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GASTRONOMIE

La gastronomie française en quête d'identité

Présentée non sans une certaine emphase comme un art, la gastronomie est aussi un pilier de l'économie (par les emplois qu'elle crée et, en dépit des variations de taux, par la T.V.A. qu'elle génère). Elle embrasse, au-delà de la pratique culinaire professionnelle ou familiale, l'œnologie et tout ce qui s'y rattache, ainsi que les arts de la table au sens large. Facette la plus visible de cet ensemble, la gastronomie professionnelle, celle des restaurants, possède ses propres codes de communication qui embellissent une réalité souvent plus terre à terre et façonnent l'image d'une gastronomie de pointe, phare de savoir et de bon goût. Entre surexposition aux médias et excès d'un immobilisme, notamment social, qui a dévalorisé de fait la pratique du métier, force est de constater que la gastronomie française, et tout particulièrement la cuisine professionnelle, a beaucoup changé de 1970 à 2010.

1970-1990 : un âge d'or pour la cuisine française

Service à l'assiette - crédits : P. Siamionau/ Shutterstock

Service à l'assiette

Dynamisée par les audaces de rénovateurs tels que Michel Guérard, Alain Chapel, Alain Senderens, Joël Robuchon et quelques autres, la cuisine française des décennies 1970-1990 rayonne et montre l'exemple. Elle récolte les fruits de la petite révolution survenue au début de cette période sous l'expression, habilement promue par les journalistes Henri Gault et Christian Millau, «  nouvelle cuisine ». Malgré les critiques qui l'ont accueilli à son avènement, à cause de la petitesse des portions servies ou de la subtilité excessive des procédés de cuisson, ce mouvement de fond apporte en effet un changement dans les aspirations des cuisiniers et leur perception de leur métier. La volonté d'en finir avec les techniques de « haute cuisine », codifiées par Auguste Escoffier, a conduit ses initiateurs à réinventer le rapport du cuisinier avec un patrimoine transmis jusqu'alors de manière empirique et par la voie de l'apprentissage. Les novateurs entreprennent de travailler les produits de manière personnelle en abandonnant le travail des pièces entières (gigots, carrés, rôtis), les préparations fastidieuses, les cuissons longues, mais aussi les produits du courant (comme les viandes dites de deuxième ou troisième catégorie). Ils bousculent les règles en associant légumes, fruits, viandes et poissons hors des codes, réinventant, réassociant et révolutionnant les cadres imposés. Côté service de salle, c'en est terminé des découpes et des flambages spectaculaires. Les traditionnels services à la française (présentation du plat aux convives qui s'y servent eux-mêmes), à l'anglaise (présentation du plat aux convives servis par le personnel) ou à la russe (garnissage des assiettes par le personnel, à partir d'un guéridon sur lequel le plat de service est posé après avoir été présenté aux convives) sont abandonnés au profit du service individuel à l'assiette. Plus rapide, plus esthétique, plus rentable, car le contenu de chaque assiette peut être précisément calibré, le service à l'assiette utilise aussi moins de personnel. La qualification de celui-ci relève désormais de ce que les textes officiels vont appeler « service et commercialisation », et l'œnologie n'y est plus qu'une « mention complémentaire ». Le sommelier et le caviste disparaissent des brigades dont les effectifs, en salle comme en cuisine, se réduisent inexorablement. Les cuisiniers ivres de créativité et désireux de se démarquer les uns des autres, travaillent en direct, en public, derrière des vitres, ou laissent leur cuisine ouverte.

C'est le règne naissant du chef devenu star. La cuisson minute investit les cuisines, illustrée par l'emblématique escalope de saumon à l'oseille des frères Troisgros, à Roanne : un simple aller et retour dans la poêle antiadhésive[...]

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Écrit par

  • : maître assistant de sociologie à l'université de Paris-VIII, professeur de sociologie (unité pédagogique d'architecture numéro 4), Paris
  • : professeur de cuisine au lycée professionnel Michel-Servet, Lille, fondateur du site Chef Simon

Classification

Pour citer cet article

Jean-Pierre MARTINON et Bertrand SIMON. GASTRONOMIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Triangle culinaire - crédits : Encyclopædia Universalis France

Triangle culinaire

Catégories culinaires - crédits : Encyclopædia Universalis France

Catégories culinaires

Service à l'assiette - crédits : P. Siamionau/ Shutterstock

Service à l'assiette

Autres références

  • LIVRES EN BOUCHE (exposition)

    • Écrit par Pascal FULACHER
    • 956 mots

    La Bibliothèque nationale de France a présenté cinq siècles d'art culinaire français dans les salons de la bibliothèque de l'Arsenal du 21 novembre 2001 au 17 février 2002. Lieu prédestiné, puisqu'il y a plus de deux siècles, Antoine-René de Voyer d'Argenson, marquis de Paulmy, alors maître de céans,...

  • ADRIÀ FERRAN (1962- )

    • Écrit par Jean-Claude RIBAUT
    • 1 461 mots

    Ferran Adrià Acosta est né le 14 mai 1962 à L'Hospitalet de Llobregat (Catalogne), ville industrielle des environs de Barcelone marquée durement par les dernières années du franquisme. À dix-huit ans, il est plongeur dans un hôtel d'Ibiza. En 1981, il fait un stage d'un mois à El Bulli, restaurant...

  • APICIUS (25 av. J.-C. env.-env. 37)

    • Écrit par Nicole BLANC, Anne NERCESSIAN
    • 791 mots

    Marcus Gavius Apicius, le plus célèbre gastronome de l'Antiquité, n’est connu qu'indirectement au travers d’anecdotes où les auteurs donnent une vision lacunaire et presque toujours négative du personnage. On situe approximativement sa naissance aux alentours de 25 av. J.-C. car il vécut à la cour...

  • BOCUSE PAUL (1926-2018)

    • Écrit par Jean-Claude RIBAUT
    • 1 432 mots
    • 1 média

    À quelques jours de son quatre-vingtième anniversaire, Paul Bocuse, qui dès 1965 avait obtenu son troisième macaron Michelin, phénomène unique dans les annales de la gastronomie française du xxe siècle, conviait ses amis et quelques-uns de ses pairs pour fêter ses « quarante ans sous trois étoiles »....

  • BRILLAT-SAVARIN ANTHELME (1755-1826)

    • Écrit par Denise BRAHIMI
    • 526 mots

    Cet homme, dont le nom est célèbre, n'est en fait connu que pour une œuvre publiée à la fin de sa vie, La Physiologie du goût, dont il vaut la peine de connaître le second titre dans tout son développement : Méditations de gastronomie transcendante, ouvrage théorique, historique et à...

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Voir aussi