Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RÉELS NOMBRES

Nombres et analyse

Rôle des fonctions

Le langage des proportions, qui fait intervenir quatre éléments ou grandeurs, n'est guère propice à l'idée fonctionnelle, c'est-à-dire à la correspondance entre un élément et un autre. Aussi, en dehors des tables numériques à deux entrées, constate-t-on l'absence de représentations graphiques des variations de phénomène physique. Si l'on connaît un manuscrit arabe du xie siècle représentant la variation de la latitude des planètes en fonction de leur longitude, c'est à Nicolas Oresme (1325-1382) que l'on doit une représentation des variations en latitude (notre ordonnée) et longitude (notre abscisse). C'est une étape essentielle dans la compréhension du champ numérique, car elle assimile un point sur une droite à une raison, et ce bien avant Bombelli ou Descartes. Cette assimilation n'est pas « naïve », en ce sens qu'elle n'évacue pas la théorie des proportions par simple transfert analogique des propriétés des nombres entiers aux fractions, puis aux raisons quelconques, comme ce fut le cas dans le développement de l'algèbre polynomiale. En outre, on ne peut pas assimiler cette démarche à une géométrisation : le concept fonctionnel porte au-delà.

Ainsi, Oresme définit une fonction affine (qualitas uniformiter difformis) au moyen d'une proportion qu'il exprime littéralement et que nous exprimerons en termes modernes, pour des points x1, x2, x3 distincts mais quelconques :

Oresme montre que la représentation graphique d'une telle fonction réalise un trapèze ABCD ; il souligne aussitôt qu'il y a équivalence entre cette représentation en trapèze et la définition d'une fonction affine. Il en déduit qu'un changement d'échelle, c'est-à-dire un changement d'unité, donc un changement des raisons générant les points x1, x2, x3 tout comme les points f(x1), f(x2), f(x3), ne modifie en rien la représentation en trapèze. L'invariance de la forme géométrique, conçue comme une aire car le calcul intégral est sous-jacent, permet une unité arbitraire, tant pour les abscisses que pour les ordonnées ; en tant que telle, elle permet d'échapper aux limites des raisons. Du coup, des propriétés fonctionnelles vont immédiatement avoir une interprétation numérique.

Il ne faut pas croire, pourtant, que cette manipulation des proportions et des raisons soit si inadéquate au développement d'une physique mathématique. On peut soutenir que les raisons, qui réalisent une comparaison, ont une interprétation physique plus naturelle qu'un modèle abstrait, quoique universel, des nombres. Prenons l'exemple de la loi de la chute des corps pesants, magistralement établie par Galilée en 1638 au terme d'une analyse mathématique déductive confirmée par l'expérience (Discours sur deux nouvelles sciences). Il faut montrer que le mouvement suivi par un corps pesant en chute libre est uniformément accéléré, c'est-à-dire que la vitesse suit les variations d'une fonction affine. Si tel est le cas, prenant une unié de temps t arbitraire, et des multiples entiers successifs de cette unité de temps, Galilée démontre mathématiquement que, si x(t) est la distance parcourue au temps t par le corps (lâché sans vitesse initiale au temps t = 0), on a la proportion :

L'unité de temps est mesurée expérimentalement par un volume d'eau constant s'écoulant d'un réservoir ; le membre de gauche est la raison de l'accroissement de la distance parcourue d'une unité de temps à l'autre, le nombre de droite est la raison, de nombre à nombre, de deux entiers impairs successifs. Ainsi, l'aspect continu du mouvement uniformément accéléré a été réduit à du discontinu, du discret, grâce à la manipulation des proportions et à l'arbitraire de l'unité de temps. La vérification expérimentale confirme cette proportion et[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales

Classification

Pour citer cet article

Jean DHOMBRES. RÉELS NOMBRES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • PRIX ABEL 2016

    • Écrit par Yves GAUTIER
    • 1 168 mots
    • 2 médias
    L’équation d’une courbe elliptique peut être mise sous une forme simple : y2 = x3 + ax2 + bx + c, où a, b et c sont des réels.
  • ANALYSE MATHÉMATIQUE

    • Écrit par Jean DIEUDONNÉ
    • 8 527 mots
    ...À cette occasion, Bolzano et Cauchy dégagent le critère fondamental (dit «  critère de Cauchy ») d'existence de la limite d'une suite (un) de nombres réels : pour tout ε > 0, il existe un entier n0 tel que, si m et n sont tous deux au moins égaux à n0, on a |umun| ≤ ε (autrement dit, à partir...
  • BOLZANO BERNARD (1781-1848)

    • Écrit par Jan SEBESTIK
    • 3 609 mots
    Lapartie la plus remarquable de la Reine Zahlenlehre traite des nombres réels (« grandeurs mesurables » selon la terminologie de Bolzano). Bolzano commence par définir les « expressions numériques infinies » (utilisées par Euler) qu'on peut interpréter, avec B. van Rootselaar, comme suites des résultats...
  • CALCUL INFINITÉSIMAL - Calcul à une variable

    • Écrit par Roger GODEMENT
    • 10 932 mots
    • 6 médias
    Nous désignerons par R l'ensemble des nombres réels  ; il nous suffira de savoir qu'un nombre réel est un développement décimal illimité précédé d'un signe (qu'on omet s'il s'agit du signe +), par exemple le nombre − 3,141 59. ... ou bien le nombre 1 = 1,000 0.. ... = 0,999 99. ..., et que...
  • Afficher les 21 références

Voir aussi