LIVRE
C'est vers le milieu du xve siècle que la technique occidentale d'impression des textes au moyen de caractères mobiles fut mise au point, très vraisemblablement dans la région de Mayence. À partir de 1460, le nouvel art se répand très rapidement à travers l'Europe. Très rapidement également, on prend l'habitude d'illustrer les nouveaux livres au moyen d'illustrations gravées sur bois et, plus rarement, sur cuivre. À la fin du xve siècle, quinze ou vingt millions d'exemplaires, peut-être, auront été répandus dans une Europe alors peuplée de quelque cent millions d'habitants, dont la plupart étaient illettrés.
L' imprimerie contribue dès lors très largement à faire passer l'Occident du stade de la culture orale à celui de la culture écrite. En même temps, le livre imprimé prend un aspect totalement différent de celui des manuscrits jusque-là répandus : la page de titre apparaît, publicité pour le libraire, mais aussi état civil du livre ; des différents types d'écriture employés, l'un triomphe, l'écriture romaine chère aux humanistes ; l'aspect du livre s'uniformise mais aussi s'éclaircit, on prend l'habitude de numéroter les feuillets, puis les pages, de diviser l'ouvrage en chapitres à peu près égaux, de faire figurer en tête du volume ou à la fin une table des matières qui, donnant la référence de chaque chapitre, fournit aussi au lecteur le plan de ce qu'il doit lire. Du même coup, l'imprimerie contribue à forger une psychologie, celle de l'homme des Temps modernes.
En même temps, le livre prend en charge, comme par modes successives, certains courants de pensée, qui, grâce à lui, deviennent dominants. Au xvie siècle, il apparaît ainsi au service des humanistes et fait connaître à tous les chefs-d'œuvre retrouvés ou revus de la pensée grecque ou latine. Mais il est aussi au service des jeunes littératures nationales et de l'esthétique de la Renaissance. À côté des chefs-d'œuvre de l'Antiquité païenne, il diffuse aussi le texte revu de la Bible et des œuvres des premiers Pères. Générateur d'une certaine forme d'esprit critique moderne, il contribue à l'élan réformateur. Moyen permettant d'accélérer la circulation de l'information, il favorise la cristallisation des opinions publiques et joue son rôle dans les guerres religieuses.
La paix revenue, les partis au pouvoir essaient de se l'asservir par le recours à la censure. Durant tout le xviie siècle, il apparaîtra ainsi au service des orthodoxies ; c'est, dans le monde catholique, la grande époque de la réformation catholique, où se multiplient les petits livres de piété, destinés à nourrir un renouveau de sensibilité religieuse, et les monuments d'érudition qui fixent le dogme renouvelé.
Survient cependant vers la fin du siècle une de ces décharges de sensibilité évoquées par Lucien Febvre. Autour de la France, les presses clandestines se multiplient, la grande heure de l'imprimerie hollandaise sonne, la presse à imprimer apparaît à nouveau au service de l'attaque : elle contribuera puissamment à préparer la Révolution française.
En même temps, le livre, en chacune de ces époques, évoque en son aspect la psychologie des textes qu'il diffuse. Au xviie siècle, l'illustration, d'abord volontiers monumentale et allégorique, devient finalement psychologique, le livre s'ornant alors avant tout de portraits ; au xviiie siècle, au contraire, elle sera souvent galante, mais aussi documentaire et technique.
Après la Révolution, cependant, l'Europe se transforme : le temps de la révolution industrielle est survenu ; le peuple des campagnes afflue vers les villes ; les luttes sociales durcissent l'atmosphère. En ce climat, le livre apparaît quelque peu au service des classes dominantes. Les autres tendront à lui préférer un relativement nouveau venu : le journal ; c'est lui qui profite avant tout de l'alphabétisation des masses. Dès lors se pose un problème qu'accentuera l'avènement des nouveaux médias (radio, cinéma, puis télévision) : dans quelle mesure le livre doit-il toujours assumer les mêmes missions que jadis ? Les mutations sociales actuellement en cours en généraliseront-elles l'usage ? Ou apparaîtra-t-il en retrait, et, dans ce cas, à un univers mental dominé par l'imprimé un autre univers, tout différent, ne succédera-t-il pas ?
L'évolution de la production imprimée
C'est vers 1450 que la technique occidentale d'impression des textes fut mise au point, dans l'entourage de Gutenberg ; cependant, des essais d'impression furent sans doute effectués vers la même époque en Hollande et à Avignon.
À quelles nécessités répondaient ces tentatives ? Il semble qu'on ait ressenti en Europe, à la veille de la Renaissance, le besoin de multiplier les textes à volonté à la suite d'un assez large mouvement d'alphabétisation ; mais c'est surtout le mécanisme capitaliste qui joua en cette affaire un rôle moteur.
À partir de 1460, la technique nouvelle se diffusa très rapidement. Vers 1520, des officines étaient établies dans toutes les villes d'Europe de quelque importance. Parmi les œuvres répandues sous forme de manuscrits, l'imprimerie effectue d'abord un tri. Puis, le besoin pour les libraires de renouveler les textes et d'élargir leur clientèle impose un dynamisme tout nouveau dans le domaine culturel. Parallèlement commence le temps des modes : mode pour les écrits mystiques à la fin du xve siècle, mode pour les classiques latins et grecs entre 1490 et 1530, enfin mode pour les textes littéraires en langues nationales vers le milieu du xvie siècle. Ainsi la presse à imprimer apparaît-elle alors au service de l'humanisme, puis à celui du nationalisme et contribue-t-elle à former, mais aussi à figer, les langues nationales.
Multipliant les textes sacrés comme les textes profanes, recherchant naturellement les meilleures versions, les imprimeurs favorisent en outre l'essor d'une forme d'esprit critique qui est à la base de la Réforme ; possédant l'instrument nécessaire pour atteindre simultanément un public assez large, ils contribuent, par la diffusion de toute une littérature de caractère polémique, à cristalliser l'opinion publique autour des problèmes religieux.
Ainsi la typographie a-t-elle fortement contribué à bouleverser la structure des mentalités occidentales dans le siècle qui a suivi son apparition. Instrument de culture d'une élite bourgeoise, dont l'ascension est souvent contemporaine de sa naissance, le livre imprimé règne en maître au xviie et au xviiie siècle ; il fait refluer toutes les formes de culture orale. Le premier des médias de caractère moderne, il fait tellement sentir sa puissance que les pouvoirs, le spirituel comme le temporel, essaient de le contrôler par différents systèmes de censure.
À partir du début du xixe siècle, cependant, face à l'afflux massif d'un public récemment et incomplètement alphabétisé, le livre apparaît avant tout comme l'instrument de culture d'une élite ; il voit se développer un fils quelque peu abusif, le journal, qui sait mieux répondre aux préoccupations des masses dans un monde qui devient celui de l'immédiat. Avec l'essor des techniques d'illustration et l'apparition de la photographie, l'image tente d'équilibrer le texte écrit, devenu envahissant. Puis, la conquête du public par l'audiovisuel consacre un retour de l'oral face à l'écrit. Mais, ouvrant de nouveaux horizons à celui-ci, ces nouveaux médias contribuent à leur tour à inviter à un retour au livre, instrument d'approfondissement et de méditation, retour que vient confirmer l'étude statistique de l'évolution de la production imprimée depuis la dernière guerre.
L'apparition du livre imprimé
L'invention de l'imprimerie supposait réunies un certain nombre de conditions.
