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ASCÈSE & ASCÉTISME

L'ascèse chrétienne

L' histoire de l'ascétisme chrétien commence au ive siècle avec le départ pour le désert d'Égypte de saint Antoine et de Pacôme, le futur organisateur de la vie cénobitique. À cette époque, le christianisme a acquis définitivement droit de cité dans l'Empire romain. Mais, si les persécutions ont cessé, la grande attente eschatologique du retour en gloire du Christ est demeurée d'actualité, avec la condamnation radicale qu'elle implique de la cité terrestre et de ses valeurs. En se détournant du monde de la manière la plus radicale, les premiers ermites du désert cherchent à vivre par anticipation dans la proximité immédiate de Dieu, prenant en cela le relais des martyrs qui, eux aussi, avaient conscience d'aller, en quelque sorte, à la rencontre du Christ. Jusqu'au viiie siècle environ, d'abord en Égypte et en Syrie puis dans tout le Proche-Orient, des milliers d'« hommes ivres de Dieu », vivant tantôt à l'intérieur de vastes communautés monastiques et tantôt en anachorètes, ont ainsi consacré leur existence à explorer toutes les modalités possibles de l'ascèse corporelle et spirituelle et en ont fixé définitivement le modèle, du moins pour l'Occident.

L'ascète du désert a pour compagnons naturels la faim et la soif. Non content de la frugalité que lui impose son cadre de vie, il s'acharne à multiplier les jeûnes temporaires et à diminuer toujours davantage sa ration quotidienne de pain rassis ou moisi, d'herbes sauvages, de graines, d'eau croupissante. Il ne dort que le strict nécessaire, et jamais allongé, mais de préférence dans une position inconfortable, telle que debout appuyé contre un mur. Il aime prier de longues heures en plein soleil, à genoux, les bras en croix, ou debout sur une brique. Il s'expose volontairement à la vermine et aux piqûres d'insectes. Sa cellule est étroite, obscure, étouffante. Parfois, il élit domicile dans un ancien tombeau, une grotte à flanc de montagne ou un puits asséché. Il peut aussi choisir de s'installer, comme les « dendrites », au creux d'un vieil arbre, ou dans une cage suspendue à ses branches, ou encore, comme Siméon le Stylite, passer des dizaines d'années au sommet d'une colonne, exposé à toutes les intempéries. Il peut même parfois régresser volontairement à un mode de vie animal, comme ces ascètes « brouteurs » qui hantaient les bords de la mer Noire au vie siècle. Par ailleurs, la règle du silence prévaut largement dans les communautés tandis que certains anachorètes font vœu de ne plus jamais adresser la parole à personne. Beaucoup aussi mortifient le sens de la vue en s'imposant de garder toujours les yeux baissés vers la terre. Les uns et les autres, lorsqu'ils font leur noviciat dans une communauté, ou auprès d'un anachorète qui les a acceptés comme disciples, se soumettent aux épreuves initiatiques imposées, même les plus absurdes en apparence, comme de tresser et détresser sans cesse le même panier d'osier ou d'arroser des années durant un bâton sec planté en plein désert. Tous, aussi, recherchent l'anonymat, se cachent sous de faux noms, changent de lieu de retraite ou jouent au simple d'esprit dès que le renom de leur spiritualité, franchissant les déserts, commence à attirer vers eux des visiteurs plus curieux que fervents.

Ces hommes sous-alimentés, épuisés, fiévreux cherchent ainsi, selon le mot de l'un d'eux (saint Dorothée), à « tuer ce corps qui les tue » (Histoire lausiaque, ii, 3). L'ascèse, toutefois, ne représente jamais pour eux une fin en soi. Elle ne fait que les libérer pour une vie intérieure intense, faite de prières et de méditations continuelles. Leur but ultime est de se purifier si totalement qu'ils puissent devenir dignes de goûter, en cette vie[...]

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Écrit par

  • : professeur de philosophie indienne et comparée à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Michel HULIN. ASCÈSE & ASCÉTISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Moines bouddhistes de Birmanie - crédits : Dietmar Temps, Cologne/ Moment Unreleased/ Getty Images

Moines bouddhistes de Birmanie

Autres références

  • ALIMENTATION (Comportement et pratiques alimentaires) - Anthropologie de l'alimentation

    • Écrit par Dominique FOURNIER
    • 6 095 mots
    • 3 médias
    En fait, l'expérience de terrain rappelle qu'il serait vain de vouloir imposer à tous un comportement normé. L'exemplarité des saints ou des ascètes suffit à la diffusion de règles idéales qui risqueraient d'affaiblir les processus de la reproduction humaine si elles étaient strictement appliquées....
  • ARSÈNE saint (354 env.-env. 455)

    • Écrit par Universalis
    • 412 mots

    Moine d'Égypte né vers 354 à Rome et mort vers 455 à Toura dans le désert de Scété, saint Arsène aussi appelé Arsenius le Romain, est réputé pour son ascétisme parmi les ermites chrétiens du désert de Libye. Ainsi compté au nombre des fameux Pères du désert, il servit de modèle...

  • ĀŚRAM ou ASHRAM

    • Écrit par Guy DELEURY
    • 1 737 mots
    ...Je crois fermement au varnāśrama ; j'ai toujours considéré que c'était le plus beau don que l'Inde a fait à l'humanité. » Un don qui remonte fort loin. Il semble bien que cet itinéraire spirituel ait été inauguré par les ascètes qui, contemporains du Buddha, firent retraite dans les forêts et y attirèrent...
  • BERNARD DE CLAIRVAUX (1090-1153)

    • Écrit par Marie-Madeleine DAVY, Marcel PACAUT
    • 2 656 mots
    ...ressemblance divine, il a perdu par la faute originelle et par ses propres erreurs la parfaite ressemblance ; le but de l'existence sera de la recouvrer. D'où l' ascèse, la nécessité d'imiter le Christ afin de passer de l'état charnel à l'état spirituel. La chair ne doit pas être méprisée, toutefois elle est une...
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Voir aussi