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CALCUL INFINITÉSIMAL Calcul à une variable

Créée au xviie siècle par Newton, Leibniz et leurs prédécesseurs immédiats, transformée au xviiie, par Euler, en un prodigieux instrument de calcul, débarrassée, sous la Restauration, de sa métaphysique par le baron Cauchy, l'analyse infinitésimale a, depuis longtemps, atteint un degré de perfection tel qu'il est devenu possible d'en exposer l'essentiel en moins d'une dizaine de pages. C'est ce que nous allons essayer de faire, en renvoyant le lecteur à l'article qui précède pour des considérations historiques moins schématiques, et en nous plaçant ici au point de vue le plus « unidimensionnel » possible. Le lecteur qui désirerait un exposé plus philosophique et plus historique ne saurait mieux faire que de consulter l'ouvrage classique d'Otto Toeplitz. On n'a voulu, ici, exposer que les résultats les plus importants et les plus simples de la théorie classique à une variable, en s'efforçant de tout démontrer, et en ne demandant du lecteur que les connaissances les plus élémentaires sur les inégalités entre nombres décimaux, plus tout de même, cela va sans dire, une certaine habitude des raisonnements mathématiques.

Notion de borne supérieure

Nous désignerons par R l'ensemble des nombres réels  ; il nous suffira de savoir qu'un nombre réel est un développement décimal illimité précédé d'un signe (qu'on omet s'il s'agit du signe +), par exemple le nombre − 3,141 59. ... ou bien le nombre 1 = 1,000 0.. ... = 0,999 99. ..., et que l'on peut effectuer sur ces nombres des opérations algébriques que tout le monde connaît. On peut aussi comparer deux nombres réelsx et y, autrement dit donner un sens à la relation x < y (qui exclut, notons-le, l'égalité x = y). On peut, à partir de là, définir des intervalles de plusieurs natures ; par exemple, si a et b sont deux nombres réels donnés, on définit quatre intervalles dont a et b sont les extrémités, et qui ne diffèrent entre eux que dans la mesure où ils contiennent, ou non, leurs extrémités : l'intervalle[a, b]est l'ensemble des nombres x tels que a ≤ x ≤ b, l'intervalle[a, b[ est formé des x tels que a  x < b, etc. Les intervalles de la forme[a, b]sont dits compacts, et les intervalles de la forme ]a, b[ sont dits ouverts.

Considérons maintenant un ensemble E de nombres réels. On dit qu'il est borné supérieurement s'il existe un nombre réel M tel que l'on ait x ≤ M pour tout x ∈ E (rappelons que cette notation signifie que le nombre x appartient à E, ou est un élément de E), et borné inférieurement s'il existe un nombre m tel que l'on ait m ≤ x pour tout x ∈ E. Si E est borné supérieurement et inférieurement (c'est-à-dire s'il existe un intervalle compact qui contient E), on dit que E est borné tout court. Par exemple, l'ensemble N des entiers naturels (ses éléments sont 0, 1, 2, ...) est borné inférieurement, mais non supérieurement, tandis que l'ensemble des nombres rationnels x tels que x3 < 2 est borné supérieurement (en effet x3 < 2 implique x3 ≤ 8 = 23, d'où x ≤ 2, comme on le voit facilement).

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Soit E un ensemble borné supérieurement, et soit M un nombre tel que x ≤ M pour tout x ∈ E. S'il existe un nombre M′ < M tel que l'on ait aussi x ≤ M′ pour tout x ∈ E, on obtient des informations plus précises sur les éléments de E en écrivant qu'ils sont tous inférieurs à M′, qu'en écrivant qu'ils sont tous inférieurs à M (exemple concret : savoir que tout homme vit au plus 500 ans est mieux que rien, mais il vaut mieux savoir que tout le monde meurt avant 200 ans). Pour obtenir, de ce point de vue, les informations les plus précises possibles sur E, on est donc amené à choisir le nombre M aussi petit que possible, d'où la définition suivante : on dit que M est la borne supérieure de E si x ≤ M pour tout x ∈ E, et si, de plus, il n'existe aucun nombre M′ < M possédant la première propriété, ou encore si, pour tout M′ < M, il y a au moins un x ∈ E tel que M′ < x ≤ M. Par exemple, la borne supérieure de l'intervalle [0, 1[ est le nombre 1 : on a x ≤ 1 dès que 0 ≤ x < 1, et, pour tout M′ < 1, il y a des nombres x tels que l'on ait à la fois 0 ≤ x < 1 et M′ < x. On désigne par sup(E) la borne supérieure d'un ensemble E de nombres réels, et par inf(E) sa borne inférieure, définie de façon analogue en renversant les inégalités.