Les conditions
Déjà au xiiie siècle, l'essor des universités et le développement des études avaient entraîné l'utilisation de procédés de fabrication en série des manuscrits. Au xive et au xve siècle, il semble que, notamment par l'intermédiaire des chancelleries, par le développement de collèges dans le nord de l'Europe (mouvement de la Devotio moderna, dans les Pays-Bas et en Allemagne du Nord), par la multiplication des universités et par les progrès des techniques commerciales (arithmétique commerciale et livres de compte), l'alphabétisation et le besoin de textes aient augmenté. L'apparition de l'imprimerie répond donc à un besoin.
D'autre part, on savait depuis longtemps, en Europe, frapper une matrice de métal à l'aide d'un poinçon de métal plus dur et prendre l'empreinte de cette matrice en coulant dans celle-ci un métal fusible à basse température. Cependant, au début du xve siècle, on voit naître, dans la région de Liège, le premier haut fourneau et toute la machinerie qui sera utilisée jusqu'au xviiie siècle. Vers la même époque, l'exploitation des mines d'Allemagne et de Bohême connaît un nouvel essor. Du même coup, les arts et les techniques du métal progressent, et un « climat » est créé.
De plus, mis au point en Chine dans les premiers siècles de notre ère, l'art du papier avait été connu des Arabes vers le viiie siècle. Au xie et au xiie siècle le papier était introduit, par leur intermédiaire, en Europe (Espagne et Italie). Mais les papetiers italiens utilisèrent, au lieu de la meule employée par les Arabes, des moulins à eau, l'axe des roues étant muni de « lèves » permettant de transformer le mouvement circulaire de celles-ci en mouvement alternatif. En Italie, puis en France, les moulins à papier se multiplièrent donc au cours des xive et xve siècles. Ainsi se trouve mis à la disposition des Occidentaux, dans le siècle qui précède l'invention de l'imprimerie, un nouveau « support » des textes, parfaitement plan, donc plus apte que le parchemin à passer sous la presse à imprimer.
Cependant, de même que d'autres grandes découvertes, l'invention de l'imprimerie, loin d'en être une conséquence, précède la Renaissance. On aimerait pouvoir faire état à ce sujet d'un nouvel essor économique et démographique amorcé en Allemagne et dans le nord de l'Europe dans la première partie duxve siècle. Tel ne paraît pas avoir été le cas. On peut pourtant observer que l'art typographique trouva son berceau dans la vallée du Rhin, pays de civilisation urbaine, comptant des villes prospères, habitées par une riche bourgeoisie urbaine, centres de foires et d'échanges : Gutenberg travailla à Strasbourg à la mise au point de procédés techniques en vue des foires d'Aix-la-Chapelle ; ses bailleurs de fonds furent des papetiers, des bourgeois, des banquiers soucieux avant tout de faire fructifier leur capital.
L'invention
Employée déjà pour l'impression du tissu, la technique xylographique est tout naturellement utilisée dès la seconde partie du xive siècle pour imprimer des images sur papier. Dès la fin de ce siècle se développe ainsi, notamment dans l'État bourguignon, une industrie d'images de dévotion, en particulier d'images de la Vierge et des saints populaires comme saint Roch, saint Sébastien ou sainte Apolline, qui ornent les demeures, décorent le fond des coffrets de voyage et servent peut-être de talismans ou de remèdes. Puis apparaissent des images profanes, qu'on groupe en livrets et qu'on accompagne d'une légende manuscrite ou gravée ; on en fait ainsi des sortes de bandes animées (Art de mourir, Neuf Preux, Apocalypses, etc.). Plus tard, on publiera d'autres livrets qui ne comportent que des textes (Doctrinal d'Alexandre de Villedieu, Grammaire élémentaire de Donat, etc.). Mais on peut se demander si les livrets de ce genre qu'on connaît ne sont pas tous postérieurs à l'apparition de l'imprimerie.
Peut-être cette technique de la xylographie, de même que celle du papier, fut-elle transmise de Chine où l'on imprimait des textes depuis longtemps en recourant à ce procédé. On évoque cependant aussi le « précédent chinois » pour tenter de prouver que les Européens n'inventèrent rien. En fait, les techniques d'impression au moyen de caractères mobiles, telles qu'elles furent élaborées en Europe au temps de Gutenberg, n'ont rien à voir avec les essais ouïgours ou coréens.
Comment les choses se passaient-elles en Occident ? D'assez nombreux documents d'archives et des textes semblent montrer que des tentatives eurent lieu en différents pays pour mettre au point un procédé d'impression durant le second quart du xve siècle. À Avignon, un orfèvre originaire de Prague, Procope Waldfoghel, s'engage par des contrats notariés à enseigner aux habitants de la ville un ars scribendi artificialiter (1444-1446). Aux Pays-Bas, les comptes de Jean Le Robert, abbé de Saint-Aubert de Cambrai, font état de l'achat de deux exemplaires d'un Doctrinal « jeté en moule » (1445 et 1451). Divers textes, postérieurs il est vrai, font enfin allusion à des recherches effectives aux Pays-Bas, notamment à Haarlem par Laurens Janszoon, surnommé Coster (Chronique de Haarlem, 1563). Surtout, Johannes Gensfleisch dit Gutenberg tente de mettre au point un procédé d'imprimerie, d'abord à Strasbourg entre 1436 et 1439, et plus tard à Mayence, ainsi qu'en témoignent des procès avec ses commanditaires. Bien qu'il soit à peu près certain qu'il ait abouti, on ne connaît pas d'impressions signées par lui, tandis que deux de ses anciens associés, Johann Fust et Peter Schoeffer, fondaient une entreprise prospère, de laquelle sortait en 1457 le premier livre imprimé signé de ses typographes, le Psautier de Mayence.
Si l'on recherche quels furent les premiers documents imprimés, on constate qu'il s'agit avant tout d'éditions de la Bible, de livres d'église (psautiers et missels), de grammaires élémentaires et de lettres d'indulgence.
La diffusion de l'imprimerie en Europe (1460-1520)
Sans doute à la suite des troubles survenus à Mayence en 1462, les typographes de cette ville commencent alors à essaimer à travers l'Europe. Possédant un matériel réduit, taillant pour la plupart leurs poinçons eux-mêmes, ils vont de ville en ville, au hasard des commandes. Le bailleur de fonds est souvent un homme d'Église, évêque ou chanoine, parfois aussi un mécène plus ou moins humaniste ; à Paris, c'est la Sorbonne qui accueille les premières presses (1472). Bien souvent ces créations sont éphémères, mais finalement le typographe se fixe soit dans une grande ville qui lui offre une clientèle (Paris), soit dans un centre de foires, où il trouvera de nombreux commanditaires (Lyon), soit dans un port marchand (Anvers, Venise).
Peu à peu le marché du livre s'organise. D'abord les imprimeurs s'installent dans les très grandes villes : en Allemagne, à Strasbourg et à Bamberg (1458), à Cologne (1466), à Augsbourg et à Bâle (1468), à Nuremberg (1470) ; hors d'Allemagne, à Subiaco et à Rome (avant 1465), à Venise (1469), à Paris (1472), à Lyon (1473), etc. En 1480, des presses typographiques ont fonctionné dans cent dix villes d'Europe au moins. Déjà Venise s'affirme comme métropole du livre, suivie de Milan, d'Augsbourg, de Nuremberg, de Florence, de Cologne, de Paris, de Strasbourg, de Bâle.
