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OCKHAM GUILLAUME D' (1287 env.-1347)

La morale et la métaphysique ockhamistes

La morale d'Ockham est plus surprenante que sa psychologie. Pour lui, le libre arbitre n'est pas seulement une exigence de foi ; à la différence de l'immatérialité de l'âme, il y voit une évidence empirique et il admet, très classiquement, que le vouloir se fortifie par l'habitude, s'affaiblit par l'inaction. Mais le terme qui se propose à l'action, le volibile, ne peut être que « connotatif ». Loin de renvoyer à un « bien en soi », il se réfère aux libres décisions divines. Duns Scot soulignait déjà le caractère contingent de la deuxième table du Décalogue (les commandements qui concernent les rapports entre les hommes) ; il admettait que les règles de la propriété et du mariage pussent varier ; Ockham étend cette contingence à la première table (concernant la relation de l'homme à Dieu). Il soutient qu'en puissance absolue Dieu pourrait, sans contradiction, prescrire non seulement le vol et l'adultère, mais même la haine du Créateur et l'adoration d'un âne (Sent., II, xix). Ces arguments dialectiques n'entraînent en fait aucune contestation pratique des valeurs ; comme la théorie cartésienne de la création des vérités éternelles, mais sur le plan éthique et non mathématique, ils entendent souligner la liberté des décisions divines. Ici encore, une fois rappelé ce principe, souvent par des formules paradoxales, le venerabilis inceptor retrouve en fait la loi de nature et il insiste sur la rectitude d'un vouloir qui doit toujours viser (sauf cas exceptionnel d'intervention surnaturelle) ce que la révélation et l'expérience permettent à la conscience de discerner comme bon.

Ainsi, le droit humain se réfère à un équivalent pratique du droit naturel, mais, comme Duns Scot, Ockham laisse une place importante aux domaines de la convention et du contrat. Pour des motifs qui tiennent en partie aux querelles qu'on a dites (mais qui ont pu aussi déterminer son attitude dans l'affaire), Ockham oppose au prétendu droit divin, qui crédite indûment le pape de ce qui n'appartient qu'à Dieu, le pouvoir qu'ont les individus de juger de façon autonome là où l'Écriture sainte n'impose aucune prescription précise. Ils peuvent donc conclure des pactes d'association, mais aussi de soumission (car leur souveraineté n'est pas inaliénable, comme elle le sera chez Rousseau). L'auteur insiste pourtant, dans ses œuvres politiques, sur des « libertés naturelles » qui ne peuvent être suspendues ou limitées contre le gré de la personne (prologue du Breviloquium), et il défend résolument les coutumes et les franchises à travers lesquelles s'expriment, pour un homme de son temps, les droits fondamentaux de ces individus raisonnables et libres qui seuls existent « réellement » (ce qui exclut toute « réification » du groupe social comme tel et interdit en particulier à l'ordre franciscain de posséder des biens alors que ses membres font vœu d'en être démunis).

On ne s'étonnera pas que le terminisme ockhamiste réduise à peu de chose la métaphysique. Dans une proposition qui a choqué les enquêteurs avignonnais, Guillaume évoque l'exemple de la transsubstantiation pour refuser toute connaissance intuitive de la substance comme telle (sinon l'on percevrait, lors de la consécration, la disparition du pain), et il déclare ailleurs : « Toute substance imaginable qui existe en Socrate est soit matière particulière, soit forme particulière, soit composé des deux » (Summa logica, CLXVI). Mais, puisque l'acte intellectif concerne finalement le même « objet » que la saisie sensorielle (Sent., I, prol.), que signifient ici les termes aristotéliciens de forme, de matière et de composé, sinon des structures et des qualités sensibles ? La distinction[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-I
  • : agrégée de l'Université, docteur ès lettres, professeur et directeur du département de philosophie à l'université de Paris XII-Créteil

Classification

Pour citer cet article

Maurice de GANDILLAC et Jeannine QUILLET. OCKHAM GUILLAUME D' (1287 env.-1347) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>Guillaume d’Ockham</em>, L.&nbsp;S. Lee - crédits : Paula Bailey/Lawrence Lee Project/ artist : Lawrence stanley LEE

Guillaume d’Ockham, L. S. Lee

Autres références

  • SOMME DE LOGIQUE, Guillaume d'Ockham - Fiche de lecture

    • Écrit par Joël BIARD
    • 1 137 mots
    • 1 média

    Si les écrits de Guillaume d’Ockham (1287 env.-1347) couvrent tous les champs de la philosophie et de la théologie, la logique tient dans son œuvre une place centrale. La logique est un instrument sans lequel aucune science ne peut être connue. Elle est présentée comme la discipline qui a pour...

  • BURIDAN JEAN (1300 env.-apr. 1358)

    • Écrit par Francis RUELLO
    • 454 mots

    Recteur de l'université de Paris en 1328 et en 1340, commentateur d'Aristote et logicien. L'enseignement en logique de Jean Buridan (Summulae logicae) dépend de celui de Pierre d'Espagne et de celui d'Ockham. S'il reçoit du premier la distinction entre la « signification » d'un nom...

  • DUNS SCOT JEAN (1266 env.-1308)

    • Écrit par Universalis, Maurice de GANDILLAC
    • 6 224 mots
    ...distinction entre ce qui appartient à la « puissance absolue » de Dieu et ce qui relève seulement de sa « puissance ordonnée ». Ni pour Duns Scot ni pour Ockham, la liberté du Tout-Puissant n'implique assurément que ses décisions puissent contrevenir au principe de non-contradiction et que, par exemple,...
  • DURAND DE SAINT-POURÇAIN (entre 1270 et 1275-1334)

    • Écrit par Charles BALADIER
    • 880 mots

    Dominicain malmené, pour ses prises de position antithomistes, par son ordre officiellement rangé derrière l'Aquinate, Durand, né à Saint-Pourçain (actuellement Saint-Pourçain-sur-Sioule, Allier), est en 1303 au couvent parisien des Frères prêcheurs. Élève de Jacques de Metz, lui-même dominicain...

  • IDÉALISME

    • Écrit par Jean LARGEAULT
    • 9 534 mots
    ...remettre à Dieu pour le soin d'assurer la communication des substances est sans doute la seule solution possible dans le cadre d'une ontologie occamienne. L'isolement cartésien des substances et le rejet des formes ou qualités substantielles dérivent du nominalisme occamien (Omne quod est est singulare...
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Voir aussi