BROOK PETER (1925-2022)

Peter Brook

Peter Brook

Peter Brook

Un lieu où « les murs en ruine, en silence, ont résonné en moi dès ma première entrée ». Ainsi, le…

L’apport de Peter Brook au théâtre tient d’abord au profond renouvellement de la mise en scène qu’il fait subir aux œuvres de Shakespeare, en Angleterre, grâce à des spectacles mondialement connus. Il se manifeste aussi dans son travail d’exploration des écritures contemporaines. Au début des années 1970, Brook opère une rupture en s’installant à Paris, où il crée, avec Micheline Rozan (1928-2018), le Centre international de recherches théâtrales (CIRT) et se consacre aussi bien à une recherche de groupe sur le langage théâtral qu’à l’exploration de grands textes épiques fondateurs et de textes scientifiques, sans pour autant abandonner Shakespeare.

L’origine de Peter Brook reflète la singularité des temps modernes, où les êtres migrent et s’exilent. À la suite de la révolution russe, sa famille s’installe à Londres où il naît le 21 mars 1925. Très tôt, Brook réalise une première représentation d’Hamlet avec des marionnettes. Il poursuit des études de littérature comparée à Oxford et présente, en 1942, The Tragical History of Docteur Faustus, de Christopher Marlowe. À la même époque, attiré par le cinéma, il réalise un court-métrage à partir du livre de Laurence Sterne, A Sentimental Journey Through France and Italy by Mr   Yorick (1944).

Chercher partout : de Shakespeare au boulevard

Après quelques spectacles remarqués, le directeur du nouveau festival  Shakespeare convie Peter Brook à Stratford où il monte Peines d amour perdues (1945-1946), affichant déjà son intérêt pour les œuvres dites « secondaires » du grand dramaturge, rarement jouées à l’époque. Il se libère de l’autorité du plan de mise en scène préalablement établi pour se fier aux rapports directs avec les comédiens et renouveler le processus d’élaboration du spectacle. Lors de ce travail, où Shakespeare renvoie à Watteau, s’amorce une réflexion sur les « correspondances » qui se poursuit, en 1947, avec Roméo et Juliette, où la mise en scène évoque Giotto, puis, en 1950, avec Mesure pour mesure, où il s’inspire à nouveau d’univers picturaux, ceux de Jérôme Bosch et de Breughel. Passionné et actif, Peter Brook s’attache aussi à la mise en scène d’opéra et réalise un retentissant Boris Godounov de Moussorgski, donné à Covent Garden en 1948.

Adoptant un parti pris d’éclectisme, il présente successivement des auteurs aussi divers que Sartre, André Roussin, Dostoïevski ou Anouilh... Après un Hamlet (1955), pièce à laquelle il reviendra en 2000 avec La Tragédie d Hamlet, qui est l’occasion d'une tournée triomphale à Moscou, Brook s’impose, la même année, avec un spectacle qui est considéré comme son premier chef-d’œuvre, Titus Andronicus, de Shakespeare, dont la cruauté extrême apparaît telle un reflet du monde moderne. Il met en évidence la violence de l’œuvre en utilisant la « musique concrète », à peine affirmée à l’époque. Il révèle aussi la « fluidité cinématographique » de Titus dont il explore l’extraordinaire noirceur.

<em>Sa Majesté des mouches</em>, film de Peter Brook (1963)

Sa Majesté des mouches, film de Peter Brook (1963)

Sa Majesté des mouches, film de Peter Brook (1963)

Prélever un groupe d'écoliers de bonne famille, les précipiter sur une île déserte, puis observer…

Puis le metteur en scène alterne les registres et passe d'une comédie musicale, Irma la D ouce (1959) d’Alexandre Breffort sur une musique de Marguerite Monnod, au Balcon (1960) de Jean Genet, où il réunit pour la première fois une distribution hétéroclite qui rassemble des acteurs amateurs et des professionnels, des comédiens noirs et blancs, véritable imago mundi. À l’époque, Brook se montre attentif à l’égard des nouveaux textes d’Arthur Miller (Vue du pont, 1958) ou de Friedrich Dürrenmatt (La Visite de la vieille dame, 1958) et prépare deux de ses films les plus importants, Moderato cantabile (1959), à partir du roman de Marguerite Duras, et Sa Majesté des mouches (1963) de William Golding.

En 1962, son Roi Lear marque un véritable tournant dans l’approche de Shakespeare. L’homme de[...]

