OCKHAM GUILLAUME D' (1287 env.-1347)
L'ockhamisme politique
« Puissance ordonnée » de Dieu et contingence du politique
L'œuvre politique de Guillaume d'Ockham constitue une masse imposante d'écrits dont une partie seulement a fait l'objet d'une édition scientifique. Écrite sous la pression des circonstances, dans le feu des polémiques qui ont opposé son auteur à trois papes successifs, Jean XXII, Benoît XII et Clément VI, elle manifeste une certaine hétérogénéité à l'égard de l'œuvre logique ou théologique. Entre le politique et le philosophe, pourtant, la distance n'est pas si grande, et il n'est guère malaisé de découvrir les implications philosophiques qui sous-tendent libelles, écrits de protestation ou dialogues, où le « maître » et le « disciple » argumentent, sans pour autant dévoiler explicitement les positions de l'auteur lui-même.
C'est dans un ouvrage politique qui aurait été écrit en quatre-vingt-dix jours (Opus nonaginta dierum, 1333) que l'on trouve une des définitions les plus vigoureuses de la toute-puissance divine, clef de voûte de la pensée ockhamiste. Prise en elle-même, cette puissance est absolue : elle n'a d'autre limite que celle de la non-contradiction. De ce point de vue, l' ordre du monde comporte une contingence radicale. Suspendu à la liberté de Dieu, il aurait pu être tout autre qu'il n'est. Mais, une fois posé l'ordre instauré par Dieu, il persiste selon le jeu des lois créées et instituées par Lui. « Nature » ici correspond à ce qui est institué par Dieu de par sa « puissance ordonnée » : une telle nature est donc voulue par Dieu comme un donné raisonnable, sinon rationnel. À l'intérieur de cet ordre, quelle place assigner au monde humain, politique et religieux ?
Dans l'économie présente du monde, loi naturelle et loi humaine ont une valeur de fait, non de droit. La légitimité du pouvoir, pour rationnelle qu'elle soit, n'en est pas moins contingente, ce qui n'exclut pas, par hypothèse, qu'il y ait des « gouvernants » justes. Si aucune loi positive ne peut être contraire au droit naturel créé par Dieu, tout le bien et toute la morale sont fondés non sur leurs caractères intrinsèques, mais, à l'inverse, sur le vouloir divin qui les détermine comme tels. Compte tenu des libertés humaines, l'ordre politique existe comme fait raisonnable, mais il n'est nullement fondé en droit : le renversement du droit au fait inscrit le droit lui-même dans le fait. Dès lors, un « doute spéculatif » plane sur les institutions politiques et ne peut être levé. À une vision politique fondée sur l'accord entre la raison naturelle et l'enseignement de l'Écriture se substitue une doctrine de la justification de l'autorité ; la notion finale de bien commun n'a plus un caractère nécessitant. Aussi bien, vouloir fonder en raison ce qui est l'expression d'une volonté transcendante est, à la lettre, sans signification. La philosophie politique devient politique positive.
Sur le plan philosophique, il n'y a que des singuliers ; sur le plan politique, il n'y a que des individus ; pas de « corps » social, mais une congregatio d'unités distinctes. Dans cette perspective, l'autorité politique est liée au consentement des hommes. Une telle conception, individualiste, de la société civile laisse en effet à ses membres une certaine latitude de se lier par des « pactes », pourvu que le détenteur du pouvoir coercitif assure la défense des droits et libertés de chacun. Comme telles, les institutions politiques font partie du domaine du « possible de fait ». En sera-t-il de même pour l'Église, et comment apprécier son statut par rapport à celui de l'État ?
L'empire est moins une exigence de la « nature » qu'une institution dont la légitimité[...]
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Écrit par
- Maurice de GANDILLAC : professeur émérite à l'université de Paris-I
- Jeannine QUILLET : agrégée de l'Université, docteur ès lettres, professeur et directeur du département de philosophie à l'université de Paris XII-Créteil
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