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FANTASTIQUE

En principe, le fantastique dans la nature, dans les arts plastiques, dans la littérature devrait sinon être identique à lui-même, du moins relever de critères immédiatement identifiables, qui permettraient de le circonscrire avec évidence. Il n'en est rien. En premier lieu, « fantastique naturel » peut sembler une sorte de contradiction dans les termes, puisque fantastique signifie violation d'une régularité immuable. Une telle régularité fondamentale, hors de portée de toute manipulation ou plutôt que l'industrie humaine ne saurait altérer qu'en lui obéissant, est bien la seule définition qu'on puisse proposer de la nature, si bien que le concept de fantastique naturel ne paraît pas résister à l'examen. Cependant, on entend couramment parler d'un paysage fantastique ou même d'un animal fantastique, qui n'est pas obligatoirement un animal fabuleux ou mythologique. C'est que le site ou la bête présentent une apparence qui semble alors défier le jeu normal des lois naturelles.

Entre les arts plastiques (arts de l'espace : peinture, gravure, écriture, architecture...) et les arts discursifs (ou de la durée : littérature, danse...), quand il s'agit d'y définir les différentes manifestations du genre fantastique, il n'est pas aisé d'établir des correspondances. Les arts plastiques sont des arts de l'instantané, où tout est donné à voir simultanément, tandis que les récits impliquent une succession d'événements qui s'enchaînent d'une manière prévisible ou inattendue, mais qui, en tout cas, supposent une attente, un parcours conduisant à un dénouement. Dans un cas, la donnée fantastique est présente au départ, dans l'autre, elle interrompt ou conclut une suite de péripéties. Il s'ensuit que les deux techniques ne peuvent coïncider, même si parfois elles se correspondent : entre l'une et l'autre, sinon des analogies, du moins des convergences se font jour.

Le merveilleux, tel qu'il apparaît dans Les Mille et Une nuits, dans les contes de Grimm ou de Perrault, dans les créations plus savantes d'Andersen ou d'Oscar Wilde, évoquerait assez bien les tableaux de Jérôme Bosch et de Grandville, ou encore ceux des peintres surréalistes : si un parti pris de dérouter ou de prendre les choses à l'envers ne venait, dans ces derniers cas, se substituer à une candide spontanéité. En tout cas un univers entièrement irréel est procuré d'entrée de jeu. Rien n'y est discordant par rapport à un merveilleux général dont il ne reste plus qu'à dénombrer les détails cocasses ou effrayants. À la simultanéité du tableau, fait écho l'univers du récit, donné dès la première ligne comme « tout autre », de sorte que le déroulement des épisodes ne saurait y introduire l'insolite : il n'y a pas irruption, mais continuité du merveilleux.

<it>Les Ambassadeurs</it>, H. Holbein le Jeune - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Les Ambassadeurs, H. Holbein le Jeune

À l'inverse, les tableaux, dont le mystère n'apparaît qu'à l'examen et demeure longtemps secret, évoquent à juste titre les contes qui ont pour décor la vie quotidienne la plus banale, que vient troubler à l'improviste un être ou une chose qui n'y saurait trouver place. Cette fois, l'ordre successif du récit a pour équivalent le temps nécessaire pour déchiffrer le tableau, pour y remarquer le détail inquiétant qui compromet la sérénité de la scène représentée, qui en annule ou en bafoue la réalité. De ce fantastique-là, Les Ambassadeurs de H. Holbein et Les Âmes du Purgatoire de Giovanni Bellini fournissent d'éloquents exemples. Il existe ici comme une lecture lente du tableau. Celui-ci exige du spectateur une véritable acclimatation : il le prépare subrepticement à un scandale imminent. Ce brusque renversement des données correspond à la conversion radicale des contes lorsque le fantastique apparaît et introduit[...]

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Écrit par

  • : homme de lettres
  • : professeur des Universités, université Paris-Diderot
  • : journaliste, conseiller en recherches cinématographiques, historien du cinéma fantastique

Classification

Pour citer cet article

Roger CAILLOIS, Éric DUFOUR et Jean-Claude ROMER. FANTASTIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Les Ambassadeurs</it>, H. Holbein le Jeune - crédits : VCG Wilson/ Corbis/ Getty Images

Les Ambassadeurs, H. Holbein le Jeune

<it>Titania et Bottom</it>, J. H. Füssli - crédits :  Bridgeman Images

Titania et Bottom, J. H. Füssli

<it>Sabbat des sorcières</it>, H. Baldung Grien - crédits : AKG-images

Sabbat des sorcières, H. Baldung Grien

Autres références

  • CRITIQUE LITTÉRAIRE

    • Écrit par Marc CERISUELO, Antoine COMPAGNON
    • 12 918 mots
    • 4 médias
    ...à travers un instrument déterminé) utilisés par le texte conçu comme « machine à faire voir ». Si l'étude prenait pour objet principal la littérature fantastique, et notamment les nouvelles d'E. T. A. Hoffmann (la lorgnette de Nathanaël dans L'Homme au sable, le miroir de Théodore dans...
  • JEUX DE RÔLE

    • Écrit par Emilie BLOSSEVILLE, Cécile DELANGHE
    • 2 425 mots
    L'existence des jeux de rôle est indissociable du nom d'un Américain, Gary Gygax, nourri de jeux et d'histoires fantastiques, qui s'inspire de l'univers du Seigneur des anneaux, ouvrage de Tolkien, pour lancer en 1973 le premier et le plus célèbre jeu de rôle : Donjons...
  • JEUX EN LIGNE

    • Écrit par Erwan CARIO
    • 2 562 mots
    ...l'écran, la première étape du nouveau joueur en ligne est de créer son avatar, c'est-à-dire son alter ego numérique. Dans le cas de Wow, qui se passe dans un environnement médiéval-fantastique – un dérivé de l'univers du Seigneur des anneaux de Tolkien –, il peut s'agir d'un humain ou d'une créature...
  • MILNER MAX (1923-2008)

    • Écrit par Universalis
    • 400 mots

    Historien de la littérature français. Président de la Société des études romantiques et dix-neuviémistes, professeur émérite de littérature à l'université de Paris-III-Sorbonne, Max Milner fut, à l'image de Mario Praz ou de Jurgis Baltrušaitis, un de ces « grands transversaux...

Voir aussi