ENCYCLOPÉDIE

Les grands domaines culturels de l'encyclopédisme

Le projet encyclopédique a pris au cours de l'histoire des aspects très différents, selon les civilisations et leurs visions du monde. On en veut pour preuve les désignations d'origine, logiques ou métaphoriques, d'ouvrages répondant à ce projet. La représentation culturelle de l'encyclopédisme, dans les titres donnés à ces textes, vise le classement (en chinois lei-shu, « livre de catégories »), l'accumulation (thesaurus, « trésor »), l'accès au savoir (les « clés », les « portes »), le choix (compendium), la représentation du monde (Imago mundi, miroir : speculum), les savoirs classés (« arts », « sciences »). Il faut attendre le xviii e siècle européen pour qu'« encyclopédie » – à côté de « dictionnaire » – devienne le terme normal de tout livre ou collection visant au savoir général ou à un savoir particulier mais exhaustif. Aussi partiel qu'en soit l'objet, une « encyclopédie de (suivi d'un nom propre ou commun) » vise à multiplier les points de vue, les interprétations, sur le maximum de sujets impliqués par le titre.

D'ailleurs, dans l'usage courant du français – il en va de même de beaucoup de langues –, « encyclopédie » entraîne l'idée d'un ouvrage plus approfondi, plus important, que « dictionnaire », au mépris des réalités éditoriales.

Après avoir nommé son recueil de lieux communs Dictionnaire des idées reçues, Flaubert s'attaqua au projet de savoir intégral dans Bouvard et Pécuchet, roman de l'imbécillité encyclopédique qu'il n'acheva pas et qui fut publié après sa mort. Dans ses Carnets, à la date de 1879, il sous-titrait son récit par cette formule : « encyclopédie de la bêtise humaine » ; il l'avait plus exactement qualifié sept ans avant d'« espèce d'encyclopédie critique en farce ».

L'Antiquité occidentale

Le désir de généralité joint à celui d'enseigner est représenté de manière exemplaire dans la Grèce antique. Il prend une forme philosophique et créatrice d'interprétations du monde, dont on peut faire l'« encyclopédie », mais qui ne permettent pas de considérer les présocratiques, Platon, ni même Aristote comme des « encyclopédistes », au sens moderne du terme. Ce qui instaure une distinction durable entre l'activité encyclopédique et la création textuelle des théories philosophiques, malgré Bacon, Leibniz, Hegel et quelques autres. L'esprit encyclopédique anime certaines philosophies, mais il est préférable de réserver « encyclopédie » à l'exposé et à l'interprétation a posteriori de leurs propositions.

Dans cette optique, la civilisation romaine serait la première à illustrer le genre, en Occident, avec notamment, Varron (env. 116-env. 27 av. J.-C.), ou, pour l'« histoire naturelle », Pline l'Ancien (23-79), ou encore Suétone (env. 70-env. 140) dans le domaine de l'anthologie, souvent confondue avec l'encyclopédisme, avant les temps modernes.

Le christianisme

Un profond changement intellectuel s'exprime de manière synthétique avec Augustin (354-430), qui explicite dans le De doctrina christiana un programme d'esprit encyclopédique, Boèce (480-524) et Cassiodore (env. 485-env. 580), ministre du roi goth Théodoric, mort vers 584, et auteur d'un vaste recueil historique et anthologique. Au siècle suivant, le projet encyclopédique majeur, influent pendant tout le Moyen Âge, est un ouvrage de l'évêque Isidore de Séville (env. 560-636), au service des rois Wisigoths, qu'on nomme Etymologiae ou Origines. C'est une œuvre complexe, à la fois encyclopédie thématique et dictionnaire alphabétique de mots (latins), les savoirs étant classés selon les sept arts libéraux,[...]

Pour nos abonnés, l'article se compose de 6 pages

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • Alain REY : conseiller éditorial, dictionnaire Le Robert

Classification

Pour citer cet article

Alain REY, « ENCYCLOPÉDIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

Francis Bacon

Francis Bacon

Francis Bacon

Le chancelier Francis Bacon (1560 ou 1561-1626), philosophe, juriste et homme politique anglais.

Gottfried Wilhelm Leibniz

Gottfried Wilhelm Leibniz

Gottfried Wilhelm Leibniz

Esprit encyclopédique, Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) est à la fois philosophe,…

D'Alembert

D'Alembert

D'Alembert

Jean Le Rond d'Alembert (1717-1783), l'un des mathématiciens et physiciens les plus importants du…

Autres références

  • CARDAN JÉRÔME (1501-1576)

    • Écrit par Jean-Claude MARGOLIN
    • 10 790 mots
    [...]1536 et publié en 1550 à Nuremberg, et le De rerum varietate, publié à Bâle en 1557. Le premier, qui comporte vingt et un livres, est une sorte d' encyclopédie universelle des sciences naturelles et des inventions, qui traite de presque tous les sujets possibles (de la cosmologie à la construction[...]
  • CHAMBERS EPHRAÏM (1680 env.-1740)

    • Écrit par Louise LAMBRICHS
    • 1 756 mots

    Publiciste et encyclopédiste anglais, né à Kendal, dans le Westmorland et mort à Islington, dans le Middlesex. D'origine modeste, Ephraïm Chambers fit ses études dans sa ville natale, puis entra comme apprenti chez un cartographe qui le poussa à se cultiver. En 1728, il lança, par souscription,[...]

  • CHINOISES GRANDES ÉDITIONS

    • Écrit par Pierre-Étienne WILL
    • 5 354 mots

    L'un des traits remarquables de l'édition chinoise, pratiquement depuis ses débuts et jusqu'à ce jour, est la publication de vastes collections dont la visée n'est pas commerciale, mais idéologique ou politique : manifestation de piété (religieuse ou culturelle selon[...]

  • COMMUNS

    • Écrit par Cécile EZVAN
    • 22 271 mots
    • 4 médias
    [...]fonciers. Ces communs de la connaissance doivent aussi être conservés et protégés des attaques pour pouvoir être utilisés durablement. C’est le cas d’une encyclopédie en ligne comme Wikipédia, ouverte et d’accès universel, qui enregistre environ 600 millions de visites quotidiennes et 300 000 rédacteurs[...]
  • CORONELLI VINCENZO MARIA (1650-1718)

    • Écrit par André LOUCHET
    • 3 864 mots
    • 1 média

    Né à Venise en 1650, Vincenzo Maria Coronelli fait ses études à Ravenne et entre chez les franciscains de Venise dès 1665. Docteur en théologie en 1673, il mènera sa vie durant une carrière de savant, de géographe et d’encyclopédiste.

    À la fin des années 1670, Coronelli travaille comme[...]

  • Afficher les 16 références

Voir aussi