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CHANSON

Les théories de la chanson

« L'étude des phénomènes discrédités est elle-même discréditée. » Cette appréciation d'Edgar Morin se rapporte à la critique chansonnière et implique deux sortes de problèmes : se vérifie-t-elle tout au long de l'histoire du phénomène considéré, d'une part ? affecte-t-elle la nature et la finalité de cette action critique, d'autre part ? En particulier la chanson est-elle appréhendée selon sa spécificité ou bien comme une sorte de manifestation sociale (aspirations d'une couche sociale, d'un groupe), ou encore dans la perspective de l'histoire de l'art (gestation de l'art musical) ? L'étude des principales théories de la chanson développées en Occident permettra d'avancer quelques éléments de réponse.

La théorie romantique

La plus importante et la plus féconde des théories de la chanson a été développée par Herder et les écrivains du Sturm und Drangallemand, puis popularisée par la génération romantique, avant d'être répandue en France par Gérard de Nerval et les romantiques français. Cette théorie est fondée sur une dichotomie opérée entre chanson populaire –  Volkslied – et chanson d'art – Kunstlied –, le premier terme de cette dichotomie étant considéré comme la création naïve, « naturelle », de peuples « sauvages », qui n'ont pas encore été contaminés par la civilisation : « La nature a créé l'homme libre, joyeux, chantant ; l'art et la société le rendent fermé, méfiant, muet » (Herder). Toute autre forme d'expression chansonnière n'étant qu'artifice est dénuée d'intérêt.

Quel degré de crédibilité l'historien peut-il accorder à cette théorie ? Pour qu'une chanson soit pure de toute influence extérieure à son milieu d'origine, il faudrait que ce dernier vive en autarcie. Ce cas ne se rencontre qu'à titre exceptionnel en Europe : ainsi que le mentionne Henri Davenson (pseudonyme d'Henri-Irénée Marrou), la Lettonie, où la noblesse allemande vécut en marge du peuple letton, en fournit un exemple. La révolution industrielle rendit cette éventualité encore plus mythique. Aussi cette théorie n'a-t-elle pu se développer qu'en s'alimentant à une conception passéiste de l'histoire, fondée sur une valorisation de la société agraire, préindustrielle, dont elle exprime la nostalgie. L'on peut penser que tous les essais contemporains de réanimation du folklore (mouvement ajiste né en Allemagne, scoutisme, Chantiers de jeunesse sous le gouvernement de Vichy) participaient, peu ou prou, de cette nostalgie.

La postulation poétique ou musicale

La professionnalisation du mode de production de la chanson et ses conséquences dans le domaine de la distribution entraînèrent l'élaboration d'une nouvelle théorie répandue d'abord en France, puis dans les pays avoisinants. Industrialisation et commercialisation équivalent pour ses tenants à une altération de ce qui fait la substance même de la chanson, substance identifiée à celle du Volkslied. La chanson ne peut être sauvée qu'en étant régénérée par l'apport des formes d'expressions qui sont issues d'elle, tels la musique, l'opéra et la poésie. Dès lors, il y aura lieu d'établir une distinction entre bonne et mauvaise chanson, ou chanson d'exigence, de qualité, et chanson commerciale ; la conformité par rapport aux normes en usage dans l'un des arts considérés tenant lieu de discriminant.

Cette conception, dominante dans l'élite des pays occidentaux, marque la rencontre de la sphère culturelle bourgeoise et d'un mode d'expression qu'elle n'avait pas encore assumé. Considérant la chanson comme un avatar d'une des formes d'expression socialement reconnues (poésie, musique), elle tend, dans son approche critique, à nier[...]

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Écrit par

  • : docteur ès lettres et sciences humaines, professeur à la Sorbonne
  • : écrivain et musicologue, secrétaire général adjoint de l'Académie Charles-Cros
  • : diplômé de l'École pratique des hautes études, chargé de cours à l'U.F.R. de musique et musicologie de l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Louis-Jean CALVET, Guy ERISMANN et Jean-Claude KLEIN. CHANSON [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Chanson de geste - crédits : AKG-images

Chanson de geste

Bob Dylan et Joan Baez - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Bob Dylan et Joan Baez

Mistinguett - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Mistinguett

Autres références

  • AGRICOLA ALEXANDRE (1446 env.-1506)

    • Écrit par Pierre-Paul LACAS
    • 349 mots

    Né vraisemblablement en Flandre, peut-être en Allemagne, Alexandre Agricola (ou Ackermann) est en Italie, à Florence, en 1470, date de son mariage. Il est au service du duc Galéas-Marie Sforza de Milan, de 1471 à 1474, date à laquelle on le rencontre à Mantoue, ayant cédé sa place à Milan à ...

  • AIR, musique

    • Écrit par Michel PHILIPPOT
    • 3 278 mots

    Dans le langage commun, on a pris l'habitude de désigner par le mot « air » la musique destinée à être chantée. On oppose ainsi, dans la chanson, l'air aux paroles. Par extension, on en est arrivé à employer le mot « air » dans le cas de toute mélodie suffisamment connue...

  • ARCADELT JACQUES (1505 env.-1568)

    • Écrit par Pierre-Paul LACAS
    • 438 mots

    Musicien franco-flamand, un des premiers grands madrigalistes, avec C. Festa et P. Verdelot. Il fut peut-être l'élève de Josquin Des Prés et certainement celui de Verdelot qu'il fréquenta notamment vers 1530 à la cour des Médicis et avec lequel il fit le voyage de Lyon, en compagnie d'un...

  • ARGOT

    • Écrit par Pierre GUIRAUD
    • 4 088 mots
    ...misérabiliste, ainsi que le célèbre Opéra de quat'sous, alimente surtout la poésie populaire sous forme de complaintes du clochard et du vagabond ; on la retrouve chez Bruant et, sous des formes stylisées, dans La Chanson des gueux de Richepin et dans Les Soliloques du pauvre de Jehan Rictus.
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Voir aussi