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DELACROIX EUGÈNE (1798-1863)

Le peintre romantique

La vocation artistique de Delacroix s'est manifestée assez tôt, dès ses années de collège, peut-être cristallisée par l'exceptionnel rassemblement d'œuvres d'art visibles alors au Louvre. Il entra dans l'atelier de Pierre-Narcisse Guérin en 1816, et les deux ou trois années de formation qui suivirent ont sans aucun doute été déterminantes. Son apprentissage a été celui d'un peintre classique. Il a exécuté nombre d'académies, dessiné et copié d'après l'estampe ou l'original, comme l'avait fait avant lui Géricault. C'est aussi chez Guérin qu'il a appris à maîtriser une technique picturale sans cesse reprise, perfectionnée et même théorisée, le mélange des pigments, l'usage des liants et des siccatifs, bref le métier de peintre qui ne lui fera jamais défaut, au contraire de tant d'artistes romantiques qui ruineront leurs toiles par un usage excessif du bitume ou un mauvais emploi des couleurs et des vernis. Seule la peinture murale lui occasionnera des problèmes sur ce point, bien plus d'ailleurs par la disposition interne des édifices qu'il aura à décorer que par méconnaissance pratique des contraintes de la peinture à la cire ou de la fresque. Il apprend également l'aquarelle, fait ses premiers essais de gravure et de lithographie, tout en se liant à un milieu artistique jeune et ouvert, où se détachent deux personnalités : Géricault, son ancien dans l'atelier de Guérin, qu'il considère très vite comme un modèle, et Bonington, qu'il rencontre au Louvre, avec lequel il travaille, séjourne à Londres et en Grande-Bretagne en 1825, renforçant grâce à d'autres camarades, les frères Fielding, sa connaissance de l'art et de la littérature d'outre-Manche, qui lui fournira tant de sujets.

<em>Faust cherchant à séduire Marguerite</em>, E. Delacroix - crédits : Heritage Arts/ Heritage Images/ Getty Images

Faust cherchant à séduire Marguerite, E. Delacroix

Trois tableaux, exécutés, sans avoir été autrement commandés, uniquement en vue du Salon, vont rapidement imposer le nom de Delacroix au public et à la critique. La Barque de Dante (1822), Scènes des massacres de Scio (1824), La Mort de Sardanapale (1827-1828), par leur sujet, par leur format, par l'ambition artistique qu'ils manifestent, par les polémiques qu'ils déclenchent font de lui, en moins de six ans, un des artistes français les plus en vue, mais pas des moins controversés. Le premier envoi avait été remarqué, sans plus, et immédiatement acheté par les Musées royaux. Le deuxième, exposé en même temps que Le Vœu de Louis XIII d'Ingres, avait frappé les imaginations par son côté dramatique et morbide, la franchise de l'exécution qui rappelait aussi bien les Vénitiens que les peintres britanniques contemporains, et la portée politique du sujet, évidente en plein mouvement philhellène. Mais la composition en restait somme toute relativement classique et maîtrisée, et l'on pouvait y distinguer l'influence manifeste de Gros. Le scandale survint avec Sardanapale, lointainement inspiré de Byron. Le mouvement romantique s'étendait dans les arts graphiques en ce moment précis, comme il l'avait fait précédemment dans le domaine littéraire, en s'opposant délibérément à tous les canons du beau idéal prôné par les tenants de l'esthétique néo-classique. Delacroix, par la violence du sujet dramatique et morbide qu'il avait en partie inventé, par la liberté qu'il avait prise dans son exécution, tant du point de vue de la composition que dans l'usage de la couleur, parut pousser jusqu'à l'outrance les caractères de la nouvelle école. Alors même que celle-ci s'imposait définitivement, avec des artistes plus « sages » comme Horace Vernet, Paul Delaroche ou Eugène Devéria, son tableau, objet de toutes les attaques, ne fut pratiquement pas défendu. Le peintre reçut une admonestation de l'administration des Beaux-Arts ([...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Barthélémy JOBERT. DELACROIX EUGÈNE (1798-1863) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>La Chasse aux lions</em>, E.Delacroix - crédits : Musee des Beaux-Arts, Bordeaux, France/ Bridgeman Images

