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DESCARTES RENÉ (1596-1650)

Science et métaphysique

Au début de sa recherche, Descartes ne semble pas s'être beaucoup soucié de trouver, à sa méthode et à sa science, des fondements philosophiques. Le Discours de la méthode en fait l'aveu. Parlant des années 1619-1628, « toutefois, déclare-t-il, ces neuf ans s'écoulèrent avant que j'eusse pris encore aucun parti touchant les difficultés qui ont coutume d'être disputées entre les doctes, ni commencé à chercher les fondements d'aucune philosophie plus certaine que le vulgaire ». Autrement dit, Descartes a commencé par embrasser la cause du mécanisme en pur savant, et sans s'interroger sur son rapport avec la métaphysique.

Une métaphysique appelée par la science

Et pourtant, la méthode et la science cartésiennes semblent appeler cette métaphysique qui, dans le système achevé, constituera leur racine. Les critères de vérité invoqués dans les Règles pour la direction de l'esprit sont relatifs non au réel, mais au seul sujet. La simplicité, signe du vrai, n'est jamais pour Descartes celle d'un élément objectif : elle est non dans la chose, mais dans l'acte de l'esprit qui la saisit. La vérité de la déduction est elle-même définie par rapport au seul ordre de notre connaissance, et la Règle XII déclare : « Chaque chose doit être considérée d'une autre façon selon que l'on se réfère à l'ordre de notre connaissance ou que l'on parle d'elle selon l'existence réelle. » D'autre part, Descartes emploie volontiers les mots de rêveries, de « fable » de son monde, et semble n'être pas assuré de la correspondance de ses constructions et du réel.

Et pourtant, le problème du rapport de la science et de l'être était posé, à son époque, avec une particulière intensité, par les conflits qui allaient se multipliant entre la connaissance rationnelle et la religion. Déjà beaucoup d'auteurs, comme Agrippa de Nettesheim ou Sanchez, avaient proclamé « l'incertitude et la vanité des sciences et des arts ». L'affaire Galilée semblait rendre plus urgente la solution du problème. Pour Descartes, on le verra, cette solution sera d'équilibre et de distinction des plans.

La création des vérités éternelles

La première thèse proprement métaphysique affirmée par Descartes est celle de la création des vérités éternelles. Formulée, dès 1630, dans les lettres à Mersenne, maintenue, semblable à elle-même, jusqu'à la fin, elle ne figure pourtant dans aucun des exposés systématiques du cartésianisme. Les vérités éternelles, ce sont les évidences logiques, les structures mathématiques, les essences des choses et, aussi, les valeurs morales. Pour saint Thomas et pour Suarez, les essences font partie de la vérité intelligible de Dieu. Dieu les contemple en se contemplant. Il ne les crée pas. Selon Descartes, au contraire, Dieu est l'auteur « de l'essence comme de l'existence des créatures », il les a librement posées dans l'être. Assujettir Dieu aux évidences logiques, c'est « parler de lui comme d'un Jupiter ou d'un Saturne », le soumettre « au Styx et aux destinées ». Il ne faut donc pas croire que Dieu ait voulu que la somme des angles d'un triangle soit égale à deux droits « parce qu'il a connu que cela ne se pouvait faire autrement », mais c'est « parce qu'il l'a voulu que cela est vrai ».

Il n'est pas douteux que la théorie de la création des vérités éternelles ne soit liée, chez Descartes, à la doctrine de la distinction des idées. Si toute essence allait rejoindre l'essence divine, rien ne pourrait être véritablement et intégralement connu par l'homme. Pour qu'une idée puisse être totalement offerte à notre intuition, il faut qu'elle soit finie, séparée des autres. Il faut, en d'autres termes, qu'elle soit une créature.[...]

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Écrit par

  • : professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques)

Classification

Pour citer cet article

Ferdinand ALQUIÉ. DESCARTES RENÉ (1596-1650) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Portrait présumé de René Descartes, S. Bourbon - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Portrait présumé de René Descartes, S. Bourbon

Systèmes planétaires de Copernic, Brahe et Descartes - crédits : AKG-images

Systèmes planétaires de Copernic, Brahe et Descartes

Autres références

  • DESCARTES ET L'ARGUMENTATION PHILOSOPHIQUE (dir. F. Cossutta)

    • Écrit par Jean LEFRANC
    • 1 443 mots

    L'œuvre de Descartes, qui fonde le rationalisme des temps modernes, peut-elle résister aux analyses réductrices des sociologues, des linguistes, des théoriciens de l'argumentation ? La philosophie doit-elle se résigner à n'être qu'un phénomène social, un « reflet » selon les marxistes,...

  • LA DIOPTRIQUE (R. Descartes)

    • Écrit par Bernard PIRE
    • 180 mots

    René Descartes (1596-1650) publie à Leyde (Hollande) La Dioptrique en appendice de son Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Il y montre que sa méthode est supérieure à la façon commune. Dans les deux premiers discours, intitulés « De la...

  • DISCOURS DE LA MÉTHODE, René Descartes - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 003 mots

    Publié à Leyde en 1637, en français et anonymement, le Discours de la méthode servait d'introduction à un recueil d'études scientifiques. Le titre complet en explicite le contenu : Discours de la méthode pour bien conduire sa raison et chercher la vérité dans les sciences. Plus...

  • MÉDITATIONS MÉTAPHYSIQUES, René Descartes - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 985 mots

    Les Méditations métaphysiques (Meditationes de prima philosophia, 1641) sont la première œuvre proprement philosophique de Descartes (1596-1650), et d'ailleurs le premier ouvrage publié sous son nom. Alors que le Discours de la méthode (1637) garde un caractère de circonstance, ne se voulant...

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    Paru en novembre 1649 à Paris et Amsterdam, rédigé directement en français comme le Discours de la méthode(1637), Les Passions de l'âmeest le dernier grand ouvrage de René Descartes (1596-1650), installé depuis peu à Stockholm, et le dernier texte publié de son vivant. Il s'agit d'abord,...

  • AFFECTIVITÉ

    • Écrit par Marc RICHIR
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    ...aller de soi. C'est particulièrement frappant, dans le champ politique, chez Machiavel et chez Hobbes, dans le champ plus proprement philosophique chez Descartes, pour qui, on le sait, le réamorçage de la philosophie ne peut se faire qu'à travers l'épreuve du doute, non seulement méthodique, mais hyperbolique....
  • ALQUIÉ FERDINAND (1906-1985)

    • Écrit par Jean BRUN
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    Né à Carcassonne, Ferdinand Alquié avait gravi tous les échelons de la carrière universitaire ; ayant commencé comme maître d'internat, il devait devenir professeur à la Sorbonne puis membre de l'Institut. Son œuvre, très importante, relève à la fois de la philosophie et de l'histoire...

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    • 5 459 mots
    Le texte des Réponses aux septièmes objections est significatif : Descartes se compare à un architecte qui « creuse » jusqu'au « roc » (c'est-à-dire qui doute jusqu'au cogito) afin de construire enfin quelque chose de bien fondé. Cependant, le « fond » que découvre Descartes...
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