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CHANSON

Chanson : un mot clé dans l'histoire de la sensibilité, un mot déconcertant aussi, tant le sens en est à la fois multiple et imprécis. Car le spécialiste qui voudrait récapituler toutes les significations du terme « chanson » devrait en appeler à la fois à la musique, aux lettres, à la philosophie, à la sociologie, à l'ethnologie, à l'histoire. La chanson a cessé d'être cet art créé par le peuple et issu de lui, ainsi que la voyaient les écrivains et compositeurs romantiques. Certes, elle a toujours été, peu ou prou, un produit de consommation, caractéristique qui est pourtant accentuée par les techniques de production et de diffusion, au point de changer la signification sociale du phénomène « chanson ». De nos jours, en effet, dans tous les pays du monde, la chanson s'impose en quelque sorte par la dictature conciliante de la radio, du disque, d'Internet et des entreprises du spectacle. Mais n'est-elle que cela ? N'est-elle pas restée en son fond ce que de tout temps elle a été : l'expression qui se veut la plus immédiate et la plus diversifiée de l'humain ?

À travers siècles et pays

Chanson de geste - crédits : AKG-images

Chanson de geste

Le terme « chanson » a connu les acceptions les plus diverses, parfois fort éloignées de la nôtre. Il apparaît pour la première fois au xie siècle, avec un sens très particulier, dans l'appellation « chanson de geste », poème épique en décasyllabes ou en alexandrins, plus généralement désigné à l'époque par le mot geste seul : « Il est escrit en la geste Francor » (La Chanson de Roland). Il n'y a pas lieu par conséquent de rechercher des correspondances entre cette origine et le mot actuel. Les dimensions (la geste est toujours très longue) et le rapport à la musique (la geste, plutôt que chantée, était psalmodiée sur un accompagnement de vielle) opposent en effet ces deux emplois du terme. La chanson désigne ensuite, et jusqu'au xixe siècle, une forme d'expression consistant en un texte en vers mis en musique, mais elle ne s'applique pas en fait à une grande partie de la production répondant à cette définition. Est chanson ce qui est noble, pur. Le reste, le populaire, portera des noms divers : vaudevilles (voix-de-ville, c'est-à-dire qui courent les rues de la ville), mazarinades, ponts-neufs, etc.

Ce n'est qu'après l'époque romantique que s'unifient sous un terme générique, la « chanson », ces genres différents. Là encore, cependant, son emploi n'est pas exactement fixé : lorsque Verlaine intitule ses recueils La Bonne Chanson ou Chanson pour elle, il fait évidemment référence à autre chose qu'au genre représenté par Béranger. Mais peu à peu le mot se fige pour prendre le sens que nous lui connaissons aujourd'hui.

La chanson et les autres arts

Ces fluctuations sémantiques rendent plus ou moins compte, en fait, de fluctuations plus profondes : c'est la place de la chanson dans l'ensemble des modes d'expression qui est ici en jeu, place que l'on analysera du point de vue de la conscience qu'en eurent les époques successives.

Une civilisation se définit, en son temps, par la façon dont elle s'analyse elle-même (ce que l'on pourrait appeler son idéologie). Ainsi, lorsque Ronsard (1524-1585) infléchit la forme de ses sonnets (allant vers une plus grande régularité, vers une alternance de rimes masculines et féminines) afin qu'on puisse mieux les mettre en musique, qu'on puisse même en chanter plusieurs sur un seul air, il y a là une certaine idée de la chanson, conçue comme alliance de deux genres privilégiés : musique et poésie. Cette idée apparaît également chez Boileau, qui conclut de façon toute pacifique une controverse entre musique et poésie : « Oublions nos querelles, il nous faut accorder... » déclarent en chœur les deux adversaires. La chanson, bien sûr,[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à la Sorbonne
  • : écrivain et musicologue, secrétaire général adjoint de l'Académie Charles-Cros
  • : diplômé de l'École pratique des hautes études, chargé de cours à l'U.F.R. de musique et musicologie de l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Louis-Jean CALVET, Guy ERISMANN et Jean-Claude KLEIN. CHANSON [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Chanson de geste - crédits : AKG-images

Chanson de geste

Bob Dylan et Joan Baez - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Bob Dylan et Joan Baez

Mistinguett - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Mistinguett

Autres références

  • AGRICOLA ALEXANDRE (1446 env.-1506)

    • Écrit par Pierre-Paul LACAS
    • 349 mots

    Né vraisemblablement en Flandre, peut-être en Allemagne, Alexandre Agricola (ou Ackermann) est en Italie, à Florence, en 1470, date de son mariage. Il est au service du duc Galéas-Marie Sforza de Milan, de 1471 à 1474, date à laquelle on le rencontre à Mantoue, ayant cédé sa place à Milan à ...

  • AIR, musique

    • Écrit par Michel PHILIPPOT
    • 3 278 mots

    Dans le langage commun, on a pris l'habitude de désigner par le mot « air » la musique destinée à être chantée. On oppose ainsi, dans la chanson, l'air aux paroles. Par extension, on en est arrivé à employer le mot « air » dans le cas de toute mélodie suffisamment connue...

  • ARCADELT JACQUES (1505 env.-1568)

    • Écrit par Pierre-Paul LACAS
    • 438 mots

    Musicien franco-flamand, un des premiers grands madrigalistes, avec C. Festa et P. Verdelot. Il fut peut-être l'élève de Josquin Des Prés et certainement celui de Verdelot qu'il fréquenta notamment vers 1530 à la cour des Médicis et avec lequel il fit le voyage de Lyon, en compagnie d'un...

  • ARGOT

    • Écrit par Pierre GUIRAUD
    • 4 088 mots
    ...misérabiliste, ainsi que le célèbre Opéra de quat'sous, alimente surtout la poésie populaire sous forme de complaintes du clochard et du vagabond ; on la retrouve chez Bruant et, sous des formes stylisées, dans La Chanson des gueux de Richepin et dans Les Soliloques du pauvre de Jehan Rictus.
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Voir aussi