Puis vient le tour de villes de moindre importance. En 1500, on peut dénombrer deux cent trente-sept centres ayant possédé des presses. La France, les Pays-Bas, l'Allemagne du Nord tendent à rattraper leur retard. Si Venise reste en tête (près du quart peut-être des impressions de 1495 à 1497 parvenues jusqu'à nous), Paris et Lyon occupent désormais le second et le troisième rang devant Florence, Leipzig, Deventer, Milan, Strasbourg, Cologne, Augsbourg, Nuremberg et Bâle. De 1500 à 1520, les centres typographiques se multiplient tant qu'on ne peut plus les dénombrer.
Même dans les grandes villes cependant, les liseurs restent longtemps encore peu nombreux. L'écoulement d'une édition (on arrive très vite à des tirages de l'ordre du millier pour des raisons de rentabilité) exige donc une diffusion à longue distance : c'est pourquoi les nœuds de communications (ports, foires) sont souvent des centres typographiques importants. Pour faciliter les transactions, on recourt le plus souvent au système du troc. Afin de ne pas être endommagés, les livres circulent habituellement dans des tonneaux ; ils sont « en blanc » (en feuilles non reliées) pour peser moins lourd et ils sont reliés sur le lieu de vente soit avant, soit plutôt après la vente, au goût du client.
Le plus souvent, les éditions s'écoulent lentement. Longtemps la main-d'œuvre représentera peu de chose dans le prix de revient. L'établissement d'un atelier typographique ne coûte pas très cher si l'on se contente d'un matériel rudimentaire. En revanche, la matière première, le papier, est relativement onéreuse. On comprend donc que nombre de maîtres imprimeurs aient été d'assez pauvres gens dominés par des marchands libraires possédant des capitaux relativement importants et disposant d'un réseau d'affaires étendu.
La production imprimée
La production se développe rapidement. Pour les seuls livres imprimés avant 1500, les incunables, on possède de trente à trente-cinq mille impressions différentes ; soit, en admettant un tirage moyen de cinq cents, quelque vingt millions d'exemplaires offerts au public. Parmi eux, 70 p. 100 de livres sont en latin, environ 7 p. 100 en italien, 5 à 6 p. 100 en allemand, 4 à 5 p. 100 en français et un peu plus de 1 p. 100 en flamand. Dans cet ensemble, les textes religieux dominent : à peu près 45 p. 100 du total. Viennent ensuite les volumes de caractère littéraire, classiques anciens, médiévaux et contemporains (un peu plus de 30 p. 100), et enfin des livres de droit (un peu plus de 10 p. 100) et les impressions de caractère scientifique (environ 10 p. 100). On conçoit qu'une pareille production corresponde à un élargissement brutal du public des liseurs et à un changement d'attitude à l'égard du livre : il ne s'agit plus désormais de lire, de relire et de méditer quelques textes, mais, de plus en plus, de confronter, de consulter, voire de parcourir.
Quel message transmet le livre imprimé ? Michelet a affirmé à ce sujet que la presse à imprimer, avant de se mettre au service de mouvements novateurs, a assuré une survie inespérée à une foule de textes qui, sans son aide, auraient vite disparu. Certes, le libraire désireux de plaire au public ne travaille pas à contre-courant ; comme l'a observé l'historien des sciences Sarton, l'imprimerie ne mit ainsi au jour que six ou sept éditions des lettres dans lesquelles Christophe Colomb relatait ses découvertes, mais multiplia des centaines de fois le récit des voyages imaginaires de Jehan de Mandeville ; de même, en plein xvie siècle, on édite encore des cosmographies où l'on néglige de mentionner l'Amérique, sans doute afin d'éviter de choquer les opinions communément reçues. En règle générale pourtant, l'imprimerie favorise le progrès. Désireux de séduire leurs clients, les libraires cherchent à leur offrir des textes sans cesse renouvelés, plus corrects et dans une présentation améliorée. De plus, la dynamique des échanges tend à briser les cloisonnements intellectuels de l'Europe.
D'autre part, faisant preuve d'une extraordinaire mobilité, la production imprimée évolue, par à-coups, en fonction de modes successives. Au xve siècle, se multiplient les livres de spiritualité et de mystique (saint Augustin, saint Bernard, école rhéno-flamande, Imitatio Christi), mais aussi des manuels pour les prêtres, des abrégés et des traductions de la Bible. Les ouvrages littéraires en langues nationales comportent des écrits satiriques et surtout des romans de chevalerie qui sont destinés à un public de plus en plus large et qui deviendront au xviiie siècle littérature de colportage. Un peu partout paraissent les grammaires latines et, des presses italiennes d'abord, de celles des Pays-Bas aussi, puis très vite de celles de toute l'Europe, sortent les œuvres des classiques latins. Installé à Venise, Alde Manuce lance en 1500 un Virgile au format de poche et, bientôt, succèdent aux éditions en grand format de petits livres destinés à porter à un public élargi le message de l'Antiquité latine. Tout marché, cependant, s'épuise à la longue ; or, dès les dernières années du xve siècle, ce même Alde, profitant de la présence à Venise de nombreux réfugiés byzantins, entreprend de publier les œuvres des classiques grecs et restitue notamment à l'Occident le texte original d'Aristote. De 1510 à 1530, la mode des ouvrages grecs s'empare de l'Europe, ainsi que, partiellement, celle de l'hébreu.
À Bâle, Bonifacius Amerbach, dont la presse est au départ financée par Anton Koberger, le puissant libraire de Nuremberg, se spécialise pour sa part dans l'édition des textes soigneusement revus des œuvres des Pères de l'Église. Il dégage les textes authentiques d'innombrables apocryphes et son gendre, Johannes Froben, qui lui succède, est l'éditeur préféré d'Erasme.
Comment, dans ces conditions, le même esprit de critique philologique ne se serait-il pas attaqué à l'Écriture ? Dès le début du xvie siècle, des humanistes entreprennent donc de publier les différentes versions de celle-ci (Psalterium quintuplex de Lefèvre d'Etaples, 1509 ; Nouveau Testament grec d'Érasme, 1516 ; Bible polyglotte d'Alcalà sous la direction du cardinal Ximénès, 1517). Bientôt, le grand maître en ce domaine fut l'imprimeur parisien Robert Estienne.
Dès 1517, Luther affiche ses propositions contre les indulgences à la porte d'une église de Wittenberg et les luttes religieuses commencent. Durant trente ans, les presses allemandes se consacrent uniquement à multiplier affiches, pamphlets ou traités pour ou contre la Réforme. Les différents livres de la Bible traduits par Luther existent en millions d'exemplaires ; cette traduction, dans laquelle sont employées des expressions provenant de différents dialectes, contribue à forger l'unité de la langue allemande, de même qu'en Angleterre le Book of Common Prayer. En France, le livre sert de même à l'hérésie ou à la défense de l'orthodoxie, tandis que l'on cesse à peu près complètement d'imprimer les textes de la spiritualité traditionnelle.
Stimulant en cette époque d'expansion les appétits intellectuels, l'imprimerie multiplie en même temps les traités didactiques. Au service des pouvoirs nationaux qui se renforcent, elle assure la diffusion des actes officiels. Les presses travaillent donc de plus en plus : au xvie siècle, quarante mille éditions sortent de celles de Venise, vingt-cinq mille de celles de Paris, quinze mille de celles de Lyon. En même temps, face au marché international des lettrés, celui du livre latin, les marchés nationaux se développent. Les éditions latines deviennent même minoritaires en France vers 1550, tandis qu'un large public où les femmes et les gens d'épée sont nombreux, mais où l'on rencontre également beaucoup de riches marchands et des gens de robe, apprécie les poésies, les nouvelles, les romans et les livres d'emblèmes dans lesquels le texte explique les allégories imagées et en tire la morale. À cette époque, une société passe du stade de la culture orale, avec tout ce que cela suppose d'éléments subjectifs, à celui de la culture écrite, analytique et génératrice d'abstraction. La presse à imprimer apparaît en outre comme un agent d'unification des langues nationales, de renforcement des sentiments nationaux et des pouvoirs qui incarnent ces sentiments.
