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EXPRESSIONNISME

Cinéma

<it>Le Cabinet du docteur Caligari</it> - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Le Cabinet du docteur Caligari

Le premier film expressionniste, Le Cabinet du docteur Caligari (1919), né en Allemagne, est dû au hasard, à une époque où l'apogée de l'expressionnisme dans les autres arts était déjà dépassé depuis des années.

La naissance à partir du décor

Un scénario bizarre au sujet hallucinant, écrit, grâce à un de ses auteurs, Carl Mayer, dans un style expressionniste explosant en phrases courtes, en exclamations entrecoupées, fut confié, selon les habitudes des studios allemands, à un décorateur, Hermann Warm. Celui-ci l'étudia le jour même avec deux amis peintres employés comme lui au studio. Attiré par ce scénario étrange, l'un d'eux, Walter Reimann, proposa d'exécuter les décors sur des toiles peintes dans un style expressionniste. Le producteur, envisageant un film bon marché, y consentit ; le metteur en scène, Robert Wiene, fit de même.

Toutefois, le grand public boudait un film où des ruelles étroites se prolongeaient en lignes ondulées et suintaient d'angoisse, où des maisons ne semblaient être que des cubes vaguement penchés, où des portes étrangement obliques et les losanges déformés de fenêtres paraissaient ronger insidieusement les murs. Le comportement expressionniste des acteurs, aux gestes brusques et sans liaison logique, à la mimique grimaçante, ainsi que leurs maquillages et accoutrements insolites, adaptés à la distorsion du décor, choquaient les spectateurs, tandis que de rares intellectuels acclamaient cette œuvre nouvelle. Exporté deux ans après comme film « autrichien » à cause de l'hostilité persistante des autres pays envers l'Allemagne depuis la guerre mondiale, Le Cabinet du docteur Caligari obtint un grand succès en France et aux États-Unis.

Le tournage intégral en studio, même pour des extérieurs abstraits, devint une des caractéristiques du cinéma expressionniste. Car les préceptes de cet art forcèrent les artistes qui le pratiquaient à « forger leur monde », à ne pas tomber dans la « décalcomanie servile du naturalisme ».

Difficultés de délimitation

Aujourd'hui, où l'on croit à tort que presque tous les films allemands des années 1920 sont expressionnistes, on tend à en penser autant de certains films des années 1910. Or L'Étudiant de Prague (1913) de Stellan Rye et Paul Wegener est tourné dans les extérieurs naturels de cette ville et comporte même quelques intérieurs réalisés dans un vrai château. Dans les rares intérieurs tournés au studio flotte un envoûtant clair-obscur à la Rembrandt, souvenir plutôt de la magie des ombres et lumières sur la scène de Max Reinhardt, à la troupe duquel Paul Wegener appartint pendant des années. On sait peu du premier Golem(1914), film perdu de Wegener et Henrik Galeen. Quant au deuxième Golem (1920), Paul Wegener s'est toujours défendu d'avoir voulu en faire un film expressionniste, et cela malgré les décors du célèbre architecte Hans Poelzig. Aussi les contours originaux de bâtiments gothiques transparaissent-ils encore quelque peu dans les maisons aux pignons raides du ghetto ; seuls les intérieurs, avec leurs nervures et ogives en demi-ellipses, dénoncent l'appartenance au style expressionniste. Mais ici encore le clair-obscur fluide semble provenir des effets de Max Reinhardt.

Cela révèle le caractère hybride de maint film dit expressionniste. Déjà Wiene lui-même, essayant d'exploiter de nouveau le caligarisme, n'atteint plus la valeur plastique de celui-ci dans son film suivant, Genuine (1920), et cela malgré un scénario du même Carl Mayer et les décors d'un peintre expressionniste célèbre, Cesar Klein. Son Raskolnikov (1922) s'imposa grâce à la transformation fantastique et presque surréelle des décors par Andrei Andreiev ; mais ici également les éclairages rappellent ceux de Max Reinhardt.

Nosferatu le vampire, F. W. Murnau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Nosferatu le vampire, F. W. Murnau

Comme Wegener, Fritz Lang déclare que son[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, maître de conférences à l'École polytechnique (département des humanités et sciences sociales)
  • : conservateur en chef des archives non filmées à la Cinémathèque française
  • : professeur honoraire des Universités

Classification

Pour citer cet article

Jérôme BINDÉ, Lotte H. EISNER et Lionel RICHARD. EXPRESSIONNISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>L'Étreinte</it>, E. Schiele - crédits :  Bridgeman Images

L'Étreinte, E. Schiele

<it>Promeneurs</it>, A. Macke - crédits : AKG-images

Promeneurs, A. Macke

<it>Nu assis sur des coussins</it>, A. Macke - crédits : AKG-images

Nu assis sur des coussins, A. Macke

Autres références

  • ABSTRAITS DE HANOVRE

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