Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

HUGO VICTOR (1802-1885)

Le dramaturge

Théorie et pratique : « Cromwell »

Dès 1825, les jeunes romantiques rêvent de s'emparer du théâtre, d'en renouveler les structures sclérosées, l'inspiration tarie. Projets singulièrement stimulés par la venue à Paris des comédiens anglais jouant Shakespeare. En 1826-1827, Hugo apporte avec son Cromwell et la préface qui le précède, ou plutôt qui le suit, le manifeste de la liberté au théâtre – une liberté non pas abstraite, mais réglée par trois éléments essentiels : l'utilisation et le respect de l'histoire éclairant à la fois le passé et la réalité contemporaine ; la grandeur poétique (rigueur du style, et usage du vers, machine à éloigner les philistins) ; enfin le grotesque, image mystifiée mais vivante de la réalité populaire introduite au cœur du drame.

Le drame lui-même de Cromwell, œuvre géante de six mille vers, répond assez fidèlement à une telle vue, mélange de grandeur, de vue exhaustive de l'histoire, de présence populaire dans les personnages et dans le grotesque (chansons des fous, facéties burlesques de Rochester, dérision de la puissance). D'une part l'œuvre – théorie et pratique – apparaissait comme capable de renouveler le théâtre et de faire sauter les verrous de la vieille tragédie. D'autre part elle posait le problème de l'action politique et de la possibilité pour le grand homme de prendre en main, après une révolution, les destins d'un monde complexe et décadent.

Le théâtre joué

La bataille d'« Hernani »

La victoire ne se remporte que sur le terrain ; Cromwell, trop vaste, ne pouvait être ni joué ni réduit. En 1830, le succès discuté d'Hernani permet à Hugo de défendre sa propre formule du drame romantique : drame de l'être double cherchant dans les luttes de l'histoire et les vicissitudes de l'amour, non seulement son identité, mais l'impossible réconciliation d'un moi déchiré (bandit-grand seigneur ; mauvais roi-bon empereur). La vigueur provocante du style, l'audace des situations, la grandeur paradoxale des personnages, l'amour impossible, la présence permanente de la mort ravirent une jeunesse qui voyait dans l'œuvre, outre l'exaltation napoléonienne du grand homme et le mépris libéral des rois (« Crois-tu que les rois à moi me sont sacrés ? »), l'étendard enfin brandi de la liberté dans l'art et ce mélange diffus d'espérance et de nostalgie qui précéda la révolution de 1830. La bataille d'Hernani, bien plus idéologique et littéraire que proprement littéraire, si elle se joue au niveau du public prend peut-être toute son acuité dans les démêlés de l'auteur avec ses comédiens. Toute victoire littéraire ne pouvait être, dans les conditions commerciales qui étaient celles du théâtre à l'époque, qu'une demi-victoire. Après Hernani, Hugo change de troupe et quitte la Comédie-Française ; c'est à la Porte-Saint-Martin, théâtre « populaire », moins conformiste, qu'il confie en 1831 Marion de Lorme, interdite par la censure de la Restauration en 1829 et libérée par le nouveau régime. Mais les grands acteurs du mélodrame, un Bocage, une Dorval, ne parviennent pas à arracher un vrai succès.

À la recherche d'un public

<em>Lucrèce Borgia</em> de V. Hugo, mise en scène de Denis Podalydès - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Lucrèce Borgia de V. Hugo, mise en scène de Denis Podalydès

Hugo, parfaitement conscient des problèmes du théâtre, surtout après la révolution de 1830 et l'échec presque immédiat de ses espérances, s'efforce alors non seulement de trouver un public, mais de le créer un, à la fois bourgeois et populaire ; la formation de ce public serait une double tâche, littéraire et politique. Pendant l'été 1832, Hugo écrit presque simultanément deux pièces pour tenter de conquérir à la fois l'« élite » à la Comédie-Française et le public populaire de la Porte-Saint-Martin. La première, Le roi s'amuse, dont le[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : professeur à la faculté des lettres et sciences humaines de Paris
  • : conservateur en chef du Patrimoine
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-VII
  • : ancienne élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-III
  • : professeur émérite, université de Montréal, Kress Fellow, Galerie nationale, Washington, membre de la Société royale du Canada

