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TYPOGRAPHIE

Crispation idéologique et perpétuation du modernisme

Dès le début des années 1930, les détracteurs du modernisme s'emploient à déconsidérer l'« affreux cubisme » qui, des arts plastiques à la typographie, défigure selon eux l'esprit national. En France, Paul Iribe pourfend les tenants du « cube Europe » et prône le retour à l'arabesque. En Allemagne, la montée du nazisme s'accompagne de la stigmatisation de l'« art dégénéré » et de toutes ses applications. Les caractères romains doivent s'effacer devant l'écriture gothique. La fermeture du Bauhaus prélude à l'exil de nombreux créateurs, dont Moholy-Nagy et Herbert Bayer (1900-1985) qui vont perpétuer la leçon de l'école à Chicago à partir de 1938. Jan Tschichold (1902-1974), contraint de se réfugier en Suisse, renie la Nouvelle typographie à partir de 1937, après avoir « découvert des parallèles très choquants entre [celle-ci] et le national-socialisme », c'est-à-dire une vision totalitaire et discriminante du monde.

Pour satisfaire à leurs principes de conquête mondiale, et sans plus se préoccuper de questions nationales, les nazis décrètent l'abolition des caractères gothiques en janvier 1941, au motif qu'ils seraient d'« origine juive ». L'alphabet romain est, paradoxalement, proclamé « écriture normale allemande ».

Cependant, les écoles suisses, renforcées par l'apport des réfugiés allemands, perpétuent la leçon de la Nouvelle typographie. À Zurich, Ernst Keller (1891-1968), et à Bâle, Emil Ruder (1914-1970), mettent au point une méthodologie fondée sur le gabarit modulaire – la systématisation du blanc insufflant un rythme soutenu à la page – et sur l'emploi exclusif de caractères géométriques sans empattement. Cette méthodologie s'impose dans la communication visuelle et donne naissance au « style typographique international », ou style suisse. Directement inspirés par ces préceptes, Edouard Hoffmann et Max Miedinger (1910-1980) publient le caractère Neue Haas Grotesk en 1954 (rebaptisé Helvetica en 1960), et Adrian Frutiger (1928-2015), l'Univers en 1956, en une série de vingt et une déclinaisons spécialement conçues pour la photocomposition.

Le style suisse apporte des réponses efficaces à la demande croissante d'une typographie intégrée aux préoccupations du design. Il est soutenu par l'école d'Ulm, fondée en 1953 par Max Bill (1908-1994), et par la revue Graphisme actuel, créée en 1958. De jeunes graphistes suisses popularisent dans le monde les nouveaux types qui en résultent, les bouleversements technologiques des années 1950-1960 leur donnant toute opportunité de les expérimenter.

Aux États-Unis, grâce à l'enseignement des créateurs immigrés – Albers, Bayer, Sutnar, etc. –, les graphistes et typographes ont intégré les leçons du modernisme. Ainsi, à partir de 1956, Paul Rand (1914-1996), responsable de la ligne graphique d'IBM, réalise un immense travail d'identité à partir d'un logotype unificateur, dessiné en City, caractère créé par Georg Trump (1896-1985) en 1930. Une des plus importantes agences de design graphique américaines, Chermayeff & Geismar Associates, fondée en 1957, développe des identités typographiques notables pour la Chase Manhattan Bank (1959) ou pour Mobil Oil (1964-1965).

En Italie, une voie propre au modernisme se constitue autour de Giovanni Pintori (1912-1998), directeur du service design graphique d'Olivetti de 1950 à 1967. Une pléiade de graphistes, comme Egidio Bonfante (1922-2004), Franco Bassi, Leo Lionni (1910-1999), participe à l'élaboration de l'identité de l'entreprise, bâtie sur la création de plusieurs alphabets de machine à écrire et pour lesquels œuvre notamment Cassandre (Nuova Pica et Graphika 81). À la fonderie Nebiolo, le directeur artistique[...]

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Écrit par

  • : historien du graphisme et de la typographie, diplômé en histoire de l'École des hautes études en sciences sociales, Paris

Classification

Pour citer cet article

Michel WLASSIKOFF. TYPOGRAPHIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Matrice de l'appareil typographique Garamond - crédits : Connaissances des Arts/ St-Genès/ AKG-images

Matrice de l'appareil typographique Garamond

Autres références

  • ABSTRAITS DE HANOVRE

    • Écrit par Isabelle EWIG
    • 2 598 mots
    • 1 média
    ...– cartes de membre, cartons d'invitation, papier à lettres, enveloppes, etc. –, tout en mettant leur savoir-faire au service de diverses entreprises. Schwitters invita les deux membres les plus actifs dans ce domaine, Domela et Vordemberge-Gildewart, à prendre part à la fondation, en 1928, du Ring neuer...
  • AFFICHE

    • Écrit par Michel WLASSIKOFF
    • 6 817 mots
    • 12 médias
    ...Le nombre d'ateliers, à Paris, passe de trente-six à la veille de la Révolution à deux cents en 1790, qui réalisent périodiques, pamphlets et affiches. Ces dernières, composées pour la plupart en alphabets Baskerville ou Didot, dont la rigueur s'accorde aux principes du temps, véhiculent devises et slogans,...
  • AICHER OTL (1922-1991)

    • Écrit par Axelle FARIAT
    • 649 mots

    Otl Aicher est une figure emblématique du design allemand qui naît au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, notamment dans le cadre de l’école d’Ulm.

    Né en 1922 à Ulm, Otto Aicher dit Otl, rejette la doctrine nazie. Il se lie avec la famille Scholl (Hans et Sophie Scholl vont fonder le groupe...

  • APELOIG PHILIPPE (1962- )

    • Écrit par Michel WLASSIKOFF
    • 1 040 mots

    Philippe Apeloig, né en 1962 à Paris, est un des auteurs les plus remarquables dans le domaine du graphisme en France. C'est également un typographe de premier plan : ses caractères qui contribuent à singulariser ses créations – affiches ou identités visuelles – sont désormais diffusés à l’échelle...

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Voir aussi