Il convient enfin de mettre au crédit non pas tant de l'imprimerie que de la gravure l'essor des sciences descriptives qui caractérise cette période. Pline avait en effet narré comment, de copie en copie, les botanistes grecs avaient défiguré la représentation des plantes, d'où la tentation de classifications basées sur une nomenclature relativement abstraite. Au xvie siècle, peintres et médecins étudient le corps humain et ses proportions, Vésale publie son ouvrage sur l'anatomie De corporis humani fabrica libri septem (1543), herbiers et traités de zoologie se multiplient, notamment à Anvers grâce à Christophe Plantin, et la cartographie moderne prend son essor aux Pays-Bas grâce à Mercator, à Ortelius et à leurs disciples.
La civilisation du livre imprimé
Le temps de la réformation catholique
Pareille mutation ne pouvait aller sans provoquer des contrecoups. En 1539-1543 et 1569-1571, des grèves ont lieu à Paris qui prennent parfois l'allure de crises de surproduction. Après l'euphorie de la Renaissance, l'expansion apparaît de plus en plus freinée. Alertés par les crises de la Réforme, les pouvoirs, le religieux comme le séculier, entreprennent de mettre en tutelle la presse à imprimer.
Pour cela, ils interviennent sur plusieurs plans. La récession, qui tend à s'emparer peu à peu de l'Europe, incite libraires et imprimeurs en place à constituer, dans les plus grands centres, des corporations à tendance malthusienne. S'érigeant en arbitre au milieu des querelles, l'État tend à utiliser les chefs de ces corporations comme agents de transmission de ses ordres. En même temps, il réussit à généraliser, en France, pour toute publication nouvelle, le système du privilège : à savoir que la permission d'imprimer accordée à la suite de l'examen d'un texte par le censeur est assortie d'un monopole concédé pour une durée dépendant du bon vouloir du chancelier, c'est-à-dire du crédit du demandeur auprès du Sceau.
Libraires et imprimeurs n'avaient plus, en pareil climat, qu'à rivaliser de docilité, d'autant plus que l'État était encore à la fois un fournisseur de textes et un client non négligeable depuis qu'il avait pris l'habitude de faire imprimer et diffuser les décisions officielles (système des imprimeurs du Roi). Dans le monde catholique, d'autre part, grâce à la révision par Rome des grands textes liturgiques, au travail d'érudition des philologues, à la multiplication par le canal des ordres d'une littérature de spiritualité renouvelée, l'Église représentait à la fois un fournisseur de textes et une clientèle d'autant plus importante que les couvents se multipliaient et se constituaient régulièrement des bibliothèques, que les jésuites installaient un réseau de collèges et qu'un peu partout les fidèles réclamaient des livres de piété.
On conçoit dès lors la belle ordonnance et le caractère majestueux de la production imprimée au temps de la Contre-Réforme et de la renaissance catholique. Le livre latin et l'ouvrage de grand format disposent d'une clientèle assurée : pour les couvents, on fait sortir des presses des commentaires de la Bible, des éditions monumentales des œuvres des Pères, des traités de théologie morale ; pour les églises, on imprime des éditions des livres d'autel sans cesse révisées ; aux moniales et aux fidèles s'adressent les petits livres de spiritualité de Benoît de Canfeld, de Louis de Grenade, de sainte Thérèse et bientôt de saint François de Sales, sans compter les pieux ouvrages d'innombrables jésuites : Rodriguez, Busée, Bary... Cette époque est aussi celle d'importantes bibliothèques laïques, possédées par des gens de robe, héritiers de la tradition humaniste devenue avec eux humanisme chrétien. Les cinq colonnes du savoir de ces hommes sont une théologie se référant surtout à la tradition des Pères ; le droit qui se réfère aux textes, romains et canoniques, aux éditions des coutumes et au droit monarchique ; les classiques grecs et latins ; l'histoire, de Comines à de Thou, et les sciences descriptives en attendant l'essor des mathématiques.
En pareille atmosphère l'hétérodoxie ne pouvait laisser que peu de traces imprimées dans le monde catholique : seulement quelques recueils de vers au temps de Théophile, de rares écrits plus ou moins ambigus au temps de François de la Mothe Le Vayer, ce temps où les libertins devenus érudits se réfugient comme Gabriel Naudé dans les bibliothèques où ils renouent avec délice avec la tradition de Pietro Pomponazzi. De plus, les échanges entre « sortes » s'opéraient au sein d'un monde catholique où les grands centres d'édition étaient Anvers, Cologne, Lyon, Paris, Venise et où l'Espagne apparaissait comme un marché. Rejetés vers l'extérieur par ce dynamisme centrifuge, les imprimeurs protestants, hollandais notamment, préparent cependant l'avenir ; ils perfectionnent leur technique et, avec les Elzevier, ils redécouvrent les vertus du livre de poche, cette invention d'Alde. Faute de participer à la manne des publications de l'Église catholique, ils se font, avec l'aide de l'école philologique de l'université de Leyde, éditeurs des œuvres de l'Antiquité classique. Surtout, mesurant les faiblesses du système policier, ils se préparent à violer systématiquement le respect des bienséances commerciales et de la loi du privilège et inondent bientôt l'Europe de contrefaçons, d'excellent aloi, des textes des auteurs récents les plus appréciés.
Absolutisme et récession
La crise qu'une récession croissante ne pouvait manquer de provoquer éclata avec d'autant plus de violence dans les milieux de la librairie que la guerre de Trente Ans priva d'un marché considérable les métiers du livre dont le principal foyer d'échange était constitué par les foires de Francfort.
Resserrant les « courroies de contrôle » à mesure que la récession s'affirmait, le chancelier Séguier, soutenu par Richelieu, avait entrepris d'imposer dans les faits le contrôle d'une censure efficace ; en même temps, il participait à la fondation de l'Académie française (en son esprit, pépinière de censeurs aux ordres du pouvoir) et à la création de l'Imprimerie royale dont il envisagea sans doute un moment de faire une manufacture ayant le monopole de certaines impressions. Cet effort se heurta à de violentes réactions des imprimeurs, qui devenaient de plus en plus nombreux et manquaient de plus en plus de travail ; en 1643-1644, lors de la poussée de fièvre janséniste, on recommença à imprimer et à vendre des livres librement, et la Fronde ne fit que consacrer un état de fait qui se prolongea au moins jusqu'en 1661.
La situation est alors d'autant plus grave que les libraires flamands, puis hollandais et genevois, obligés de se détourner du marché allemand, entreprennent la conquête de débouchés en France et jusqu'en Italie et en Espagne. Il en résulte une véritable guerre de contrefaçons entre centres et de nombreuses faillites. Remplaçant en fait le vieux Séguier en ce domaine, Colbert se devait d'imposer là encore la « maxime de l'ordre » ; il le fit brutalement en interdisant de procéder à la nomination de nouveaux maîtres imprimeurs à Paris jusqu'à ce que le nombre des ateliers soit réduit à trente-six. En 1686, ses successeurs adoptèrent les mêmes mesures pour la province. En outre, les privilèges, par le jeu des continuations, devinrent la propriété perpétuelle de ceux qui les avaient obtenus, et, surtout, le système des privilèges fut étendu à tous les textes à mettre sous presse, non seulement nouveaux mais anciens, à quelques exceptions près ; le tout déboucha, en 1701, sur une enquête et sur la création à la Chancellerie d'un Bureau de la librairie dont la direction fut confiée à l'abbé Bignon, le propre neveu du chancelier Pontchartrain.