Classification

Pour citer cet article

Pierre ALBOUY, Pierre GEORGEL, Jacques SEEBACHER, Anne UBERSFELD et Philippe VERDIER. HUGO VICTOR (1802-1885) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Lucrèce Borgia</em> de V. Hugo, mise en scène de Denis Podalydès - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Lucrèce Borgia de V. Hugo, mise en scène de Denis Podalydès

Victor Hugo, P. Nadar - crédits : Paul Nadar/ Archives photographiques

Victor Hugo, P. Nadar

<em>Les Misérables</em>, V. Hugo - crédits : Géo Dupuis/ musée Victor Hugo, Paris/ AKG Images

Les Misérables, V. Hugo

Autres références

  • BICENTENAIRE DE VICTOR HUGO

    • Écrit par Pierre-Marc de BIASI
    • 982 mots

    Victor Hugo a eu deux cents ans. La France, en 2002, a fêté dignement le bicentenaire de sa naissance, dix-sept ans après avoir célébré le centenaire de sa mort, en 1985. A-t-on eu pour autant l'impression d'une redite ? Non, car, en réalité, ce n'est pas tout à fait le même Hugo qui a été à l'honneur....

  • LES CHÂTIMENTS, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 086 mots
    • 1 média

    « Écoute, je te dois, Sire, un remercîment/Sans toi je n'aurais pas fait ce livre inclément... » Écrivant ces vers des années plus tard, Victor Hugo (1802-1885) avouait, non sans ironie, sa dette envers Napoléon III. C'est en effet à Jersey puis à Guernesey, entre 1852 et 1870, qu'il...

  • CHOSES VUES, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 184 mots
    • 1 média

    Choses vues est un volumineux ensemble de textes que Victor Hugo (1802-1885) avait laissés impubliés. Réunis en volume, ils ont paru pour la première fois deux ans après sa mort, en 1887. Le titre a été donné par les éditeurs de ses écrits posthumes et repris par la tradition. Il s'avère d'ailleurs...

  • LES CONTEMPLATIONS (V. Hugo) - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-François PÉPIN
    • 1 003 mots
    • 1 média

    Depuis Les Rayons et les Ombres (1840), Victor Hugo (1802-1885) n'avait pas publié de recueil lyrique. Certes Les Châtiments (1853), violent libelle contre Napoléon III, marquaient un retour à la poésie, mais à une poésie tout entière au service de la politique. Dans la Préface aux ...

  • HERNANI, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 950 mots
    • 3 médias

    Le 25 février 1830, a lieu à la Comédie-Française la première d'Hernani (sous-titré d'abord L'Honneur castillan, puis La Jeunesse de Charles-Quint), drame en cinq actes de Victor Hugo (1802-1885). Le spectacle, ce soir-là, est surtout dans la salle : entre tenants de la tragédie...

  • L'HOMME QUI RIT, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 070 mots
    • 1 média

    Commencé à Bruxelles le 21 juillet 1866, continué à Guernesey, puis achevé à Bruxelles le 23 août 1868, L'Homme qui rit est la dernière grande œuvre d'exil de Victor Hugo (1802-1885). Sa rédaction, souvent interrompue, est marquée par le double deuil qui frappe l'auteur en 1868 : Georges,...

  • LA LÉGENDE DES SIÈCLES, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 962 mots

    « Ego Hugo » : la célèbre devise ne pouvait mieux convenir qu'à l'auteur de La Légende des siècles, œuvre « cathédrale » s'il en fut, entreprise prométhéenne et sublime poème de l'humanité pour les uns, sommet de l'emphase mégalomaniaque et du mauvais goût pour les autres, livre...

  • LES CHANSONS DES RUES ET DES BOIS, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 869 mots

    Figure de proue du romantisme, phare de la République et de l'opposition au second Empire, le poète, dramaturge et romancier Victor Hugo (1802-1885) a composé, en contrepoint à ses œuvres graves et comme pour dérouter ses détracteurs, un recueil de soixante-dix-huit poèmes au lyrisme tour...

