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DELACROIX EUGÈNE (1798-1863)

« Quand j'ai fait un beau tableau, je n'ai pas écrit une pensée. C'est ce qu'ils disent. Qu'ils sont simples ! Ils ôtent à la peinture tous ses avantages. L'écrivain dit presque tout pour être compris. Dans la peinture, il s'établit comme un pont mystérieux entre l'âme des personnages et celle du spectateur. Il voit des figures, de la nature extérieure ; mais il pense intérieurement, de la vraie pensée commune à tous les hommes. » Ces quelques phrases du Journal, écrites par Delacroix en 1822, sont révélatrices des malentendus qui l'ont toujours entouré. Attaqué de son vivant pour son style et la facture de ses œuvres, qui lui valurent ensuite d'être considéré comme un précurseur génial et comme un maître par des artistes aussi divers que Courbet, Degas, Cézanne, Signac ou Picasso, il déroute aujourd'hui par ce qui le rattache au camp classique, une peinture qui a toujours revendiqué et assumé la notion de sujet. C’est pourtant peut-être cette tension entre novation et tradition, constante chez lui mais qui n'est apparue clairement qu'avec le recul du temps (ses contemporains retenant surtout ses audaces formelles), qui doit le faire ranger parmi les plus grands, comme l'a si bien exprimé Baudelaire dans l'article qu'il lui a consacré en 1863 : « La Flandre a Rubens ; l'Italie a Raphaël et Véronèse ; la France a Lebrun, David et Delacroix. Un esprit superficiel pourra être choqué, au premier aspect, par l'accouplement de ces noms qui représentent des qualités et des méthodes si différentes. Mais un œil spirituel plus attentif verra tout de suite qu'il y a entre tous une parenté commune, une espèce de fraternité ou de cousinage dérivant de leur amour du grand, du national, de l'immense et de l'universel. »

Un enfant du siècle

Delacroix naît dans un milieu parisien relativement aisé, cultivé et artistique. Il descend, par sa mère, de certains des ébénistes parisiens les plus célèbres du xviiie siècle (Jean-François Œben notamment), et son père a eu une brillante carrière d'administrateur puis d'homme politique sous l'Ancien Régime et la Révolution, avant de terminer préfet de l'Empire. Mais l'un et l'autre sont morts avant son adolescence, et si Delacroix maintient toute sa vie des liens de famille assez étroits avec son frère et sa sœur aînés, plus âgés, ainsi que de nombreux cousins et neveux, il n'en reste pas moins, fondamentalement, ce qu'il a été très tôt, un solitaire, fidèle toutefois en amitié, comme d'ailleurs aux bonnes fortunes. L'homme, cultivé, musicien, curieux, imprégné des classiques, amateur de littérature contemporaine, était certainement très séduisant, et ceux qui l'ont approché ont vanté sa conversation, son esprit, son intelligence et sa hauteur de vues. Il avait tout pour briller dans le monde, mais ne s'y dispersa pas, retenu par des ennuis de santé précoces et une ardente volonté de travail qui est l'une des marques les plus affirmées de son caractère volontaire. De ses débuts dans le salon du peintre Gérard jusqu'aux réceptions de Napoléon III aux Tuileries, il sut cependant rester sociable et nouer des relations suivies dont il avait personnellement besoin (comme en témoigne par exemple son attachement à Chopin), mais qui servirent aussi sa carrière : il dut de partir pour le Maroc à l'actrice Mlle Mars, et à des arrangements de loges et d'alcôves. Les honneurs, sinon la reconnaissance unanime de la critique lui sont plutôt tardivement venus. Il les a acceptés non pour lui-même, mais pour l'idée, très haute, qu'il se faisait de la peinture, et de son œuvre, à laquelle il a consacré toute son existence.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur à l'université de Paris-IV-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Barthélémy JOBERT. DELACROIX EUGÈNE (1798-1863) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>La Chasse aux lions</em>, E.Delacroix - crédits : Musee des Beaux-Arts, Bordeaux, France/ Bridgeman Images

La Chasse aux lions, E.Delacroix

<em>Faust cherchant à séduire Marguerite</em>, E. Delacroix - crédits : Heritage Arts/ Heritage Images/ Getty Images

Faust cherchant à séduire Marguerite, E. Delacroix

La Liberté guidant le peuple, E. Delacroix - crédits : AKG-images

La Liberté guidant le peuple, E. Delacroix

Autres références

  • DELACROIX (1798-1863) (exposition)

    • Écrit par Robert FOHR
    • 1 175 mots
    • 1 média

    Depuis l’exposition du centenaire de sa mort en 1963, aucune rétrospective n’avait été consacrée en France à Eugène Delacroix, l’un des « phares » de Baudelaire et une référence de la modernité, de Cézanne à Picasso. L’exposition organisée par le musée du Louvre en 2018...

