  • : agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Grenoble

Classification

Pour citer cet article

Jean-Louis COMOLLI, Claude FRONTISI et Claude KASTLER. FUTURISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Les fondateurs du futurisme - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Les fondateurs du futurisme

Le futurisme - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Le futurisme

Marinetti - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Marinetti

Autres références

  • LE FUTURISME À PARIS (exposition)

    • Écrit par Henri BEHAR
    • 1 016 mots

    À Paris, le Centre Georges-Pompidou présentait, du 15 octobre 2008 au 26 janvier 2009, une exposition consacrée au Futurisme à Paris, significativement sous-titrée, d'après Mikhaïl Larionov, « une avant-garde explosive ». Elle se transportera ensuite à Rome (Scuderie al Quirinale) puis...

  • FUTURISME. MANIFESTES, DOCUMENTS, PROCLAMATIONS, Giovanni Lista - Fiche de lecture

    • Écrit par Jacinto LAGEIRA
    • 964 mots
    • 1 média

    L'anthologie Futurisme. Manifestes, documents, proclamations a été mise au point par Giovanni Lista, l'un des meilleurs spécialistes du mouvement futuriste, auquel il a consacré une douzaine d'ouvrages. Elle comporte les principaux textes des protagonistes écrits entre 1909 et 1930, ainsi que...

  • AFFICHE

    • Écrit par Michel WLASSIKOFF
    • 6 817 mots
    • 12 médias
    ...alors une dimension nouvelle au cubisme, à partir de laquelle les affichistes à leur tour vont déployer leurs recherches au cours des années 1920. Les futuristes, quant à eux, diffusent internationalement, livres, manifestes et affiches, prônant une « nouvelle conception de la page typographiquement...
  • AVANT-GARDE EST-EUROPÉENNE

    • Écrit par Andrzej TUROWSKI
    • 8 086 mots
    ...l'approche des problème posés par l'art moderne. Les déclarations expressionnistes se sont raréfiées au profit de l'attraction exercée par la dynamique futuriste et par le jeu dadaïste. Ces deux tendances engendrent une attitude générale par rapport à l'art plutôt qu'elles n'aboutissent à des solutions...
  • BALLA GIACOMO (1871-1958)

    • Écrit par Maïten BOUISSET
    • 655 mots

    Signataire avec Boccioni, Carrá, Russolo et Severini du Manifeste des peintres futuristes, le 11 février 1910 à Milan, Giacomo Balla est le plus âgé du groupe. Né à Turin, Balla décide très tôt de sa vocation de peintre. Autodidacte, il ne suivra que quelques cours de dessin ; il travaille chez...

  • BOCCIONI UMBERTO (1882-1916)

    • Écrit par Maïten BOUISSET
    • 637 mots
    • 3 médias

    « Il n'y a qu'une loi pour l'artiste, c'est la vie moderne et la sensibilité futuriste », écrivait Umberto Boccioni, qui est incontestablement, avec le poète Marinetti, le protagoniste le plus important et la figure la plus complète du mouvement futuriste : il en fut le théoricien le plus lucide,...

  • Afficher les 50 références

Voir aussi