Désormais, l'État, en théorie devenu tout-puissant, accorde des privilèges aux Parisiens plus proches du pouvoir et à qui revient la charge parfois onéreuse de « lancer » les textes nouveaux. La réaction ne se fit pas attendre : la province s'allia avec la Hollande pour couvrir la France de contrefaçons. De plus, les persécutions contre les protestants avaient incité de nombreux pasteurs et des lettrés à se réfugier en ce pays qui devint le foyer d'une propagande dont la cible principale était l'absolutisme royal.
Tous ces faits contribuent à expliquer la nature de la production imprimée de la seconde partie du xviie siècle et du début du xviiie. Désormais, on préfère les petits formats aux grands, de même que la raison à l'esprit de référence, et les langues nationales au latin. Statistiquement, l'apogée de la Contre-Réforme est marqué, aux alentours des années 1680, par la multiplication de livrets de toutes sortes ; en fait, il s'agit de plus en plus d'une littérature didactique et hiérarchisée, d'abrégés inspirés d'ouvrages publiés auparavant, donc d'un mouvement qui se dépouille progressivement de tout dynamisme et de toute spontanéité. De même, dans le domaine de la philosophie et des lettres, les libraires et les imprimeurs, en quête de textes nouveaux, s'efforcent de susciter des traités et des romans alléchants en payant les auteurs. Et, fait caractéristique de cette société qui se cherche, au goût pour la comédie psychologique du temps de Molière succède la mode de la comédie de mœurs.
La situation est la même un peu partout en Europe à la fin du xviie siècle, tandis que la librairie traverse une crise extrêmement grave. Au début du xviiie siècle, pourtant, les entreprises qui ont survécu profitent de cette concentration forcée pour retrouver dynamisme et richesse.
Le temps des philosophes
Le xviiie siècle est, en matière de librairie, le temps des règlements. En France, depuis 1701 au moins, le Bureau de la librairie enregistre en théorie tout ce qui s'imprime. Aux uns, il décerne un privilège général, valable pour toute la France ; pour les ouvrages qui ne peuvent faire l'objet d'un seul monopole sur tout le territoire, il accorde un privilège local ; pour ceux dont la diffusion est très générale, une permission du Sceau, sans privilège. Les frontières sont gardées de plus en plus sévèrement. Pourtant, cette époque est déjà celle des compromis et des négociations ; on prend ainsi l'habitude de faire inscrire sur un registre, dit des permissions tacites, la permission de fait d'imprimer certains ouvrages sous le couvert de fausses adresses, afin de sauvegarder les apparences, ce qui n'empêche au reste nullement que prolifèrent autour de la France des centres très actifs d'impressions clandestines (Pays-Bas, Liège, Bouillon, Neufchâtel, etc.). On conçoit ainsi ce que put être en pareil climat l'action de Malesherbes, directeur de la Librairie dans le second tiers du siècle, ami des philosophes, qui s'efforçait de faire tolérer l'impression ou la diffusion de leurs œuvres, dès lors que celles-ci ne comportaient pas trop d'attaques directes contre les personnes et l'ordre établi.
En outre, à cette époque, les privilèges sont renouvelés régulièrement et restent parfois durant plus d'un siècle aux mains d'une même famille de licraires ; celle-ci réalise souvent des bénéfices importants, tandis que les descendants de l'auteur, à qui l'œuvre en question a été achetée, se trouvent dans la misère. Et, ces privilèges étant normalement accordés à des éditeurs de la capitale, les provinciaux en sont réduits à imprimer des actes administratifs ou des travaux de ville.
Cette situation était née du climat de récession du début du siècle. Au temps de Law, les libraires du continent, pour pallier le manque de capitaux, avaient souvent utilisé le système des souscriptions. Peu à peu, les métiers du livre reprirent vigueur et, en France, la concentration imposée par l'État favorisa l'apparition d'une oligarchie de grands libraires et d'imprimeurs possédant des ateliers relativement importants. Mais, du même coup, les avantages concédés aux Parisiens par le système existant soulevaient d'âpres polémiques dans lesquelles intervint notamment Diderot. Finalement, une série d'arrêts imposa, en 1777, une révision de la législation : un auteur qui prendra lui-même son privilège et vendra son œuvre chez lui pourra transmettre à ses héritiers un droit perpétuel sur cette œuvre. Mais la cession du manuscrit à un tiers rendra cette propriété viagère : le privilège accordé au libraire ou par lui acheté ne durant que la vie de l'auteur, et, dans tous les cas, un minimum de dix ans.
On peut observer un peu partout un mouvement analogue. Ainsi en Allemagne, où le prix des livres augmente considérablement au long du siècle, où les contrefaçons se multiplient et où la censure politique se développe, Lessing fonde, avec un groupe d'écrivains, une maison coopérative d'édition, et un libraire de Leipzig, Reich, tente d'imposer une remise en ordre. Puis, à la fin du siècle, les États allemands, suivant l'exemple de la Prusse, entreprennent de protéger le droit des auteurs, tandis que la création à Leipzig d'une Bourse du livre contribue à rationaliser l'édition.
À cette époque, les registres de la librairie française recensent à peu près quarante-cinq mille ouvrages ayant fait l'objet d'une autorisation d'imprimer. Au total, la production ne semble pas plus importante que celle du siècle précédent : quelques centaines, voire un millier de titres chaque année, cela sans doute jusque vers 1770. Il est en revanche probable que, au cours des dernières décennies du siècle, il se produit une notable augmentation. Des premiers travaux effectués pour analyser la nature des livres ainsi imprimés, il ressort que, en 1724-1727, plus d'un tiers des ouvrages concerne la religion ; qu'il s'agisse de théologie ou de dévotion, on est frappé par l'« extraordinaire profondeur de l'imprégnation janséniste ». De même, le droit est largement représenté. L'histoire est désormais à dominante profane, à prépondérance moderne et orientée vers les pays d'Europe, le reste du monde faisant avant tout l'objet de récits de voyages. Cependant, les sciences et arts et belles-lettres représentent près de la moitié du total. Au long du siècle, le domaine religieux est en considérable recul ; les belles-lettres maintiennent leurs positions, la part du roman s'élargissant ; le droit s'enrichit des développements de la jurisprudence ; l'histoire perd de plus en plus son caractère religieux ; les sciences et les arts, enfin, prennent la place de la religion, non point en faveur des arts mécaniques, mais au bénéfice de la politique et, pour le milieu du siècle, des sciences.
À quel public s'adressaient ces livres ? Il faut mettre à part une certaine forme de livres de luxe, classiques ou plus encore galants ou légers, illustrés par les artistes à la mode, volontiers somptueusement reliés, qui sont destinés à un public d'amateurs où les enrichis de fraîche date sont nombreux. En fait, en Angleterre comme en France et en Allemagne, un certain goût pour la lecture se répand au sein d'une bourgeoisie plus nombreuse et active et, à mesure que l'alphabétisation progresse, peut-être aussi parmi d'autres catégories sociales. Caractéristique est, de ce point de vue, l'apparition de cercles de lecture ou de bibliothèques publiques, de même que la vogue des ouvrages didactiques et des dictionnaires. En Allemagne, plus encore qu'en France, se développe toute une littérature de petits livres littéraires de poche et d'almanachs. Ainsi s'explique peut-être aussi la faveur dont jouissent les romans. Un peu partout aussi, prospère une littérature de colportage qui correspond souvent à la diffusion par l'imprimé de textes originairement de caractère plus ou moins oral, destinés à nourrir, sous une forme imprimée, les rêves d'un public d'alphabétisation récente.
