ENCYCLOPÉDIE
De la Renaissance aux Lumières
Stimulées par la redécouverte de la pensée antique, par l'inventaire du Nouveau Monde que déclenchent l'expansion de l'Europe et le contact avec des lieux et des sociétés inconnus, préparées par des réflexions sur un ordre logique substituable à l'ordre théologique (avec Ramón Llull, par exemple), les deux composantes du projet encyclopédique, l'accumulation des savoirs par les textes (une philologie) et le classement de ces savoirs, viennent remplacer au xvie siècle les organisations garanties par des « écritures » sacrées.
Le xvie siècle est conflictuel : devant la mutation du rapport au réel et l'effritement de l'ordre sacré – le classement selon les jours de la genèse, par exemple –, l'encyclopédie de type médiéval n'est plus possible. Il va s'agir de reconstruire une rationalité pour le déferlement des données nouvelles : celles de l'histoire des chroniqueurs tel Froissart, celles des descriptions du Nouveau Monde et des « curiosités » de la nature, qu'on cherche à matérialiser dans des collections (les « cabinets de curiosités »), ceux des textes témoignant de l'inépuisable réel, ceux des signes des langues qui permettent seuls de l'appréhender... Les premiers dictionnaires modernes, en Italie, en Espagne, en France, confrontent le latin et les langues modernes. Une réflexion cumulative n'exclut pas la profondeur et la critique, et le choc du réel et de l'imaginaire est ressenti : Rabelais en témoigne qui, justement, est l'un des premiers à utiliser le mot « encyclopédie », mais en dérision et en y voyant un « puits », un « abîme ».

Francis Bacon
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Francis Bacon
Le chancelier Francis Bacon (1560 ou 1561-1626), philosophe, juriste et homme politique anglais.
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Comment combler ce gouffre ? Par la réflexion sur la connaissance et sur sa transmission. À partir du chancelier Francis Bacon (1561-1626), l'« arbre » des connaissances venu de l'Antiquité (Porphyre) remplace un cercle qui ne cesse de s'ouvrir. À partir de Comenius – Jan Amos Komensky (1592-1670) –, l'éducation s'attaque à tous les savoirs : le penseur tchèque vise une « sagesse totale », pansophia, tout en révolutionnant la pédagogie par l'image, systématisant une tradition médiévale. Un courant de pensée humaniste, se référant à Llull, relève de cette pansophia : Vives, Ramus (Pierre de la Ramée), Giorgio Valla l'illustrent au xvie siècle.
C'est au début du xviie siècle que des ouvrages commencent à prendre le titre d'Encyclopædia, donnant à ce mot sa valeur moderne et concrète, dès lors confrontée avec Dictionarium, dictionnaire. Mais l'Encyclopædia de Johann Heinrich Alsted (Alstedius, qui eut pour disciple Comenius), parue en 1630, ne tient pas compte de la classification des connaissances par Bacon, qui inspirait l'Anatomia ingeniorum et scientiarum d'Antonio Zara (1614). En France, plusieurs dictionnaires consacrés aux noms propres, et donc « encyclopédiques », sont notables. Celui de Moreri (1674, puis 1691), célèbre en Europe, suscitera la réflexion critique novatrice de Pierre Bayle, pionnier de l'analyse textuelle qui entre dès lors dans le projet encyclopédique, et dont le Dictionnaire historique et critique paraît en 1696.
Les Lumières
Le xviiie siècle est l'époque où l'idée d'encyclopédie donne naissance à un type de livre caractérisé non seulement par son contenu englobant et ses intentions didactiques, mais par une véritable politique éditoriale, ce qui suppose des besoins, des techniques, des effets économiques d'un type nouveau. Beaucoup d'ouvrages de ce genre hésitent entre la désignation par lexicon – qui l'emporte en Allemagne – ou par dictionnaire, dictionary, dizionario, qui, pour des raisons purement pragmatiques, implique l'ordre arbitraire de l'alphabet et le découpage du discours sous[...]
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Écrit par
- Alain REY : conseiller éditorial, dictionnaire Le Robert
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Pour citer cet article
Alain REY, « ENCYCLOPÉDIE », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :
Médias

Francis Bacon
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Francis Bacon
Le chancelier Francis Bacon (1560 ou 1561-1626), philosophe, juriste et homme politique anglais.
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Autres références
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CARDAN JÉRÔME (1501-1576)
- Écrit par Jean-Claude MARGOLIN
- 1 727 mots
...1536 et publié en 1550 à Nuremberg, et le De rerum varietate, publié à Bâle en 1557. Le premier, qui comporte vingt et un livres, est une sorte d' encyclopédie universelle des sciences naturelles et des inventions, qui traite de presque tous les sujets possibles (de la cosmologie à la construction... -
CHAMBERS EPHRAÏM (1680 env.-1740)
- Écrit par Louise LAMBRICHS
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CHINOISES GRANDES ÉDITIONS
- Écrit par Pierre-Étienne WILL
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L'un des traits remarquables de l'édition chinoise, pratiquement depuis ses débuts et jusqu'à ce jour, est la publication de vastes collections dont la visée n'est pas commerciale, mais idéologique ou politique : manifestation de piété (religieuse ou culturelle selon...
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COMMUNS
- Écrit par Cécile EZVAN
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- 4 médias
...fonciers. Ces communs de la connaissance doivent aussi être conservés et protégés des attaques pour pouvoir être utilisés durablement. C’est le cas d’une encyclopédie en ligne comme Wikipédia, ouverte et d’accès universel, qui enregistre environ 600 millions de visites quotidiennes et 300 000 rédacteurs... -
CORONELLI VINCENZO MARIA (1650-1718)
- Écrit par André LOUCHET
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Né à Venise en 1650, Vincenzo Maria Coronelli fait ses études à Ravenne et entre chez les franciscains de Venise dès 1665. Docteur en théologie en 1673, il mènera sa vie durant une carrière de savant, de géographe et d’encyclopédiste.
À la fin des années 1670, Coronelli travaille comme...
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