ASCÈSE & ASCÉTISME
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L'ascétisme en Grèce
L'ascétisme a joué un grand rôle dans certaines des écoles philosophiques de la Grèce ancienne. On distinguera ici une tradition dualiste de l'ascèse-purification et une tradition « réaliste » de l'ascèse comme retour à la nature. La première remonte au pythagorisme et à l'orphisme. C'est la tradition du corps-tombeau (sôma = sêma) à laquelle Platon a donné ses lettres de noblesse dans le Gorgias (492 a) et dans le Phédon (67 c-e). Le corps est ici le rempart de boue qui dérobe à l'âme la vue des intelligibles dont elle est parente et dont elle se souvient. La vie philosophique s'identifie alors à un long entraînement à « mourir et être mort » (Phédon, 64 a), c'est-à-dire que l'on s'efforce de vivre dans le seul exercice de l'intelligence, en refoulant les sensations confuses qui émanent du corps. Quant à la seconde tradition, elle se manifeste avec éclat chez les premiers représentants de l'école cynique, Antisthène et Diogène de Sinope. On a pu caractériser la voie préconisée par eux comme « une ascèse physique à finalité spirituelle ». Aux antipodes de l'intellectualisme socratique, les cyniques posent qu'une vie de pauvreté, d'endurcissement physique et d'extrême frugalité est nécessaire et suffisante pour conduire l'âme à l'autosuffisance (autarkeïa) et à la félicité. Les cyniques ne se réfèrent à aucune instance transcendante. L'ascèse, selon eux, est ce qui débarrasse l'âme de tous les désirs frelatés déposés en elle par la vie dans la cité, lui permettant ainsi de retrouver le goût des choses les plus simples et toujours à notre disposition, telles que l'eau des torrents ou la pierre où reposer sa tête. Au-delà de cette fonction de permettre un retour à la nature, l'ascèse cynique est ce qui forge pour l'âme une cuirasse d'insensibilité (apatheïa) qui lui permettra de conserver une parfaite sérénité face aux tragédies de l'existence : deuils, infirmités, exil, déshonneur, maladies mortelles. C'est pourquoi Diogène n'hésite pas à présenter sa doctrine comme un hédonisme et un eudémonisme.
Ces deux grands courants demeurent présents à travers toute l'Antiquité mais interfèrent rarement. Le thème cynique de la modération des désirs se retrouve chez Épicure faisant l'éloge de la vie frugale. De son côté, l'exigence d'un endurcissement de l'âme, en vue de parer aux coups du destin, devient presque un lieu commun du stoïcisme tardif (Sénèque, Épictète, Marc Aurèle). Quant à la tradition dualiste de la catharsis, elle se prolonge chez les gnostiques et les manichéens, mais plus nettement encore dans le néo-platonisme. Toute la philosophie de Plotin, en particulier, se laisse interpréter comme une méditation sur le thème de la déchéance de l'âme, consécutive à son exil dans le corps : « C'est comme si un homme plongé dans la boue d'un bourbier ne montrait plus la beauté qu'il possédait et comme si l'on ne voyait en lui que la boue dont il est enduit. La laideur est survenue en lui par l'addition d'un élément étranger, et, s'il doit redevenir beau, c'est un travail pour lui de se laver et de se nettoyer pour être ce qu'il était » (Ennéades, i, 6, 5). La contemplation plotinienne – qui culmine dans l'extase – suppose donc une ascèse radicale, à la fois corporelle et spirituelle. Pour remonter à son origine – l'Un –, l'âme doit « retrancher toutes choses » (v, 3, 17).
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Écrit par :
- Michel HULIN : professeur de philosophie indienne et comparée à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Pour citer l’article
Michel HULIN, « ASCÈSE & ASCÉTISME », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 18 juin 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/ascese-et-ascetisme/