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SHAKESPEARE WILLIAM (1564-1616)

Les hérésies

Hérésies : tel est le nom des élucubrations des savants et chercheurs qui professent des théories contraires à la foi stratfordienne sur l'authenticité de l'œuvre. Car il y a une foi stratfordienne, un droit canon, un canon tout court, qui établit les rapports de l'homme à l'œuvre. L'orthodoxie veut que le comédien Shakespeare, tel que les documents connus nous le présentent, soit l'auteur des pièces assemblées sous son nom dans le Folio de 1623. Les hérétiques prétendent que ce médiocre acteur (il n'a pas tenu de grand rôle au Globe), homme de petite culture (il savait peu de latin et encore moins de grec), préoccupé de problèmes sordides (il thésaurisait jusqu'à pratiquer l'usure), et sans élévation d'esprit, était incapable d'écrire des pièces où s'étale un prodigieux savoir, fruit de lectures immenses et de méditations passionnées, manipulé avec une incomparable acuité intellectuelle, un goût exquis de la poésie sous toutes ses formes, une connaissance profonde du « cœur humain » venant couronner le tout. Ajoutez une maîtrise prodigieuse des ressources de la langue anglaise.

C'est avec de tels arguments que les antistratfordiens (ainsi appelle-t-on ces contestataires) établirent l'indignité du Shakespeare comédien, pour échafauder ensuite, à chacun son candidat, les hypothèses les plus absurdes. Y fallait-il un juriste et un philosophe ? On avait Francis Bacon sous la main – hypothèse déjà timidement émise par le révérend J. Wilmot à la fin du xviiie siècle, reprise par W. H. Smith en 1857 avec vigueur, et qui a nourri une guerre d'escarmouches pendant un siècle. Y fallait-il un homme de cour ? On avait l'embarras du choix : Abel Lefranc, seiziémiste distingué, dès 1919, pousse en avant le comte de Derby, tandis que J. T. Looney avance le comte d'Oxford. Pour d'autres, c'est le comte de Rutland, à moins que ce ne soit l'un ou l'autre des comtes d'Essex, ou la reine Élisabeth en personne. Mais pourquoi pas d'autres dramaturges ? Ainsi Chettle, Dekker, Robert Greene lui-même, Middleton, Peele, Webster : tous ont des partisans plus ou moins convaincants. Parmi les challengers de Shakespeare, mentionnons l'Américain Calvin Hoffman, qui, en 1955, haussa Marlowe sur le pavois dans son livre The Man WhoWas Shakespeare (L'Homme qui était Shakespeare). Or, Marlowe fut assassiné en 1593 – mais il n'en mourut point... ; réfugié en Italie, il continua de fournir à son prête-nom des chefs-d'œuvre immortels.

On en arrive en fin de compte à une liste de cinquante candidats, lesquels ont travaillé séparément, ou collaboré (théorie du groupe) pour fabriquer cette œuvre composite, l'anthologie du siècle en quelque sorte, qu'est le théâtre de Shakespeare. Jeu d'érudits, parfois divertissant, souvent gratuit, rarement à prendre au sérieux. Mais ils ne sèment plus guère le doute dans notre esprit. L'ingéniosité a ses limites, la crédulité aussi. La controverse a quasiment bouclé la boucle de l'absurde et de la futilité. Les stratfordiens occupent solidement leurs positions.

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Écrit par

  • : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence

Classification

Pour citer cet article

Henri FLUCHÈRE. SHAKESPEARE WILLIAM (1564-1616) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Richard III </em>de W. Shakespeare, mise en scène de Rupert Goold - crédits : Robbie Jack/ Corbis/ Getty Images

Richard III de W. Shakespeare, mise en scène de Rupert Goold

<em>Roméo et Juliette</em> de W. Shakespeare, mise en scène d'Éric Ruf - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Roméo et Juliette de W. Shakespeare, mise en scène d'Éric Ruf

William Shakespeare - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

William Shakespeare

Autres références

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    • 1 média

    Jouée pour la première fois sans doute en 1604 et publiée en 1622, cette tragédie de William Shakespeare (1564-1616) emprunte les éléments principaux de son intrigue à une nouvelle italienne du xvie siècle parue à Venise en 1565. Il semble impossible de déterminer si le dramaturge anglais...

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    • Écrit par Line COTTEGNIES
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  • HAMLET (mise en scène P. Brook)

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  • HAMLET, William Shakespeare - Fiche de lecture

    • Écrit par Line COTTEGNIES
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    • Écrit par Didier MÉREUZE
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  • LA TEMPÊTE, William Shakespeare - Fiche de lecture

    • Écrit par Line COTTEGNIES
    • 1 065 mots

    Comptant parmi les dernières pièces de William Shakespeare (1564-1616), La Tempête, qui fut jouée pour la première fois en 1611, est une tragi-comédie romanesque, comme Pericles (1609) ou Le Conte d'hiver (1623). Ce genre dramatique est caractérisé par un dénouement heureux succédant à...

  • LA NUIT DES ROIS, William Shakespeare - Fiche de lecture

    • Écrit par Line COTTEGNIES
    • 1 107 mots
    • 1 média

    Cette comédie majeure de William Shakespeare (1564-1616), publiée pour la première fois en 1623, fut sans doute écrite pour être jouée à l'Épiphanie de 1601. Moment où le temps païen reprend le pas sur le temps chrétien, la « Douzième Nuit », pour reprendre le titre original de la pièce (...

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    • Écrit par Line COTTEGNIES
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  • TITUS ANDRONICUS (mise en scène L. Hemleb)

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  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

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    ...Sénèque à la splendeur d'une floraison qui n'a pas d'égal en dehors de la Grèce antique, si diverses que soient les inspirations de Marlowe, Chapman, Messinger, Webster et Ford, on ne peut célébrer quelque vertu de l'un d'entre eux sans qu'elle ne se retrouve accrue et plus brillante chezShakespeare.
  • BLACKFRIARS THÉÂTRE DES

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    Le nom de Blackfriars désigne en fait à Londres deux théâtres distincts, dont le second est resté célèbre pour avoir abrité durant la saison d'hiver (après 1608) les King's Men, la troupe dont faisait partie Shakespeare comme dramaturge attitré mais aussi comme acteur.

    Le nom de...

  • BRANAGH KENNETH (1960- )

    • Écrit par Universalis
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    Comédien, réalisateur et scénariste britannique, né le 10 décembre 1960 à Belfast, en Irlande du Nord.

    À 9 ans, Kenneth Charles Branagh quitte l'Irlande du Nord avec sa famille pour s'installer à Londres. Enfant, il joue dans des pièces montées par son école. En 1981, il sort diplômé de la Royal...

  • BROOK PETER (1925-2022)

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