Si l'on se rappelle que, dans la seconde partie du xviiie siècle, des progrès techniques s'amorcèrent, qui devaient trouver toutes leurs conséquences au siècle suivant, on peut estimer qu'intervient alors une mutation intellectuelle ; la presse à imprimer y contribua et joua ainsi un rôle important dans la préparation et le déroulement de la Révolution.
Le livre à l'ère industrielle
De la Révolution à 1870
Les révolutionnaires étaient attachés de façon quasi mystique au principe de la liberté de la presse. Dès l'origine, le principe même de la censure préventive fut mis en cause et l'article 19 de la Déclaration des droits de l'homme spécifia que « la libre communication de la pensée et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas prévus par la loi. » Cependant, la Révolution ne réussit pas à faire appliquer ces principes, qui ne trouvèrent leur accomplissement que sous la IIIe République, par la loi du 29 juillet 1881.
Passée la tourmente révolutionnaire, cependant, deux groupes demeurent intéressés par le livre : d'une part, le notable, grand propriétaire, qui passe les étés dans ses terres et l'hiver dans son hôtel en ville et, d'autre part, la petite et moyenne bourgeoisie, avide de s'instruire et de s'élever dans la hiérarchie sociale. Pour satisfaire les premiers, les libraires de la Restauration multiplient les éditions monumentales des œuvres complètes de Voltaire, Rousseau ou Buffon et, un peu plus tard, des recueils de Mémoires. À l'intention des seconds, en un temps où le livre demeure un objet coûteux, il se crée une foule de cabinets de lecture où l'on vient lire de minces ouvrages à tomaisons, tirés en petit nombre, dont plusieurs personnes se partagent l'usage. Mais, en 1818, avec la publication des Méditations de Lamartine, à mesure que le marché des œuvres complètes se trouve saturé, les éditeurs se lancent dans la publication des nouveautés composées par les écrivains de l'école romantique. Les éditeurs eurent à faire face toutefois aux exigences des auteurs qui se savaient indispensables et ils faisaient difficilement leurs frais en raison de la faiblesse des tirages. Celle-ci s'expliquait, certes, par le prix élevé des livres et par la structure sociale, mais aussi par les contrefaçons suisses et surtout belges ; n'ayant ni droit d'auteur ni frais de correction, ni dépenses de mise en pages à payer, les contrefacteurs étaient assurés du succès en l'absence de tout accord international et d'une police suffisante en France ; ainsi, le plus gros tirage du début du règne de Louis-Philippe, les Paroles d'un croyant de Lamennais, fut répandu en France à plus de cent mille exemplaires, mais l'éditeur Renduel ne perçut aucun droit sur une bonne partie d'entre eux, contrefaçons de Louvain, Bruxelles, Genève ou Lausanne.
Il apparut donc indispensable aux éditeurs d'élargir leur public. Pour cela, ils s'efforcèrent de rendre le livre plus attrayant par le recours à l'illustration, de stimuler la clientèle en publiant des ouvrages coûteux par livraisons ; mais surtout certains d'entre eux réussirent à abaisser notablement les prix. Tel fut le cas de Gervais Charpentier qui parvint à écouler en quelques années quatre cents ouvrages à un prix quatre fois inférieur à celui pratiqué ordinairement en vendant au prix coûtant le premier tirage et en bloquant ses bénéfices sur les réimpressions qu'il faisait exécuter grâce au cliché de la composition primitive. Plus tard, sous le second Empire, Michel Lévy pratiquait encore des méthodes analogues.
De 1870 à 1940
Après 1870, en France, l'édition apparaît un peu partout pleine de dynamisme et l'avenir du livre brillant. Si l'on en croit la Bibliographie de la France, le nombre des titres publiés annuellement passe brutalement, en 1856, de huit mille à douze mille, pour atteindre, en 1889, le maximum de quatorze mille huit cent quarante-neuf qui n'a été dépassé que soixante ans plus tard. Durant cette période, le nombre des titres continue, certes, à s'élever en d'autres pays, mais on peut se demander si le livre apparaît adapté aux temps nouveaux.
Depuis le début du xixe siècle, ou presque, on a assisté, en effet, à travers l'Europe à une généralisation de l' alphabétisation. En même temps, le développement des moyens de communication a accéléré la transmission des informations, et une partie importante des populations rurales de l'Europe a émigré dans les villes, loin de ses cadres traditionnels, et s'est prolétarisée. Nouvellement alphabétisées, ces masses voient dans l'instruction un moyen de défense et de progrès social. Mais, fortement politisées, ne possédant encore que des connaissances limitées, elles préfèrent le journal au livre, car il est plus accessible et il répond mieux à leurs aspirations. De plus, depuis la révolution opérée par Emile de Girardin, le journal a trouvé des sources de revenus supplémentaires en ayant recours aux petites annonces, et il a réussi, grâce au système du feuilleton, à se réserver la publication du secteur le plus rentable de la production littéraire, celui du roman à succès.
À la fin du xixe siècle et au début du xxe, tandis que le livre doit affronter une grave crise de surproduction, le journal apparaît à son apogée, de nombreux quotidiens, en France et plus encore à l'étranger, atteignant ou dépassant le million. L'essor du cinéma et de la radio après la guerre de 1914-1918, celui de la télévision après celle de 1939-1945 semblent faire peser d'autres menaces sur le livre.
On peut estimer cependant que l'époque moderne est propice au livre. Loin de se poser en rivales, les techniques audiovisuelles – notamment à travers les bases de données qui permettent une consultation à distance – incitent souvent à s'adresser à lui, et l'élévation du niveau culturel, conséquence de l'allongement des études, permet d'être optimiste à moyen terme sinon à long terme quant à l'avenir du livre. Cependant, la diffusion du livre impose un effort collectif pour le rendre accessible à tous, et une pédagogie. On l'a compris depuis longtemps dans le monde anglo-saxon, en Scandinavie et dans les pays de l'Est, où existent des réseaux de bibliothèques de prêts qui constituent à elles seules une clientèle non négligeable en même temps qu'elles poussent à la lecture. L'État français ne devrait pas, quant à lui, s'étonner des résultats de la politique de mépris qui a longtemps été la sienne vis-à-vis des bibliothèques, mais remédier à la situation par un effort financier réel.
Vers la mondialisation
Une mondialisation du livre ? Au début des années 1990, l'expression pouvait encore étonner. Certains n'y voyaient que l'amplification d'un cosmopolitisme culturel né en Europe occidentale à la fin du xixe siècle. En réalité, depuis le début de la décennie de 1980, de nouvelles dynamiques étaient à l'œuvre. Désormais, les grands éditeurs ne se contentaient plus de racheter des concurrents modestes. Des maisons aux catalogues importants et prestigieux s'affrontaient ou élaboraient des combinaisons financières complexes qui se prolongeaient en rachats et en fusions. De telles opérations concernèrent, par exemple, Macmillan ou Grolier, le néerlandais Elzevier et le britannique Pearson, et, en France, le Groupe de la Cité, Larousse et Nathan. En même temps, des regroupements entre presse et édition déterminaient un processus de restructuration plus général : le phénomène se développait dans l'ensemble du monde occidental : Mondadori et L'Espresso, Random House et S.I. Newhouse, Murdoch et Collins... Dès le début des années 1990, les responsables de quelques grands groupes industriels et commerciaux à vocation mondiale ont considéré que la diversification multimédia devenait une perspective d'évolution qu'ils ne devaient pas négliger. Des montages parfois périlleux, souvent éphémères, ont remodelé complètement le paysage de l'édition. Dans L'Édition sans éditeurs, André Schiffrin relate comment Newhouse, après avoir racheté la société Random House à R.C.A., la revendit avant la fin des années 1990 à Bertelsmann. L'édification de l'empire Vivendi dans le champ de l'édition (V.U.P., Vivendi Universal Publishing) allait s'inscrire dans une pseudo-logique économique analogue : on invoque d'abord des économies d'échelle, devenues pourtant improbables depuis les drastiques cures d'amaigrissement que les équipes éditoriales ont connues au cours de la décennie précédente. On imagine aussi un élargissement du marché qui, de national, sera bientôt repoussé jusqu'aux frontières linguistiques, puis, en basculant de l'imprimé dans l'audiovisuel et le multimédia, deviendrait mondial.