Pour nos abonnés, l'article se compose de 5 pages

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • Georges BANU : professeur émérite à l'université Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Georges BANU, « BROOK PETER (1925-2022) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

Peter Brook

Peter Brook

Peter Brook

Un lieu où « les murs en ruine, en silence, ont résonné en moi dès ma première entrée ». Ainsi, le…

<em>Sa Majesté des mouches</em>, film de Peter Brook (1963)

Sa Majesté des mouches, film de Peter Brook (1963)

Sa Majesté des mouches, film de Peter Brook (1963)

Prélever un groupe d'écoliers de bonne famille, les précipiter sur une île déserte, puis observer…

<em>Battlefield</em>, mise en scène de Peter brook et Marie-Hélène Estienne

Battlefield, mise en scène de Peter brook et Marie-Hélène Estienne

Battlefield, mise en scène de Peter brook et Marie-Hélène Estienne

Trente ans après, Peter Brook revient à l'épopée du Mahābhārata pour mettre en scène Battlefield,…

Autres références

  • BATTLEFIELD (mise en scène P. Brook et M.-H. Estienne)

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 5 506 mots
    • 1 média

    Il est l’homme de l’espace vide. Du plateau nu, débarrassé de tout accessoire ou décor, à l'exception, parfois, d'un arbre, d'une chaise, d'un tapis. À 90 ans, Peter Brook demeure le grand maître d’un théâtre où le réel naît de l’imaginaire, où la vérité surgit de l’illusion.[...]

  • HAMLET (mise en scène P. Brook)

    • Écrit par Christian BIET
    • 5 887 mots

    « Qui est là ? ». C'est la première réplique d'Hamlet. C'était aussi le titre du travail de recherche présenté, il y a trois ans, par Peter Brook. « Qui est là », sur cette scène ? Et qu'est-ce qui est là ? Du théâtre, des corps, un corps en mouvement surtout, des mots proférés,[...]

  • OUBLIER LE TEMPS (P. Brook)

    • Écrit par Raymonde TEMKINE
    • 5 935 mots

    Dans Oublier le temps (Seuil, Paris, 2003), initialement publié en anglais sous le titre Threads of Time (1998), Peter Brook retrace le parcours qui l'a conduit à devenir un metteur en scène connu et admiré dans le monde entier. Pour lui, « succès et argent ne valent pas la peine d'être atteints ».[...]

  • TEMPEST PROJECT (mise en scène P. Brook et M.-H. Estienne)

    • Écrit par Georges BANU
    • 5 852 mots

    En 1968, le Britannique Peter Brook (1925-2022) fut invité au théâtre des Nations par Jean-Louis Barrault, pour animer un stage avec de jeunes acteurs de tous bords autour de Shakespeare. L'expérience tourna court en raison des événements qui agitaient Paris, et Brook présenta à la Roundhouse[...]

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 154 929 mots
    • 29 médias
    [...]symptomatique : sa théorie et sa pratique y ont presque toujours été soit mal comprises, soit déformées, même par des hommes de théâtre aussi distingués que Peter Brook et Peter Hall, ou par Edward Bond, qui déclare que « ce qui se rapproche le plus d'une pièce de Brecht, c'est le mélodrame[...]
  • DIOP BIRAGO (1906-1989)

    • Écrit par Jean-Louis JOUBERT
    • 1 650 mots

    Les morts ne sont pas sous la terre : / ils sont dans l'arbre qui frémit, / ils sont dans le bois qui gémit, / ils sont dans l'eau qui coule, / ils sont dans l'eau qui dort, / [...] les morts ne sont pas morts.

    Ces vers souvent récités, où se condense le vieil animisme africain,[...]

  • GIELGUD ARTHUR JOHN (1904-2000)

    • Écrit par Didier MÉREUZE
    • 4 014 mots

    Né le 14 avril 1904, fils de financier, annobli en 1953, sir Arthur John Gielgud grandit dans le quartier huppé de Kensington. Son père aurait aimé qu'il suive ses traces. Mais, en digne descendant, par sa mère, d'une lignée ininterrompue d'acteurs depuis le xviii e siècle et[...]

  • KOUYATÉ SOTIGUI (1936-2010)

    • Écrit par E.U.
    • 2 025 mots

    Acteur et dramaturge d'origine malienne, Sotigui Kouyaté fut l'un des comédiens les plus respectés d'Afrique de l'Ouest. Il s'est fait connaître du public occidental pour avoir incarné le sage Bhishma dans l'adaptation du Mahabharata que donna Peter Brook, avec la[...]

  • SCÉNOGRAPHIE LYRIQUE

    • Écrit par Alain PERROUX, Alain SATGÉ
    • 39 514 mots
    • 5 médias
    Ces recherches sont prolongées par les expériences de Peter Brook et de Lavelli, qui tentent de faire sortir l'opéra des lieux traditionnels de la représentation. Lorsqu'il présente dans le théâtre à demi ruiné des Bouffes du Nord une adaptation allégée de la Carmen de Bizet (1981),[...]
  • Afficher les 7 références

Voir aussi