Théorème 1. Tout ensemble non vide borné supérieurement de nombres réels possède une borne supérieure.

La démonstration très simple de ce théorème d'existence (il ne suffit pas de parler d'un objet possédant des propriétés données pour que l'objet en question existe) procède comme suit. Supposons, pour fixer les idées, que l'ensemble E considéré soit contenu dans l'intervalle [0, 1[ ; on notera 0, x1x2x3... le développement décimal illimité de tout x ∈ E, de sorte que les chiffres xk sont des entiers compris entre 0 et 9. Nous allons construire les décimales successives a1, a2, ... de la borne supérieure cherchée a. On prend pour a1 la plus grande valeur prise par la décimale x1 de x lorsque x décrit E (autrement dit : on a x1 ≤ a1 pour tout x ∈ E, et il existe un x ∈ E tel que x1 = a1) ; soit alors E1 l'ensemble des x ∈ E tels que x1 = a1 ; on prend pour a2 la plus grande valeur prise par la décimale x2 lorsque x décrit E1  ; soit alors E2 l'ensemble des x ∈ E1 tels que x2 = a2 (c'est-à-dire des x ∈ E dont les deux premières décimales sont a1 et a2) ; on prend pour a3 la plus grande valeur prise par x3 lorsque x décrit E2, et ainsi de suite indéfiniment. Considérons alors le nombre a = 0, a1a2a3... ainsi construit. On a la relation x ≤ a pour tout x ∈ E, car si l'on a x1 = a1, ..., xp = ap (c'est-à-dire si x appartient à l'ensemble Ep construit plus haut), on a xp+1 ≤ ap+1 par définition même de ap+1 ; on aboutit bien ainsi à la règle classique pour comparer deux développements décimaux. De plus, pour tout entier p, il y a effectivement des x ∈ E tels que l'on ait x1 = a1, ..., xp = ap, et donc a − 10-p ≤ x ≤ a  ; comme il existe, pour tout M′ < a, un entier p tel que M′ < a − 10-p, il existe donc a fortiori un x ∈ E tel que M′ < x.

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Le théorème 1 et des énoncés analogues expriment toute la « métaphysique » du calcul infinitésimal, à savoir l'existence d'un nombre réel possédant un développement décimal arbitrairement donné. Toutes ces constructions s'écrouleraient si l'on ne connaissait que les nombres rationnels, car la borne supérieure d'un ensemble de nombres rationnels (par exemple de l'ensemble des x rationnels tels que x2 < 2) peut fort bien être irrationnelle (dans l'exemple considéré, c'est le nombre √2).

Pour les applications à la théorie de l'intégration, nous aurons besoin d'un autre résultat, plus élémentaire.

Théorème 2. Soit A et B deux ensembles non vides de nombres réels, et supposons x ≤ y pour tout x ∈ A et tout y ∈ B. Alors A est borné supérieurement, B borné inférieurement, et l'on a sup(A) ≤ inf(B). Pour que sup(A) = inf(B), il faut et il suffit que, pour tout entier p, il existe un x ∈ A et un y ∈ B tels que l'on ait y − x ≤ 10-p.

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Comme B est non vide, il existe des nombres qui appartiennent à B, et qui par suite majorent tout x ∈ A : par suite A est borné supérieurement. A n'étant pas vide, le même raisonnement montre que B est borné inférieurement. Si y ∈ B, on a x ≤ y pour tout x ∈ A, et donc sup(A)≤ y, puisque, par définition, sup A est le plus petit nombre qui dépasse tous les x ∈ A. Mais, comme sup(A) est inférieur à tous les y ∈ B, on en conclut, par un argument analogue, que sup(A) ≤ inf(B). Pour tout entier p il y a un x ∈ A et un y ∈ B tels que l'on ait :

d'où :
et par suite y − x ≤ 10-p si inf(B) = sup(A). Inversement, si l'on peut, pour tout p, trouver un x ∈ A et un y ∈ B tels que y − x ≤ 10-p, alors le fait que l'on a x ≤ sup(A) ≤ inf (B) ≤ y montre que inf(B) − sup(A) ≤ 10-p ; cela étant vrai pour tout p, il s'ensuit que sup(A) = inf(B).