Industrie du livre et industrie culturelle
En 1989, dans La Vingt-Cinquième Image, René Bonnell mettait en évidence, surtout pour ce qui concernait le secteur de la télévision généraliste et du cinéma, un risque d'appauvrissement de la production du fait de la mondialisation. En revanche, dans l'édition, les cloisonnements nationaux semblent encore persister. Le phénomène s'expliquerait par des pratiques spécifiques au secteur. Le démarchage des auteurs, la mise au point des contrats, la définition des projets et le travail avec les écrivains sur leur texte, tout cela reste du ressort des services éditoriaux, entités qui sont toujours à visage humain. Dans l'édition littéraire proprement dite, même si V.U.P. et Hachette contrôlent directement une cinquantaine de maisons, les dirigeants de ces groupes n'ont pas encore réussi à obtenir de leurs directeurs littéraires qu'ils coulent toutes leurs collections dans un même moule. Bien mieux, on peut remarquer que, dans la fièvre des faillites, des rachats et des fusions, il n'a toujours pas été possible de restructurer les sociétés de distribution, alors même que la commercialisation pèse toujours pour moitié dans le prix du livre. On ferait un constat voisin en analysant l'organisation du groupe Bertelsmann, dont les associés et filiales se répartissent entre l'Europe, l'Amérique du Nord et du Sud, l'Australie et la Nouvelle-Zélande : chaque entité nationale conserve très largement sa spécificité.
Si l'individualisme est le moteur de l'édition, ne peut-on pour autant imaginer qu'un patrimoine collectif se constitue progressivement à partir d'œuvres littéraires répondant à des critères universels de valeur ? Les principes qui régissent la fondation Nobel semblaient a priori répondre à un tel objectif, mais le simple examen de la liste des « nobélisés » montre que les académiciens suédois n'ont pas toujours réussi à identifier dans une œuvre la « tendance idéaliste » qu'Alfred Nobel souhaitait voir couronner. Par ailleurs, si les ouvrages des « nobélisés » ne laissent pas les éditeurs indifférents, ils n'en deviennent pas nécessairement des best-sellers. Aujourd'hui comme hier, il n'existe encore aucune académie, aucune instance culturelle capable d'établir le palmarès des œuvres appelées à figurer dans un panthéon mondial de l'édition. À l'échelon planétaire, le succès ne se décrète pas.
Des best-sellers mondiaux
Les éditeurs, qui obéissent prosaïquement aux lois du marché et sont attentifs aux goûts du public et aux évolutions des chiffres de vente, travaillent à la constitution d'un corpus, sinon de chefs-d'œuvre, du moins de best-sellers mondiaux. Les États-Unis en demeurent les principaux pourvoyeurs. Les listes des meilleures ventes d'ouvrages de fiction et de non fiction qu'Alice Payne Hackett publie depuis 1945 sont à cet égard édifiantes : depuis le début des années 1960, sauf erreur, tous les romans de la liste sont anglo-saxons. Selon les années, ils ont été, pour 70 ou 80 p. 100 d'entre eux, traduits assez rapidement en français. Dans une seconde catégorie, qui regroupe livres d'art, beaux livres et livres pratiques, livres politiques ou d'actualité, la proportion d'ouvrages qui ont été traduits ne serait plus que de 30 p. 100 environ. Compte tenu du coût d'une traduction, lequel s'ajoute à celui de l'achat des droits, il est évidemment plus prudent de s'intéresser aux valeurs « sûres », c'est-à-dire aux auteurs à succès. Et même s'il n'est pas possible d'en donner la mesure précise, on peut néanmoins affirmer sans risque que ce sont les pays où la production romanesque est le mieux organisée et le lectorat le plus nombreux et le mieux encadré par des dispositifs efficaces de commercialisation – les États anglophones d'abord et, bientôt peut-être, les États hispanophones – qui fournissent ou fourniront l'essentiel des traductions au reste de la planète. Le phénomène Harry Potter constitue une illustration spectaculaire de l'hégémonie actuelle de la langue anglaise. Ainsi, en un seul jour, celui de son lancement le 21 juin 2003, le tome 5 de l'édition anglaise de l'œuvre de J. K. Rowling se sera vendu à sept millions d'exemplaires, soit huit exemplaires à la seconde. En France même, pendant cette période, la version anglaise avait pris la tête des meilleures ventes de la semaine ; l'ouvrage était proposé alors jusque dans les maisons de la presse. Les quatre premiers tomes, traduits en français par Gallimard et repris dans une édition club par France Loisirs, connurent alors un regain exceptionnel de leur vente, prolongée par celle de cassettes vidéo, de DVD et de nombreux produits dérivés. A contrario, dans un champ bien défini comme celui du roman policier, on peut observer que, en dépit de l'émergence depuis trois décennies d'une nouvelle génération d'auteurs français talentueux, plus de la moitié des titres publiés ces dernières années – nouveautés et rééditions – restent anglo-saxons.
Si mondialiser se conjugue à l'anglaise ou à l'américaine dans le secteur de la fiction, il n'en va pas de même dans les autres domaines. Ainsi en France, qu'ils soient politiques, sociaux, économiques ou culturels, les problèmes franco-français restent presque toujours l'apanage d'auteurs français. Même ceux d'entre eux qui fréquentent assidûment les plateaux de télévision parisiens ne se retrouvent guère dans les librairies étrangères. Quelques universitaires anglo-saxons, voire des romanciers, s'intéressent à la France (Robert Darnton, Élisabeth Eisenstein, Theodor Zeldin, Peter Mayle ou Julian Barnes), mais leur notoriété reste relative. En Europe même, sur les quelques centaines de titres français traduits chaque année, 20 p. 100 seulement concerneraient les sciences humaines et les livres pratiques. Et ce pourcentage se rapporte au nombre de titres publiés, non au chiffre des ventes effectives. Aux États-Unis, les universitaires français ne sont plus guère édités que par les presses d'université. Ceux des auteurs français qui avaient réussi à se faire publier dans les grandes maisons américaines comme Pantheon ou Basic Books dans les années 1980 ont pratiquement tous été expulsés des catalogues lors des grands remaniements de la fin du xxe siècle, relatés par André Schiffrin dans L'Édition sans éditeurs.
Enfin, qu'il s'agisse de fiction ou de non-fiction, ce n'est pas parce qu'un ouvrage est traduit en français qu'il devient automatiquement un best-seller. Le cas est même plutôt exceptionnel, y compris dans le domaine du roman policier, et même si le roman a fait l'objet d'une adaptation cinématographique à succès. Dans ce cas, le livre deviendra un quick-seller (quelques milliers d'exemplaires seulement, vendus en trois mois) bien plus souvent qu'un best-seller. Le phénomène Harry Potter contredit cependant cette analyse. En dix ans, de Harry Potter à l'école des sorciers à Harry Potter et les reliques de la mort, la série, de phénomène d'édition est devenue phénomène de société.
