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EXPRESSIONNISME

Littérature

En littérature, l'emploi du mot expressionnisme suit presque immédiatement ses premières apparitions dans le vocabulaire des arts plastiques. En 1911, un jeune écrivain de formation philosophique, Kurt Hiller, s'en prend aux « esthètes » : ils ne sont rien d'autre, estime-t-il, que « des plaques de cire enregistrant des impressions ». Il leur oppose la génération montante, à laquelle il est fier d'appartenir : « Nous sommes des expressionnistes. Ce qui nous importe à nouveau, c'est le fond, le vouloir, l'éthos. »

Le sens d'une dénomination

Voilà l'expressionnisme littéraire brièvement mais déjà clairement défini. Les « esthètes » fustigés par Kurt Hiller sont à ses yeux des écrivains « impressionnistes » : ils fondent leur art sur la représentation d'une réalité qu'ils appréhendent exclusivement par les sens. En outre, ils ne sont que des amuseurs cherchant à séduire un public. Ce qu'il faut, c'est que l'écrivain mette au premier plan ses exigences morales en tant qu'individu, tout ce qui provient du fond de son être, et, contre l'autorité illusoire des sens, rétablisse le pouvoir de l'esprit.

Le même Kurt Hiller, dans un livre de 1913, Die Weisheit der Langweile (La Sagesse de l'ennui), réitère plus nettement ses attaques contre ce qu'il nomme « impressionnisme ». Pour sa génération, il s'agit moins, précise-t-il, d'un style que d'une utilisation des sens de manière « inactive, réactive, pas autrement qu'esthétique ». Désormais, d'autres aspirations se révèlent selon lui : elles sont morales et s'appellent « conviction, volonté, intensité, révolution ». La tendance générale consiste, indique-t-il, à donner le nom d'expressionnisme à cette nouvelle perspective, en raison de la « concentration » qu'elle exige sur un « essentiel volontariste ».

Comme pour les arts plastiques, le mot est bientôt énormément utilisé. En 1914, dans un article, l'un des représentants les plus marquants du renouveau poétique, l'Alsacien Ernst Stadler, regrette qu'on en abuse, et à mauvais escient. Il ne conteste pas, toutefois, que sa divulgation corresponde à un changement dans les conceptions littéraires. Deux ans plus tard, à l'occasion d'un compte rendu sur Der ewige Tag (Le Jour éternel), recueil posthume du poète Georg Heym mort accidentellement en 1912, il évoque une « nouvelle attitude du moi par rapport au monde ». Attitude qu'il définit comme un refus des recettes consacrées : « Ce qui se manifeste, c'est la volonté de se propulser en avant au lieu d'aller de l'arrière, de se poser comme début, de risquer gaucheries et fautes de goût plutôt que de s'étioler dans l'entrave d'un formalisme toujours plus figé. »

Le produit d'une société en crise

En vérité, cette révocation des règles traditionnelles, des normes régnantes, au bénéfice d'une expression subjective et même d'une prépondérance du moi, est inséparable du malaise éprouvé par beaucoup de jeunes intellectuels dans la société de l'Allemagne impériale.

C'est pourquoi une partie de cette nouvelle génération, confrontée au sentiment d'une crise des valeurs, ne voit d'autre issue que de se débarrasser des sacro-saintes vérités apprises, de rétablir l'individu dans son autonomie et son pouvoir créateur, en dehors de toute règle préconçue. En quête d'une rénovation spirituelle, d'une réhumanisation, elle se fait iconoclaste, procédant à la destruction de toutes les images et visions de la vie imposées par l'autorité. Le sens majeur de ce qui prend le nom d'expressionnisme littéraire tient dans cette révolte des fils contre les pères, contre un ordre social pétrifié. Le conflit père-fils ou le meurtre symbolique du père est l'un des thèmes[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, maître de conférences à l'École polytechnique (département des humanités et sciences sociales)
  • : conservateur en chef des archives non filmées à la Cinémathèque française
  • : professeur honoraire des Universités

Classification

Pour citer cet article

Jérôme BINDÉ, Lotte H. EISNER et Lionel RICHARD. EXPRESSIONNISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>L'Étreinte</it>, E. Schiele - crédits :  Bridgeman Images

L'Étreinte, E. Schiele

<it>Promeneurs</it>, A. Macke - crédits : AKG-images

Promeneurs, A. Macke

<it>Nu assis sur des coussins</it>, A. Macke - crédits : AKG-images

Nu assis sur des coussins, A. Macke

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