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CHINOISE (CIVILISATION) La littérature

Thèmes et interprétations

Nécessité d'une analyse thématique

La littérature chinoise pourrait offrir aux études thématiques, dont la critique moderne a reconnu l'importance, un champ d'investigation privilégié. La spécificité de la langue écrite et, par voie de conséquence, l'indépendance marquée de l'objet littéraire, la force et la continuité de la tradition, l'obsession de certains thèmes qui traversent les siècles, tous ces facteurs semblent garantir la fécondité de telles analyses. Cependant, la critique littéraire chinoise, affaire de philologues, d'historiens ou d'esthètes, ne s'est guère préoccupée de ces problèmes. Leur étude débute à peine. Il est possible, en se limitant toutefois à la poésie, d'indiquer l'importance dans ce domaine de la recherche thématique, de délimiter quelques-unes des fonctions de l'activité poétique en Chine, génératrices de thèmes littéraires, et d'analyser pour finir le complexe poétique dans lequel s'intègrent les grands thèmes traditionnels.

La poésie, en Chine, baigne la vie quotidienne. Les enfants, qui apprenaient autrefois leurs caractères dans des manuels versifiés, lisent aujourd'hui des livres illustrés dont les légendes sont souvent rédigées en vers souples et bien rythmés. Dans toutes les classes de la société, les chansons et les dictons fleurissent, expression si directe de l'opinion publique que, dès l'Antiquité, les souverains les faisaient colliger pour y étudier la voix du peuple. Pour les lettrés, dans l'ancienne Chine, la poésie participait de l'art du gouvernement, puisqu'il fallait être poète pour réussir aux examens d'État. Et ce n'est pas par simple coquetterie qu'aujourd'hui encore les dirigeants chinois livrent au public les poèmes que leur inspire l'actualité. La langue chinoise justifie cet universel penchant. Le rythme joue en effet dans la phrase un rôle analogue à nos structures syntaxiques. Surtout dans la langue écrite, mais aussi dans le parler quotidien, c'est souvent par l'opposition de membres de phrases parallèles que le sens se constitue. Il en résulte que la poésie est pour ainsi dire coextensive au langage et susceptible de traiter n'importe quel thème de pensée.

Est-ce donc de la vie chinoise dans son ensemble que doit traiter l'histoire des thèmes poétiques ? Bien que la poésie des lettrés soit souvent allée se rafraîchir aux sources du lyrisme populaire, auquel elle empruntait des sujets ou des procédés d'expression, ces contacts n'ont jamais compensé la tutelle contraignante de la tradition littéraire. Art écrit, la poésie, comme les autres branches de la littérature, usait d'un langage spécifique, différent du parler commun et régi par ses propres lois. Ainsi se délimitait, sur un autre plan que celui de la réalité, un espace littéraire, si vaste, si riche de l'œuvre immense de générations d'écrivains, que beaucoup d'auteurs furent tentés de s'y réfugier et d'y vivre, sans plus revenir au réel. L'exploration de ce monde spécifique passe par l'analyse des thèmes permanents qui ont favorisé le goût des allusions, des virtuosités érudites, et la formation d'un style impersonnel, volontiers énigmatique. Il n'est possible d'apprécier l'originalité d'un écrivain donné, dans le travail de la forme, qu'en rapportant sans cesse au fonds commun les variations dont il est l'auteur. En quoi l'empereur déchu des Tang du Sud, Li Yu, a-t-il mieux parlé de l'exil, qu'il connut réellement, que tant d'autres avant lui qui n'avaient manié qu'un topos ? Pourquoi le deuil de Li Qingzhao, la poétesse des Song, a-t-il ému ses lecteurs, après que des générations de poètes eurent accumulé à satiété tant de[...]

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Écrit par

  • : membre de l'Institut, professeur honoraire au Collège de France
  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
  • : professeur à l'université de Paris-VII, directeur de l'Institut des hautes études chinoises au Collège de France
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, agrégé de l'Université, maître assistant à l'université de Paris-VIII, Saint-Denis
  • : professeur émérite des Université, université Bordeaux Montaigne
  • : professeure émérite à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO)

Classification

Pour citer cet article

Paul DEMIÉVILLE, Jean-Pierre DIÉNY, Yves HERVOUET, François JULLIEN, Angel PINO et Isabelle RABUT. CHINOISE (CIVILISATION) - La littérature [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

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