  • DELACROIX AU SALON - (repères chronologiques)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 282 mots

    1822 Premier envoi de Delacroix au Salon (La Barque de Dante). Le tableau obtient un succès d'estime et est acheté par le gouvernement.

    1824 Scènes des massacres de Scio suscite des réactions contrastées. Malgré ses aspects peu académiques et novateurs, la toile est néanmoins acquise et exposée...

  • JOURNAL, Eugène Delacroix - Fiche de lecture

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 1 040 mots

    Depuis sa première publication, en 1893, trente ans exactement après la mort de son auteur, le Journal de Delacroix (1798-1863) n'a cessé d'être considéré comme l'un des écrits les plus importants de l'histoire de l'art. Ce texte, remarquable par la finesse et la pénétration de ses analyses, tout...

  • LA MORT DE SARDANAPALE (E. Delacroix)

    • Écrit par Barthélémy JOBERT
    • 255 mots

    Le Salon de 1824 avait marqué l'avènement, au sein de l'école française de peinture, d'un fort courant romantique. Le Salon suivant, organisé dans les derniers mois de 1827 et au début de l'année 1828, confirma l'opposition entre les tenants d'une esthétique classique se réclamant, en particulier,...

  • SOUVENIRS D'UN VOYAGE DANS LE MAROC (E. Delacroix)

    • Écrit par Christine PELTRE
    • 1 077 mots

    Les sources autographes du voyage de Delacroix au Maroc (1832) se sont, en 1999, enrichies de Souvenirs inédits, publiés chez Gallimard (édition de Laure Beaumont-Maillet, Barthélémy Jobert et Sophie Join-Lambert) sous le titre prévu par l'artiste lui-même. Aux textes bien connus des carnets et des...

  • ALLÉGORIE

    • Écrit par Frédéric ELSIG, Jean-François GROULIER, Jacqueline LICHTENSTEIN, Daniel POIRION, Daniel RUSSO, Gilles SAURON
    • 11 594 mots
    • 5 médias
    ...comme la France. Dans la première moitié du xixe siècle, il devient une stratégie efficace par laquelle s'affirme la génération romantique. Réalisée en 1830 par Eugène Delacroix, la Liberté guidant le peuple (Paris, musée du Louvre) en constitue un exemple significatif. Elle met en scène...
  • BONINGTON RICHARD PARKES (1802-1828)

    • Écrit par Pierre GEORGEL
    • 977 mots
    • 2 médias

    Peintre anglais, contemporain de la grande génération de peintres romantiques français, Bonington exerça sur elle une influence originale et considérable, et contribua plus que personne à l'initier aux formules de la peinture romantique anglaise, mises au point un quart de siècle plus tôt...

  • ROMANTISME

    • Écrit par Henri PEYRE, Henri ZERNER
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...Beethoven, Delacroix, ne manquent certes pas d'ordre, de sobriété quand il le faut. « Le chaos est l'apparence, l'ordre est au fond », a écrit Hugo. Et Delacroix, qui jugeait les romantiques souvent débraillés, admirait Poussin ; il a confié à son journal son secret, qui est celui des romantiques et de...
  • CARICATURE

    • Écrit par Marc THIVOLET
    • 8 333 mots
    • 8 médias
    ...nombreux artistes. Certains ont vu dans la caricature un jeu esthétique et moral qui compensait ce que leur art pouvait avoir de trop conformiste : Isabey, Delacroix, Puvis de Chavannes s'y sont livrés comme à une activité « cathartique » marginale. D'autres ont subi avec fascination l'attrait du monstrueux....
  • Afficher les 19 références

Voir aussi