De façon plus subreptice s'installent des pratiques inspirées de procédures américaines. Françoise Verny aurait été, dès le milieu des années 1970, l'initiatrice de ces méthodes : flairer les thèmes à la mode, susciter à chaud l'écriture du roman qu'un scandale bien orchestré lancera ensuite. Le phénomène a été mis en évidence, notamment par les travaux de Francine Perceval, Laurence Santantonios et Nathalie Heinich Aujourd'hui, Christine Angot, Michel Houellebecq ou, plus récemment, Catherine Millet montrent que Françoise Verny a fait des émules chez les plus prestigieux éditeur littéraires. Dans un registre voisin, l'autobiographie de star, la biographie historique signée d'un homme politique, écrites en réalité par un nègre (ghost-writer) ou un rédacteur professionnel, se sont également banalisées selon des modèles américains.
Coéditions, coproductions et éditions multilingues
De nouvelles techniques d'édition et de fabrication se sont considérablement développées depuis une trentaine d'années. Elles présentent l'avantage de réduire sensiblement la part des frais fixes dans le coût technique des livres. Utilisée pour le livre d'art à partir des années 1970, la coédition classique avait aidé certaines collections (L'Univers des formes, par exemple) à survivre. Dans les années 1980, Benedikt Taschen et Ludwig Könemann ont révolutionné le marché du livre d'art en publiant avec des tirages importants des ouvrages traduits dans plusieurs langues (parfois plus de vingt) ; ainsi réussissaient-ils à diviser par trois ou par quatre le prix de vente de chaque titre. Ces dernières années, d'autres éditeurs, notamment la maison britannique Phaidon et, en France, Hervé de la Martinière, recourent au même procédé pour éditer et diffuser des livres de photographie en Europe et en Amérique. Notons enfin, sur un plan plus général, que le recours à la technique CTP (computer to plate – réalisation des plaques offset directement à partir de fichiers numériques et non à partir de films) permet maintenant d'obtenir des réductions substantielles sur le prix de revient des livres d'art et des beaux livres. Avec des bonheurs inégaux, coédition, coproduction, simple cession des illustrations concernent également le livre pour la jeunesse et la bande dessinée. Les livres documentaires pour enfants et adolescents ont connu une expansion spectaculaire parce qu'une collaboration étroite s'est instaurée avec les Anglo-Saxons. La Découverte et Les Yeux de la Découverte, chez Gallimard, constituent des exemples d'une réussite qui ne se dément pas sur le plan commercial.
Par ailleurs, les foires internationales, les festivals et les importations d'ouvrages en langues étrangères – pour limitées qu'elles soient quantitativement – déterminent des échanges-adaptations de modèles de collections ou de livres isolés qui progressent discrètement, mais contribuent de façon sans doute décisive à la standardisation de l'édition. Dans le domaine du roman policier, à l'imitation des Américains, les éditeurs français osent maintenant publier, même dans des collections de poche, des livres de plus de 700 pages ; il s'agit aussi bien de traductions intégrales d'auteurs américains naturellement prolixes (James Ellroy) que de romanciers français (Maurice G. Dantec par exemple). À partir de 1978, la firme canadienne Harlequin, par l'entremise de sa filiale française, et dès 1981 Silhouette, créée par J'ai lu-Duo, ont diffusé le roman rose nord-américain dans tout l'espace francophone. C'était, d'une certaine manière, la reprise d'une veine que Max du Veuzit, Delly et Berthe Bernage exploitaient déjà en France dans les années 1930. Mais, cette fois, la procédure de fabrication était industrialisée, et le rythme de production atteignait près de vingt titres par mois. Vingt ans plus tard, bien que francisée et érotisée, cette vague rose a heureusement cessé de progresser. En revanche, on a vu se banaliser le livre pratique illustré de photographies et de dessins pédagogiques, directement inspiré du modèle américain de Time-Life que Robert Laffont avait importé en France dans les années 1970. La liste de ces emprunts-adaptations pourrait être encore allongée. Citons simplement la formule du livre dit « de club », qui est directement copié sur le hard-cover toilé anglo-saxon.
Il y a tout lieu de penser que l'ouverture des frontières européennes va accélérer cette circulation des formes, des modèles de collections et des procédés stéréotypés de rédaction. Certains éditeurs craignent le pire, imaginent que l'européanisation pourrait servir de cheval de Troie à une américanisation généralisée et réclament même une nouvelle législation protectrice (Pascal Fouché, André Schiffrin) ; d'autres (Monique Nemer) croient pouvoir parier sur le professionnalisme des éditeurs français et sur leur capacité à résister aux sirènes de la facilité émanant du modèle américain. Mais, pas plus que les efforts du ministère de la Culture, l'ouverture des frontières n'élargira probablement guère le lectorat français et francophone. Une observation faite sur trente ans montre aussi que, d'une année à l'autre, les Français ne savent toujours pas transformer plus d'une trentaine de titres en best-sellers d'au moins 100 000 exemplaires. L'augmentation très régulière du nombre des titres produits chaque année s'accompagne d'une diminution des tirages moyens dans l'ensemble de l'édition française. Est-ce inquiétant ? On est fort heureusement en train de découvrir que les tirages moyens, voire faibles, peuvent aussi être une preuve de bonne santé. Des maisons de province – Actes Sud notamment – fondent leur succès sur des tirages faibles et une politique d'expansion discrète, patiente mais régulière. Or le catalogue d'Actes Sud repose très largement sur l'exploitation des littératures étrangères, notamment scandinaves (dont les traductions sont abondamment subventionnées par les pays d'origine). D'autres éditeurs plus modestes, tels Éric Naulleau (L'Esprit des péninsules), Viviane Hamy, Anne-Marie Métailié, adoptent une politique analogue de traduction d'œuvres peu connues avec de réels succès, comme l'Art de la joie de Goliarda Sapienza, ou Le vieux qui lisait des romans d'amour, de Luis Sepulveda.
L'augmentation constante du nombre des nouveautés entraîne évidemment un renouvellement de plus en plus rapide des catalogues. Les maisons les plus prestigieuses ne sont plus toujours capables de maintenir leurs meilleurs auteurs à la disposition du public. Mais – ce qui est peut-être plus grave – les grands éditeurs donnent aussi l'impression d'être incapables de renouveler leur fonds.
Par ailleurs, du fait de cette inflation, la marge bénéficiaire de chaque titre tend à décroître, mais il y a beau temps que les éditeurs, même les plus importants, ont appris à se contenter de taux de marge modestes. La mondialisation de l'économie représente peut-être une menace pour l'identité et les valeurs culturelles en général ; c'est l'une des thèses défendues par Joseph E. Stiglitz. Dans le domaine de l'édition, en revanche, il reste permis de penser que la mondialisation « limitée » évoquée plus haut pourrait déterminer la poursuite de l'expansion, sans conduire pour autant à l'Eldorado. Mais, de toute façon, l'âge d'or n'est qu'une invention un peu facile des historiens du livre, nostalgiques par profession.
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Écrit par
- Jacques-Alexandre BRETON : professeur de communication à l'université de Nantes, ancien directeur du département d'information et de communication de l'I.U.T. de Nantes
- Henri-Jean MARTIN : professeur émérite à l'École nationale des chartes, directeur d'études à la IVe section de l'École pratique des hautes études
- Jean TOULET : Conservateur à la Bibliothèque nationale
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