La notion de borne supérieure d'un ensemble de nombres réels permet de définir celle de borne supérieure (ou de «  maximum ») d'une fonction à valeurs réelles. Soit X un ensemble (par exemple un intervalle dans l'ensemble des nombres réels) et f une fonction définie sur X et à valeurs réelles : f associe donc à chaque x ∈ X un nombre réel f (x) qui, en général, dépend de x. Notons f (X) l'ensemble des nombres réels y tels qu'il existe un x ∈ X tel que y = f (x) (« image » de X par f ), autrement dit l'ensemble des « valeurs » prises par la fonction f (x) lorsque x « décrit » X. On dit que f est bornée supérieurement (resp. inférieurement) sur X si l'ensemble f (X) est borné supérieurement (resp. inférieurement), c'est-à-dire s'il existe un nombre réel a tel que l'on ait f (x) ≤ a (resp. f (x) ≥ a) pour tout x ∈ X. Le nombre sup( f (X)) [resp. inf( f (X))] s'appelle alors la borne supérieure (resp. inférieure) ou le maximum (resp. minimum) de la fonction f sur X, et on le désigne par l'assemblage de lettres et de signes que voici :

On peut donc caractériser le nombre M = sup f (x) par les deux propriétés x ∈ X suivantes : (a) on a f (x) ≤ M pour tout x ∈ X ; (b) pour tout entier p, il existe un x ∈ X tel que M − 10-p < f (x) ≤ M.

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On fera attention au fait qu'il n'existe pas toujours un x ∈ X où l'on a exactement f (x) = M, comme le montre le contre-exemple suivant : on prend pour X l'intervalle [0, 1[, ensemble des x réels tels que 0 ≤ x < 1, et pour f la fonction f (x) = x, dont le graphe est un segment de droite, comme chacun le sait ; on a ici M = 1, mais f (x) < 1 pour tout x ∈ X.

L'existence d'un nombre réel dont on se donne d'avance des approximations à 10-p près pour tout p peut encore se traduire par le résultat suivant (qui nous sera utile plus loin), habituellement connu sous le nom de « critère de Cauchy », bien que les énoncés qu'on en donne classiquement diffèrent légèrement de celui que l'on trouvera ci-dessous :

Théorème 3. Soit x1, x2, ..., une suite illimitée de nombres réels. Supposons que, pour tout entier p, il existe un entier q tel que l'on ait |xm − xn| < 10-p dès que m et n dépassent q. Alors il existe un nombre réel a tel que, pour tout p, on ait :

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Nous supposerons (on s'y ramènerait facilement) que tous les nombres xi sont compris entre 0 et 1. Écrivons le développement décimal de xi sous la forme :

en désignant par xik la k-ième décimale de xi, comprise entre 0 et 9. Comme on a :
il est clair (tout au moins si l'on néglige les difficultés accessoires dues aux développements décimaux impropres) que l'on peut supposer que les p − 1 premières décimales de xm et xn sont les mêmes dès que m et n dépassent q, autrement dit qu'à partir du rang n = q les p − 1 premières décimales de xn restent fixes. Faisant successivement p = 2, 3, ..., on voit donc qu'à partir de l'entier q2 correspondant à p = 2 la première décimale xn1 de xn aura une valeur fixe a1, puisqu'à partir de l'entier q3 correspondant à p = 3 la seconde décimale xn2 aura en outre une valeur fixe a2, et ainsi de suite indéfiniment. Considérons alors le nombre réel a = 0, a1a2a3 ..., dont on vient de construire les décimales de proche en proche ; choisissons un entier p quelconque et considérons l'entier q qui lui correspond d'après l'énoncé du théorème ; pour tout n ≥ q, les p − 1 décimales de xn sont égales à celles de a, par construction même de a. On a donc :
il reste à montrer qu'on peut en fait, au second membre, remplacer 10-p+1 par 10-p. Pour cela choisissons un entier r quelconque ; d'après ce que l'on vient de voir, on a |xm − a| ≤ 10-r pour tout m suffisamment grand (remplacer p par r + 1 dans ce qui précède) ; mais si l'on suppose m et n supérieurs à q on a aussi, par hypothèse, |xm − xn| ≤ 10-p ; combinant ces deux inégalités, on en conclut que l'on a :
et pour tout entier r. Cela étant valable pour tout r entraîne évidemment l'inégalité cherchée |xn − a| ≤ 10-p, d'où le théorème.

On énonce habituellement le théorème 3 en termes de suites convergentes et de limites, mais nous ferons en sorte, ici, d'éviter l'usage de ces notions – ce qui est parfaitement possible – afin de faciliter la tâche du lecteur.

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