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LE ROI LEAR, William Shakespeare Fiche de lecture

Publié pour la première fois en 1608, Le Roi Lear, dont Victor Hugo admirait la « construction inouïe », est l'une des grandes tragédies de la maturité de William Shakespeare (1564-1616), l'une des plus intensément émouvantes aussi. Inspirée entre autres du chroniqueur médiéval Holinshed, mais aussi d'une pièce anonyme jouée en 1590 (The True Chronicle History of King Leir), elle plonge dans les racines historiques de l'Angleterre préchrétienne pour en tirer une tragédie de dimension mythique.

<em>Le Roi Lear </em>de W. Shakespeare, mise en scène de Deborah Warner - crédits : Robbie Jack/ Corbis/ Getty Images

Le Roi Lear de W. Shakespeare, mise en scène de Deborah Warner

<em>Le Roi Lear </em>de W. Shakespeare, mise en scène d'Olivier Py - crédits : Jean Marc Zaorski/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Le Roi Lear de W. Shakespeare, mise en scène d'Olivier Py

En chemin vers l'amer savoir

L'œuvre obéit à une structure d'une épure remarquable, mêlant habilement deux intrigues qui se complètent l'une l'autre. Le roi Lear, dès l'ouverture de la pièce, décide de se retirer et de partager son royaume entre ses trois filles : l'équité devra être parfaite, pour prévenir les possibles interférences passionnelles et assurer au royaume une succession pacifique. Mais le don de ce père, qui choisit d'anticiper l'heure de sa fin, n'est pas aussi désintéressé qu'il en a l'air : l'héritage se voit conditionné par l'expression à son égard d'une parole d'amour publique, à laquelle se prêtent avec trop de complaisance les deux filles aînées, Goneril et Régane. Quant à la jeune Cordélia, la préférée, elle refuse de recourir à la flatterie, qui confondrait les valeurs de l'être et de l'avoir : opposant le silence, le « rien », au désir de ce père trop aimant, elle provoque sa fureur ; en découlent son bannissement, ainsi que celui de Kent, serviteur fidèle qui a dénoncé l'aveuglement du roi. La pièce va mettre en lumière les conséquences de cette faute primordiale en montrant la justesse de la prophétie faite par Cordélia avant son départ pour la France : « Le Temps déploie les plis cachant la fourberie,/ Des forfaits qu'il voilait, la honte un jour se rit. » (acte I, scène 1) Dans l'intrigue secondaire, le noble Gloucester, véritable double de Lear, se méprend lui aussi sur la vraie nature de son fils illégitime Edmond, son préféré, qui médite la perte de son frère légitime Edgar, dont il finit par obtenir le bannissement. Toute la subtilité de la structure de la pièce réside dans l'entrecroisement entre l'intrigue principale, commentée par Edgar qui, déguisé en fou, est le témoin des errements du roi, et l'intrigue secondaire, à laquelle il participe, en conduisant son père rendu aveugle vers l'acceptation patiente de son sort.

Au cours des quatre actes suivants, le roi Lear, comme Gloucester, passe de l'égarement initial à la connaissance, après une suite d'épreuves : bafoué dans son autorité et son indépendance financière par ses filles, il découvre leur vraie nature et fuit dans la nuit, suivi de son fou et de Kent, revenu sous un déguisement pour le servir, à travers la lande battue par les vents. Là, dans une manière de « pastorale noire » qui oscille entre sublime et grotesque, il fait l'expérience de l'extrême dénuement. Soumis à l'épreuve des éléments déchaînés, il apprend trop tard de quel mensonge sont entourés les rois. Surtout, endossant tour à tour, au cours de ce voyage initiatique dans l'espace symbolique de la lande, les habits du roi, du mendiant, du bouffon pour enfin perdre la raison, il éprouve la misère humaine, celle de l'humaine condition, mais aussi celle des êtres dont il soupçonnait à peine l'existence, à l'image de ce « Pauvre Tom » – en fait Edgar déguisé –, réfugié dans une hutte, qui partage avec lui son abri. La mise en question de tout savoir et pouvoir sur le monde fait du roi autrefois tyrannique l'incarnation de la leçon ultime des grandes figures de satiristes du temps : face au monde, ce « grand théâtre de fous » (IV, 5), tout est vanité, et l'insignifiance règne. Seul résonne alors, dans le vide, le rire de Lear confronté à son double[...]

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Écrit par

  • : agrégée d'anglais, ancienne élève de l'École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, maître de conférences à l'université de Paris-VIII-Saint-Denis

Classification

Pour citer cet article

Line COTTEGNIES. LE ROI LEAR, William Shakespeare - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Le Roi Lear </em>de W. Shakespeare, mise en scène d'Olivier Py - crédits : Jean Marc Zaorski/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Le Roi Lear de W. Shakespeare, mise en scène d'Olivier Py

<em>Le Roi Lear </em>de W. Shakespeare, mise en scène de Deborah Warner - crédits : Robbie Jack/ Corbis/ Getty Images

Le Roi Lear de W. Shakespeare, mise en scène de Deborah Warner

Autres références

  • SHAKESPEARE WILLIAM (1564-1616)

    • Écrit par Henri FLUCHÈRE
    • 8 303 mots
    • 5 médias
    On peut aller plus loin encore dans l'exploitation des ravages de la déraison. Dans Le Roi Lear (King Lear, 1605-1606), elle atteint la démesure, qu'il s'agisse du royaume, de la famille, ou des destinées individuelles. Le jugement est aveuglé au départ par le mensonge et l'hypocrisie, et c'est l'erreur...

Voir aussi