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ARGOT

L'argot est la langue spéciale de la pègre ou plus exactement, à l'origine, celle des gueux ou mendiants professionnels, puis celle des voleurs, tricheurs, escrocs de tout genre.

L'argot – on a dit d'abord le jargon – est la langue d'une confrérie secrète. Mendiants et voleurs étaient, en effet, groupés en bandes organisées sur le modèle des anciennes corporations avec leur hiérarchie, leurs cérémonies, leurs règles et le langage propre à toute activité spécialisée.

En outre, dans ce cas particulier, la langue du groupe est un langage secret dans la mesure où il protège des activités illicites et l'appartenance à des organisations illégales. Enfin, par son emploi, l'individu affirme son adhésion au groupe ainsi qu'aux buts et à la morale du clan.

La différenciation et l'interpénétration des couches sociales a entraîné le décloisonnement des divers jargons spécialisés, dont le vocabulaire est devenu un bien commun, tandis que les parlers populaires des grandes villes, appelés autrefois « bas-langage », se muent en argots modernes soumis aux changements accélérés de la société.

La pègre, son organisation, ses mœurs et son langage ont de tout temps exercé une véritable fascination sur le bourgeois, à travers une littérature dont le roman et la poésie picaresques, qui fleurissent en Espagne aux xvie et xviie siècles, constituent l'expression la plus originale et la plus achevée.

En France, trois grands thèmes, d'ailleurs souvent imbriqués, forment la trame de cette littérature argotique.

On trouve d'abord une littérature populiste qui peint les milieux et les caractères populaires à travers leur propre langage. D'origine lointaine, ce courant s'est matérialisé au xviiie siècle avec la poésie poissarde ; il envahit le théâtre, la chanson populaire, le roman ; sa forme la plus achevée reste L'Assommoirde Zola.

Une littérature misérabiliste a les gueux pour héros (nous dirions aujourd'hui les clochards). Ce courant ancien a sa source dans les vieilles confréries de mendiants et les cours des Miracles illustrées par Callot ; il débouche sur La Chanson des gueux, de Richepin, Les Soliloques du pauvre, de Rictus.

Enfin, une littérature du crime et de la violence constitue le courant de loin le plus fort avec la presse et le cinéma, le thriller. On peut considérer l'ensemble de cette littérature comme une véritable catharsis des innombrables pressions qu'exercent sur nous la société, le travail, la famille. Le crime est, avec l'espionnage et la fiction scientifique, une des formes modernes de l'épopée et du roman d'aventures. L'argot devient une adhésion à un idéal mystique de virilité, de « régularité », qui exalte la violence, le sexe, la loyauté à l'égard du groupe, la punition du traître et surtout la lutte contre la société. Le thriller n'est pas une description, mais un langage par lequel s'expriment les aspirations et les revendications d'un individualisme brimé et refoulé.

C'est pourquoi l'argot assume souvent une fonction expressive ; il est le signe d'une révolte, un refus et une dérision de l'ordre établi incarné par l'homme que la société traque et censure. Non plus la simple peinture d'un milieu exotique et pittoresque, mais le mode d'expression d'une sensibilité.

Origines de l'argot

Trois éléments entrent dans la constitution de ce langage : un vocabulaire technique exprimant des notions, des activités propres au monde du vol, de la prostitution, de l'escroquerie, de la mendicité professionnelle ; ensuite un ensemble de procédés de formation lexicale qui permet de coder les mots pour créer un langage secret ; enfin, ces mots techniques, sous leur codage, survivent à leur fonction et constituent un langage marqué, fortement différencié, par lequel l'argotier[...]

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Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice

Classification

Pour citer cet article

Pierre GUIRAUD. ARGOT [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • COQUILLARDS

    • Écrit par Jean MEYER
    • 544 mots

    Dès la conclusion du traité d'Arras (1435) entre Charles VII et Philippe le Bon, une partie des troupes utilisées au cours de la lutte des Armagnacs et des Bourguignons devient inutile, d'autant plus que le roi de France a déjà entamé la création du noyau d'une armée permanente. Après la trêve...

  • COUTÉ GASTON (1880-1911)

    • Écrit par Guy BELOUET
    • 444 mots

    Poète « mineur » puisque chansonnier montmartrois, Gaston Couté, né à Beaugency sur la frange beauceronne, mort à trente et un ans dans un hôpital parisien, de la misère et de tous les excès qui ont dévoré sa santé, fut un vrai poète maudit et un authentique créateur. Moins connu qu'...

  • JOBELIN

    • Écrit par Daniel POIRION
    • 338 mots

    Dans la première édition imprimée de François Villon (Pierre Levet, 1489), six ballades en argot sont rassemblées sous le titre : Jargon et jobellin. Le second terme doit préciser le premier ; on pense qu'il désigne le jargon des gueux ; mais, si on le rapproche du mot « jobe » (niais,...

  • LANGUE REGISTRES DE

    • Écrit par Catherine FUCHS
    • 842 mots

    On appelle « registres de langue » les usages que font les locuteurs des différents « niveaux de langue » disponibles, en fonction des situations de communication. Ces usages relèvent de la « parole » telle que la définit Ferdinand de Saussure (1857-1913), c'est-à-dire de l'utilisation...

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Voir aussi