DESCARTES RENÉ
La métaphysique : le doute et le « je pense »
Le point de départ de la métaphysique de Descartes est le doute. Cette métaphysique n'est pas formée d'un ensemble d'affirmations pouvant être présentées dans un ordre quelconque. Elle est constituée par une suite de moments intellectuels dont chacun suppose celui qui le précède et engendre celui qui le suit. Elle se présente donc comme une suite de démarches vécues, qui se succèdent naturellement dans un ordre ne pouvant être modifié. Nous en possédons, à vrai dire, plusieurs exposés : celui de la quatrième partie du Discours de la méthode, celui des Méditations métaphysiques, celui de la première partie des Principes de la philosophie. Mais, à quelques différences près (ainsi en ce qui concerne l'ordre des diverses preuves de l'existence de Dieu), ces exposés suivent la même voie. Tous commencent par le doute.
Le doute et ses degrés
Cela ne veut pas dire, du reste, qu'ils aient le même degré de profondeur. Il est clair, par exemple, que, dans le Discours de la méthode, le doute garde un caractère scientifiquement sélectif, alors que le doute des Méditations met en jeu l'existence même du monde. De même, dans le Discours, le « je pense donc je suis » répond moins à un problème ontologique qu'à la recherche d'un critère de vérité scientifique. Toujours, cependant, le même enchaînement est conservé, et domine la métaphysique cartésienne : je doute, je pense, je suis, Dieu est, Dieu garantit ma connaissance.
La plupart de nos jugements sont conditionnés par l'habitude, notre connaissance est faite d'opinions, opinions qui, du reste, s'opposent souvent entre elles. Pour entreprendre la recherche de la vérité, il faut donc « une fois » en sa vie douter « de toutes les choses où l'on aperçoit le moindre soupçon d'incertitude ».
Ainsi, nous avons l'impression de vivre au milieu d'objets. Ces objets existent-ils réellement dans le monde ? Nous n'en saurions, à vrai dire, avoir aucune preuve, car nous ne pouvons sortir de nous-mêmes, et le monde se réduit à l'ensemble de nos sensations. Or nos sens nous trompent parfois, et, en rêve, nous prenons pour réels des objets imaginaires. Nous douterons donc d'abord de la réalité des choses sensibles.
Pourtant, remarque Descartes, même si les objets sensibles n'existent pas, « ils ne peuvent être formés qu'à la ressemblance de quelque chose de réel et de véritable ». Et il en vient alors à la considération des essences, de la figure, du nombre, de la grandeur, et, en un mot, des principes mêmes de la science qu'il veut fonder. Mais il faut douter aussi de ces principes, et des démonstrations mathématiques. Pour cela, Descartes invoque d'abord une raison très générale, à savoir « qu'il y a des hommes qui se sont mépris en raisonnant sur de telles matières ». Mais, dans les Méditations, il porte plus loin son analyse, et envisage la possibilité d'un Dieu trompeur. En effet, la raison profonde du doute est que Descartes n'est pas encore en possession du fondement métaphysique de l'intuition intellectuelle elle-même, fondement qui ne peut se trouver qu'en Dieu. Il est des vérités qui nous semblent certaines. Mais comment pouvons-nous être assurés de la vérité de ce qui nous semble certain ? La seule garantie que nous possédions de la vérité d'une proposition est l'impression d'évidence que celle-ci produit sur notre esprit. Or comment savoir ce que vaut une telle impression avant de savoir ce qu'est notre esprit lui-même, avant de connaître sa nature et son origine, autrement dit avant d'être assurés que le Dieu qui nous a créés n'est pas trompeur ?
L'hypothèse du malin génie et l'affirmation du moi pensant
À la fin de la Méditation[...]
- 1. La vocation intellectuelle
- 2. L'œuvre et sa publication
- 3. La méthode et le projet de science universelle
- 4. La science cartésienne
- 5. Science et métaphysique
- 6. La métaphysique : le doute et le « je pense »
- 7. La métaphysique : les idées et Dieu
- 8. La véracité divine et le problème de l'erreur
- 9. L'homme concret
- 10. Bibliographie
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Écrit par
- Ferdinand ALQUIÉ : professeur honoraire à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Institut (Académie des sciences morales et politiques)
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Pour citer cet article
Ferdinand ALQUIÉ, « DESCARTES RENÉ », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
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