  • LES ORIENTALES, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Yves LECLAIR
    • 955 mots

    Les Orientales de Victor Hugo (1802-1885) paraissent le 24 janvier 1829, à Paris, chez l'éditeur Gosselin. Dans sa préface, le jeune poète romantique affirme que « tout a droit de cité en poésie ».

    Le recueil est publié la même année que le roman à thèse Le Dernier Jour dun condamné...

  • LES MISÉRABLES, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-François PÉPIN
    • 1 089 mots
    • 1 média

    Alors que Victor Hugo est en exil à Guernesey, où il continue d'affirmer son opposition à Napoléon III, paraissent à Paris en 1862 les dix volumes des Misérables, énorme roman commencé en 1845. Épopée du peuple et de la misère, Les Misérables, en dépit de quelques invraisemblances,...

  • NOTRE-DAME DE PARIS, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 461 mots

    À la mi-mars 1831, lorsque paraît, sous son titre complet, Notre-Dame de Paris, 1482, Victor Hugo (1802-1885) n'a que vingt-huit ans. Il s'est déjà rendu célèbre par ses poèmes ‒ Odes et ballades (1822-1828),Les Orientales(1829) ‒ et ses pièces de théâtre ‒ Cromwell ...

  • QUATREVINGT-TREIZE, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Philippe DULAC
    • 1 156 mots
    • 1 média

    Rédigé de décembre 1872 à juin 1873, publié en 1874, Quatrevingt-Treize est le dernier roman de Victor Hugo (1802-1885). L'écrivain en forma le projet dès après la parution des Misérables, en 1862. À l'origine, l'ouvrage devait conclure une trilogie romanesque qui aurait peint au préalable...

  • RUY BLAS, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 762 mots
    • 1 média

    Ruy Blas est une pièce en cinq actes et en alexandrins de Victor Hugo (1802-1885), créée à Paris, au théâtre de la Renaissance – inauguré pour l'occasion – le 8 novembre 1838, soit huit ans après la « bataille d'Hernani ». Huit années durant lesquelles le drame romantique...

  • LES TRAVAILLEURS DE LA MER, Victor Hugo - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 197 mots
    • 1 média

    Écrits à Guernesey en 1864 et 1865, et publiés l'année suivante simultanément à Bruxelles et Paris, Les Travailleurs de la mer sont certainement, des œuvres composées par Victor Hugo (1802-1885) pendant l'exil, celle qui doit le plus au lieu lui-même. Cette influence s'accentue par la suite...

  • ANANKÈ

    • Écrit par Lucien JERPHAGNON
    • 285 mots

    Le mot grec anankè veut dire « nécessité » (anankè estin, « il faut ») ; plus précisément, chez les poètes, les tragiques, les philosophes, les historiens, anankè évoque une contrainte, une nécessité naturelle, physique, légale, logique, divine... Ce nom personnifie la Nécessité...

  • BOULANGER LOUIS (1806-1867)

    • Écrit par Bruno FOUCART
    • 388 mots

    Avec Célestin Nanteuil, Eugène et Achille Devéria, Louis Boulanger appartient à cette pléiade de peintres-graveurs étroitement liés au mouvement romantique, dont ils sont les fidèles illustrateurs et compagnons de combat, tandis que Delacroix mène, avec la liberté du génie, une carrière beaucoup...

  • BRION GUSTAVE (1824-1877)

    • Écrit par Ségolène LE MEN
    • 827 mots

    Comme Schuler (qui fut d'abord un illustrateur), Brion est un peintre de l'Alsace, dont l'œuvre, après 1870, touche le public du Salon par la fibre patriotique des « provinces perdues ». Né à Rothau dans les Vosges dans une famille où l'on se faisait volontiers pasteur, il était le petit-neveu de...

  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...bruyants qu'ils ne tenaient guère en estime. En sont-ils moins romantiques pour cela ? Quant aux doctrines et aux préfaces, à commencer par celles de Hugo, que de fois elles se contredisent, ou ne sont écrites que pour justifier quelque hardiesse bizarre ! Que de fois, d'ailleurs, ces sonores déclarations...
  • Afficher les 35 références

Voir aussi