La Chasse aux lions, E.Delacroix

<em>Faust cherchant à séduire Marguerite</em>, E. Delacroix - crédits : Heritage Arts/ Heritage Images/ Getty Images

Faust cherchant à séduire Marguerite, E. Delacroix

La Liberté guidant le peuple, E. Delacroix - crédits : AKG-images

La Liberté guidant le peuple, E. Delacroix

Autres références

  • DELACROIX (1798-1863) (exposition)

    • Écrit par Robert FOHR
    • 1 175 mots
    • 1 média

    Depuis l’exposition du centenaire de sa mort en 1963, aucune rétrospective n’avait été consacrée en France à Eugène Delacroix, l’un des « phares » de Baudelaire et une référence de la modernité, de Cézanne à Picasso. L’exposition organisée par le musée du Louvre en 2018...

  • DELACROIX AU SALON - (repères chronologiques)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 282 mots

    1822 Premier envoi de Delacroix au Salon (La Barque de Dante). Le tableau obtient un succès d'estime et est acheté par le gouvernement.

    1824 Scènes des massacres de Scio suscite des réactions contrastées. Malgré ses aspects peu académiques et novateurs, la toile est néanmoins acquise et exposée...

  • JOURNAL, Eugène Delacroix - Fiche de lecture

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 1 040 mots

    Depuis sa première publication, en 1893, trente ans exactement après la mort de son auteur, le Journal de Delacroix (1798-1863) n'a cessé d'être considéré comme l'un des écrits les plus importants de l'histoire de l'art. Ce texte, remarquable par la finesse et la pénétration de ses analyses, tout...

  • LA MORT DE SARDANAPALE (E. Delacroix)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 255 mots

    Le Salon de 1824 avait marqué l'avènement, au sein de l'école française de peinture, d'un fort courant romantique. Le Salon suivant, organisé dans les derniers mois de 1827 et au début de l'année 1828, confirma l'opposition entre les tenants d'une esthétique classique se réclamant, en particulier,...

  • SOUVENIRS D'UN VOYAGE DANS LE MAROC (E. Delacroix)

    • Écrit par Christine PELTRE
    • 1 077 mots

    Les sources autographes du voyage de Delacroix au Maroc (1832) se sont, en 1999, enrichies de Souvenirs inédits, publiés chez Gallimard (édition de Laure Beaumont-Maillet, Barthélémy Jobert et Sophie Join-Lambert) sous le titre prévu par l'artiste lui-même. Aux textes bien connus des carnets et des...

  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias
    ...comme la France. Dans la première moitié du xixe siècle, il devient une stratégie efficace par laquelle s'affirme la génération romantique. Réalisée en 1830 par Eugène Delacroix, la Liberté guidant le peuple (Paris, musée du Louvre) en constitue un exemple significatif. Elle met en scène...
  • BONINGTON RICHARD PARKES (1802-1828)

    • Écrit par Pierre GEORGEL
    • 977 mots
    • 2 médias

    Peintre anglais, contemporain de la grande génération de peintres romantiques français, Bonington exerça sur elle une influence originale et considérable, et contribua plus que personne à l'initier aux formules de la peinture romantique anglaise, mises au point un quart de siècle plus tôt...

  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...Beethoven, Delacroix, ne manquent certes pas d'ordre, de sobriété quand il le faut. « Le chaos est l'apparence, l'ordre est au fond », a écrit Hugo. Et Delacroix, qui jugeait les romantiques souvent débraillés, admirait Poussin ; il a confié à son journal son secret, qui est celui des romantiques et de...
  • CARICATURE

    • Écrit par Marc THIVOLET
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    ...nombreux artistes. Certains ont vu dans la caricature un jeu esthétique et moral qui compensait ce que leur art pouvait avoir de trop conformiste : Isabey, Delacroix, Puvis de Chavannes s'y sont livrés comme à une activité « cathartique » marginale. D'autres ont subi avec fascination l'attrait du monstrueux....
  • Afficher les 19 références

Voir aussi